7. Soirée d'intégration

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À peine Nemo avait-il regagné sa chambre pour passer sa première nuit au Tank Gang qu’il se roula en boule dans son lit. Au bout de cinq minutes, il se tourna sur la droite en grimaçant à cause de sa jambe puis au bout de cinq autres minutes, il se tourna sur la gauche. Une soirée passionnante… le moment le plus amusant fut quand il remonta sa couverture au-dessus de sa tête et Nemo se dit que sa vie devait être bien triste pour s’amuser avec ça. Il n’était pas encore 21h que l’équipe de nuit entra dans sa chambre pour se présenter.

“Bonsoir, nous sommes deux cette nuit… comme toutes les nuits. Vous êtes nouveau alors je vous explique moi-même le règlement comme ça, nous serons au clair et vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas.” annonça l’infirmière avec une voix sèche. “Je passe dans le salon à 22h précisément pour vous dire de regagner votre chambre, vous avez intérêt à être rapide même si TECHNIQUEMENT le couchage est à 22h30… je n’aime pas qu’on me résiste et je vous préviens que je ne supporte pas qu’on m’implore parce que la fin du film est dans cinq minutes. Je ne suis pas là pour la beauté du cinéma, c’est clair ?”

“Euh… c’est-à-dire que je suis déjà dans mon lit…” balbutia Nemo.

“Eh bah c’est très bien.”

Il profita de cette interruption inattendue pour s’étirer et sécher ses larmes… il n’avait pas réalisé qu’il pleurait. Heureusement qu’il avait pris un calmant, cet endroit était sacrément nul. Il comptait mettre ça au clair avec le psychiatre, demain. Il n’avait rien fait de mal et devrait pouvoir au moins voir son père, non ? C’était un malentendu et son papa allait le tirer de là, comme toujours.

“Je ne tolère pas la lecture à la lampe torche ni rien de ce style, la nuit c’est pour dormir. Je passe régulièrement voir si vous dormez ou pas. Vous avez le droit d’aller aux toilettes mais ne traînez pas… si vous y croisez un autre malade, ne discutez pas… on n'est pas au club-med. Vous pouvez venir me voir si vous avez un problème, on peut en parler mais ne devenez pas vous-même un problème. Est-ce que c’est bien clair ?”

“Oui madame.”

“Bon, c’est bien.” elle hocha la tête. “Dormez.”

Elle quitta la chambre en éteignant la lumière et Nemo tenta à nouveau de s’endormir… au bout de quelques minutes, il était tiraillé entre son esprit embrouillé par tous les changements et l’inquiétude. Il ralluma la lumière pour fouiller dans ses affaires. Apparemment, il n’avait pas le droit de voir son père mais ce dernier lui avait quand même rempli une valise. Il lui avait plié plusieurs T-shirt, des pulls et des caleçons mais il n’avait pas rajouté le moindre livre ni rien d’amusant. C’était décevant.

Nemo fixa le plafond pendant de longues minutes, la lumière rouge du couloir diffusait des ombres mouvantes, c’était presque poétique. Il entendit un énorme raffut aux alentours de 22h10… les autres regagnaient leurs chambres. Il ne semblait pas y avoir la moindre résistance, il ne comprenait pas pourquoi l’infirmière était aussi stricte sur les règles. Enfin, il eut l’impression de s’endormir mais il ouvrit les yeux brusquement en entendant une sorte de grincement. On ouvrait sa porte, il s’attendait à voir l’infirmière ou son collègue mais il sursauta. Ce n’était ni l’un ni l’autre… c’était Astrid et sa bande !

“Mais qu’est-ce que tu…”

“Chuuut.” répondit Astrid. “J’ai ramené Bulle parce qu’il est comme moi… c’est un super radar et j’aimerai profiter de la fête. Pas de bol, y’a Petsec ce soir alors on va pas faire de bruit, faudrait pas que t’es un avertissement pour ton 1er jour. Deb voulait ABSOOOLUMENT venir et Boule nous a chopé du pain et quelques brownies, c’est le meilleur. Gargouille aurait adoré passer mais t’as pas été décontaminé et on sait pas où Boule a chopé ses snacks… quant à Jacques, il a passé la soirée à mettre au point un nouveau type de détergent avec ce qu’il a réussit à piquer dans les placards pour le ménage et quand je suis passé dans sa chambre, c’était en train de faire fondre son bureau. Je préfère pas prendre de risque avec son truc... ça ne me semble pas clean, tu vois ?!"

