Chapitre 5 ~ D'ombre et de feu

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Assis sur une branche, Shadow écoutait les sons de la forêt qui l'entouraient. Il avait une boule à l'estomac qu'il ne s'expliquait pas. Il ne supportait pas d'être dans cet état, or, ça arrivait trop souvent ces dernières semaines. Ce n'était pas bon. Cette sensation lui donnait l'envie de s'arracher la peau pour se libérer.

Dans ces moments, seule la nature le calmait. Il se disait parfois que c'était son loup, prêt à ressurgir des tréfonds de son être blessé, mais il ne revenait jamais.

Il lui arrivait d'en rêver. Courir librement dans son manteau de fourrure, l'instinct pour seul maître, la liberté. Il ne se souvenait pas avec précision de la sensation que cela procurait, mais il lui restait l'impression de liberté et un vague souvenir du parfum de la forêt après la pluie.

Son pelage était sable  — il en était presque sûr. Presque. Il ne pouvait pas le savoir avec certitude, ça faisait trop longtemps.

Il ferma les yeux et respira à fond, son nez était toujours bon. Le seul instinct qu'il lui restait. Il ne savait pas s'il devait s'en réjouir ou le déplorer. Ces parfums le narguaient, lui rappelant que le monde sauvage était juste là, mais qu'il n'y avait plus accès.

Son ouïe n'était pas des plus fines, mais il entendit tout de même les loups débouler entre les arbres comme si la forêt leur appartenait. Ils étaient en train de jouer, ça ne faisait aucun doute à ses yeux. S'ils menaient la chasse, ils auraient été bien plus discrets.

Il reconnut d'abord son Alpha : un énorme loup couleur chocolat, ses deux fils le suivaient de près, le pourchassant apparemment. Liam renifla puis leva les yeux vers lui avant de lui offrir un hochement de tête qui paraissait étrange sur l'animal, mais Shadow lui rendit son salut. L'alpha repartit en trombe et Lorenzo le suivit. Il avait lui aussi sa forme fusionnelle et était d'une couleur brune que l'on pouvait confondre avec les troncs d'arbre. Puis vint Charles, et Shadow cessa de respirer un instant. Le parfum lui annonçait qu'il s'agissait bien du gosse avec qui il avait dansé à l'union de Carlos et Lando, il était déjà impressionnant qu'il maîtrise sa forme fusionnelle si jeune, mais c'était sa couleur qui le rendait exceptionnel. A l'ombre, on voyait dans son pelage des teintes de fauve et de roux, mais lorsque le soleil le frappait, le loup semblait être en feu. Ou plutôt fait de feu. Des flammes dansant sur son pelage et épousant ses foulées, presque bondissante. Il reconnaissait là le caractère de Charles : enjoué, rieur.

Il était beau, sous le soleil.

Dans un geste étrangement similaire à celui de son père, Charles renifla l'air, mais il ne se contenta pas d'un hochement de tête. Il courut jusqu'au bas de l'arbre fixa Shadow avec une langue pendante qui le faisait plus ressembler à un chien heureux qu'à un loup garou.

Shadow eut envie d'en rire, mais il ne se sentait pas l'âme assez légère pour se laisser aller. Tout ce qu'il parvint à faire fut afficher un demi-sourire moqueur, mais Charles ne s'en offusqua pas. Il fit un bond plus haut que les autres et tourna sur lui-même dans un geste qui disait clairement : « descends, viens jouer ».

Malgré sa couleur impressionnante, Shadow le trouva ridicule et eut un reniflement avant de sauter au sol, à l'opposé du jeune lycan.

Charles approcha, visiblement prêt à lui bondir dessus, mais Shadow leva une main pour l'arrêter.

Le fils de son Alpha ne connaissait-il pas la triste histoire du loup qui n'en est pas un ? Presque lycan, mais pas tout à fait, presque humain, mais pas vraiment. Quelque chose entre les deux.

Shadow sentit son humeur s'assombrir et sa voix était un peu plus sèche qu'il ne l'aurait voulu lorsqu'il parla.

—  Pas le temps de jouer avec toi, petit. J'ai des choses à faire.

Charles serra les crocs et gronda son indignation, mais Shadow savait qu'il ne lui ferait pas de mal. Ce n'était pas le genre de choses dont Charles serait capable.