“Bah je vois, je vois… je vois surtout que je veux pas vous voir !!!”

“Ah et Gill veut pas te voir, en parlant de ça.” ajouta Astrid. “Je crois qu’il aime pas que tu sois dans la chambre de Chuckles ou alors c’est tes jambes le soucis, j’sais pas.”

Deb était plutôt timide, elle restait debout dans un coin de la pièce et détournait le regard… à moins que ça ne soit encore pour parler avec la fenêtre mais Nemo avait d’autres soucis. Il regardait Boule sortir des gobelets et quelques boîtes de gâteaux de ses poches, installant tout sur une nappe improvisée avec des taies d’oreiller de l’institut.

“On peut pas s’en aller, c’est ta soirée d’intégration” expliqua Astrid en s’asseyant sur son lit. “Grand fou.”

“J’suis pas un grand fou… et descends d’ici !!!”

Elle leva les yeux au ciel, se leva et s’installa directement sur le sol pendant que Bulle surveillait la porte avec un immense sérieux. Il chuchota “BULLE” soudainement alors Boule roula la taie d’oreiller pour faire disparaître les preuves et ils se cachèrent tous sous le lit, disparaissant derrière les draps trop longs de Nemo. Il s’écoula plusieurs secondes puis Bulle décida que c’était bon, ils étaient bien entraînés. Ils sortirent de leur cachette.

“Vous êtes de grands malades.” chuchota Nemo.

“Oui, c’est le principe.” répondit Astrid. “Moi je suis borderline. Gargouilles est misophobe. Jacques a des TOC. Boule, des TCA. Bulle, on sait pas trop, j'ai entendu dire qu'il est autiste mais bon, c'est un bruit de couloir, ça n'a pas d'importance. Deb est schizophrène. Gill est…”

“Je ne suis pas schizophrène !” protesta Deb.

“Bah officiellement, tu es schizophrène mais en vrai… c’est compliqué.”

C’était sans doute trop tard pour protester, ils s’étaient réunis à trois sur le sol de sa chambre pour boire du jus de pomme pendant que Bulle surveillait toujours la porte… Nemo se résigna et demanda qu’on lui serve un verre. Il comptait toujours partir le plus rapidement possible mais il comprenait qu’il allait au moins rester plusieurs jours… autant ne pas se compliquer la vie.

“Tu connais tout le monde ?” demanda Nemo.

“Le Tank Gang est petit, c’est une unité spéciale mais ça tombe bien parce qu’ils sont surchargés dans l’aile psychiatrique pour les jeunes.” raconta Astrid. “Le plus ancien, c’est Gill… le dernier c'était Chuckles…”

“On ne parle pas de Chuckles !” rappela Deb. “Flo est toute triste, après.”

Boule donnait un brownie à Nemo qui se posait de plus en plus de questions… Astrid n’aurait pas pu le perturber davantage, il ne comprenait plus rien. Enfin, si. Il comprenait que c’était plus grave que ce qu’il croyait et qu’il commençait à avoir peur.

“C’est qui, Flo ?” demanda-t-il en sachant qu’il risquait de ne pas aimer la réponse.

“Tu vois Fight Club ?”

“Euh… non, pas du tout.”

“Alors en fait…” commença Astrid.

“Stop, il n’est pas près pour ça.”

Ils sursautèrent tous en même temps, Nemo avait renversé la moitié de son jus de pomme sur la taie d’oreiller et Bulle haussa les épaules, il ne savait pas s’il aurait dû les prévenir pour l’intrusion de Gill ou pas.

“Chouette, Gill !” s’écria Astrid. “T’as décidé de venir, finalement… c’est lui qui faisait les soirées d’intégrations, avant et il organisait des trucs de malade avec des effets pyrotechniques de fou et tout. Mais depuis l’accident avec Chuckles, il…”

“Tu sais jamais quand la fermer, toi.” coupa Gill. “Bon, allez ! Rangez tout ça et au lit tout le monde, ça a assez duré.”

“Mais attends, on lui a pas encore trouvé son nom et tout…”

“Je te nomme… frère sushi. Voilà, il a son nom. Basta, la fête est terminée.”

Le Monde de NEMOOù les histoires vivent. Découvrez maintenant