Il repensa au jeune homme dansant entre ses bras, ou de son étreinte à la remise des diplômes et il soupira profondément. Charles ne méritait sûrement pas d'être traité avec mépris. C'était dans l'instinct des loups de se battre et de jouer, ça n'avait rien à voir avec l'âge du jeune lycan. Mais Shadow se contenta de lui tourner le dos et de s'en aller. Il ne savait pas dire pardon, n'avait jamais su.

Mais peut-être qu'un de ces jours, Charles aurait besoin de quelque chose et il le ferait pour s'excuser sans jamais le dire. C'était ainsi qu'il fonctionnait. Il s'était excusé d'être dans le mauvais camp en aidant Liam à trouver Carlos. Il s'était excusé d'avoir été un connard en protégeant Lando de la bande de pseudo-gangster...

Le plus drôle c'est que les gens lui pardonneraient plus facilement s'il demandait simplement. En l'état, il leur arrivait de ne pas voir qu'il s'agissait d'excuses. Mais il ne savait pas comment faire et ne comptait pas apprendre. S'ils étaient trop bêtes pour saisir, il n'allait pas perdre son temps à s'expliquer.

Lorsqu'il se retourna, Charles avait disparu sans bruit à travers les arbres, suivant le chemin qu'avaient pris son frère et son père. Shadow passa une main sur son visage, il se sentait fatigué, toute énergie l'avait quitté.

Il prit lentement le chemin de chez Gramz. Lorsqu'il passa le vieux couloir il remarqua que le coucou était encore coincé dehors et le poussa à rentrer dans son horloge. Comme il s'y attendait, sa grand-mère se balançait doucement dans son rocking-chair, un plaid de laine sur ses genoux et comme il s'y attendait, elle nettoyait un flingue.

Son image de gentille grand-mère s'arrêtait à cela, une image. Pas qu'elle soit mauvaise en elle-même, mais Gramz était toujours sur ses gardes. Elle était venue de Pologne lorsqu'elle n'avait qu'une dizaine d'années, pourchassée par ces foutus Helsings.

Rien que de penser au nom que se donnaient les chasseurs suffit à faire frémir Shadow. La cage, l'air étouffant, l'eau stagnante et l'urine. Tout lui revenait avec bien plus de précision que ses souvenirs de loup. Simplement parce que l'horreur de la cage ne l'avait jamais quitté. Encore une fois, rien de très clair, mais des sensations toujours vivantes. Sa mémoire semblait entourée de brumes pour les événements quel que soit le contexte.

Il salua rapidement Gramz qui le scruta avec un air concerné.

—  Tu ferais bien de te reposer Pierre, tu es blanc comme un linge.

Ne m'appelle pas comme ça !

Ç'aurait sans doute été ce qu'il aurait dit à n'importe qui d'autre, mais pas à elle. Il haïssait ce nom, mais il avait appris à ne plus se disputer avec elle à ce sujet.

—  C'est ce que je vais faire, concéda-t-il avec un soupir.

Il reprit le couloir étroit et déposa sa veste et ses affaires dans sa chambre. Il en profita pour récupérer un caleçon propre et alla prendre une douche qui ne fit rien pour apaiser son envie de s'arracher à sa propre peau.

Il alla ensuite se coucher et s'endormit avec son casque sur les oreilles jouant en boucle Hurt de Nine Inch Nails.

Lorsque ses yeux s'ouvrirent à nouveau, il était pieds nus et ne portait que son caleçon. Il marchait à travers la forêt, ses pieds se posant l'un devant l'autre sans son accord et une voix semblait murmurer à l'intérieur même de son cerveau : "Viens Pierre. Rejoins-moi..."

Tout lui revint alors en mémoire. La raison pour laquelle ses souvenirs étaient brumeux, ce qui le poussait à être toujours sur le qui-vive et la raison pour laquelle son loup lui restait inaccessible.

C'était lui-même qui le bloquait inconsciemment, refusant de le laisser être pris au piège, comme lui.

Il ne se sentait jamais en sécurité parce qu'il ne l'était pas. Parce qu'il était toujours leur prisonnier, leur pantin. Parce que d'un jour à l'autre, les Helsings pouvaient le rappeler et qu'il n'avait aucun moyen de lutter.

Son nom, il le haissait parce que cette voix l'utilisait.

Et pourtant, il savait qu'en se réveillant chez Gramz au matin, il aurait à nouveau perdu ce savoir.

Silver Moon (Wolves Chronicles - tome 2) [Carlando + Piarles]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant