10. Baka-Unga

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Bakunga tire son nom d'une ancienne localité, créée par une femme dénommée Unga, qui était à la tête d'un clan, et dont l'existence était menacée par les royaumes environnants, bien plus puissants. Elle descendait également d'artistes bantous, qui avaient tenté, sans réussite, de prospérer dans la vallée du Nil. En cheffe de clan, elle offrit d'apporter ses talents exceptionnels de sculptrice à l'un des rois voisins, tentant ainsi d'éviter l'esclavage aux membres de son clan.

Ses sculptures conquirent tous les cœurs de la cour royale et lui permirent d'acquérir, au sein du royaume, un territoire a priori sans valeur et tapi de petites collines. Le sol y était pauvre, rendant la culture particulièrement laborieuse. Cependant, les roches dures dont ces collines étaient recouvertes se prêtaient admirablement à la sculpture et à la joaillerie. Plusieurs royaumes admiraient les œuvres d'art qu'Unga et les siens produisaient à partir de ces roches. Cela ne tarda pas à entraîner une forte croissance de l'économie, et plus tard, le territoire prit le nom de Baka-Unga, qui signifie « les lieux d'Unga ».

Cette fortune croissante du clan Unga devint rapidement intolérable pour les autres habitants du royaume, qui décidèrent de déposséder la cheffe de son territoire, afin d'en tirer eux-mêmes profit. Elle fut donc contrainte à l'exil, ce qui eut raison de sa santé. Elle fut enterrée dans la région qui correspond aujourd'hui au sud-ouest de la Zambie. Baka-Unga redevint peu à peu le territoire sans intérêt, dont le peuple d'Unga avait hérité autrefois.

Quelques siècles plus tard, une colonie d'explorateurs européens élut domicile à Baka-Unga, afin d'exploiter ses trésors minéraux. Une grande ville se forma progressivement, bien au-delà de ses limites, autour du camp minier ainsi créé. On appela cette ville « Bakunga ». C'est la ville dont étaient originaires Mutis et ma mère. Ma mère l'avait quitté très jeune, n'en gardant que d'agréables souvenirs. Mais lors de mon passage, il ne restait pas grand-chose de ce qui avait été l'une des plus belles villes du centre du continent.

À mon réveil, je me sentis encore perdue, incertaine d'être retournée à la réalité. J'étais couchée sur un lit, dans une pièce ressemblant à une chambre d'hôpital. Comme je n'étais pas attachée, j'en profitai pour m'asseoir. Mon corps ressentait beaucoup de fatigue et la crainte d'être en captivité me terrifiait. J'entendis alors des bruits de conversations. Par la fenêtre, j'arrivai à distinguer différentes personnes, qui se trouvaient à l'extérieur : des infirmiers, des patients, des habitants ordinaires de Bakunga. Il fut dès lors certain que je me trouvais dans un hôpital de la ville, ce qui me rassura.

Mon petit sac était accroché au mur et ouvert. Allongeant le bras, je le décrochai pour y chercher mon téléphone. La vue de mon cellulaire dissipa davantage mon inquiétude. Je commençai par appeler mon oncle Mutis.

- Allô, ma fille. Es-tu bien réveillée ? Comment te sens-tu ? me demanda-t-il.

- Je me sens faible, mais je crois que ça ira.

- Une infirmière se tient près de toi ? Tes cousines sont avec moi, ici à l'hôpital.

- Je n'ai encore vu personne, donc aucune infirmière. Et Kaba ?

- Kaba a encore besoin de repos, mais il est sain et sauf. Pouvons-nous venir te voir ? s'empressa-t-il de me demander.

- Oui, s'il vous plaît. Venez, lui répondis-je.

- Nous arrivons tout de suite.

Deux jours plus tard, sous protection policière, je montai à bord d'un avion-cargo à destination de la capitale. J'étais assise avec les membres d'équipage, pour qui il était courant de voyager avec des passagers, parce qu'il n'y avait pas assez d'avions de ligne reliés à Bakunga. Dans mon sac à dos se trouvait la bouteille de parfum que j'avais pris soin de récupérer dans la voiture de Mutis. Nos assaillants l'avaient abandonnée avec le chauffeur, à quelques kilomètres, hors de la ville.

Officiellement, Kaba et moi avions été enlevés par des bandits armés, qui s'étaient heurtés à la police alors qu'ils tentaient de sortir de la ville. Ces criminels nous auraient alors abandonnés dans les véhicules, préférant s'enfuir à pied dans la forêt, pour pouvoir échapper aux forces de l'ordre. Kaba et moi aurions été inconscients durant tout ce temps. La police serait toujours sur les traces de nos assaillants, qu'elle était sûre de capturer dans les prochains jours, selon le commissaire Mangaya.

Mon père et mes deux frères vinrent me prendre à l'aéroport à mon arrivée dans la capitale. Sur la route, le chaos formé par l'immense trafic routier mal régulé des grandes artères de la ville et le bruit infernal des klaxons, mélangés aux cris des gens, à la chaleur et à l'humidité, me paraissaient bien plus vivables que la semaine mouvementée que je venais de passer dans l'arrière-pays.

Quelques mois plus tard, je réalisai que j'étais devenue insensible à plusieurs agissements que je jugeais autrefois irritants. Mon séjour dans la Province du Centre semblait m'avoir rendue plus patiente et plus compréhensive. Mon père s'inquiétait tout de même pour ma santé mentale. Inconsciemment, j'avais peut-être été traumatisée par ce voyage à Bakunga, mais je n'avais certainement pas été ébranlée. Le souvenir de la bravoure de ma mère m'apportait du courage. Elle était tout pour mon père. Désormais, je me devais d'être là pour mes frères et lui.

Mon obstination à établir toute la vérité sur Tehla demeurait intacte. Mes objectifs pour y parvenir se précisaient. Je devais à tout prix découvrir, qui étaient en réalité Éric et ceux qui avaient écrit le message. Je ne savais cependant par où commencer. Ces mystérieux protecteurs me connaissaient visiblement bien et semblaient surveiller mes moindres faits et gestes, ce qui me conforta dans l'idée qu'ils me contacteraient sûrement, afin de me révéler toute la vérité dans un futur, que j'espérais proche. Cela me rassurait sans doute, mais me troublait bien plus. Pourquoi m'avaient-ils laissé cet objet qui était hautement convoité par ceux qui nous avaient enlevé Kaba et moi ? Qui étaient ces faux policiers, et étais-je dorénavant en meilleure sécurité ?

En repensant au message, je réalisai que ses auteurs insinuaient que j'avais déjà parlé de Tehla à quelqu'un. Faisaient-ils allusion à Kaba ou à Dendu ? Techniquement, Dendu était la seule personne à qui j'avais montré Tehla, en dehors de mon père. Cela impliquait que, d'une part, j'étais suivie depuis le Tanganyika, et d'autre part, que Dendu avait pu être impliqué dans le cambriolage de ma chambre. L'objet m'avait d'ailleurs été mystérieusement retourné, me rappelai-je. Il restait beaucoup de questions auxquelles j'espérais trouver des réponses dans les prochains jours de ma vie.

Le peu de temps qui me restait au pays se résuma en une période de retraite et de méditation. Le bien-être de ma famille dominait mes préoccupations. Mon amitié avec Dendu est ce qui avait le plus pâti de cette récente aventure. Nous n'avions pas autant communiqué que nous aurions dû. De plus, nos priorités s'étaient révélées divergentes durant cette courte première séparation. Et désormais, quelqu'un d'autre occupait mes pensées.

Je quittai la capitale deux semaines plus tard. Dès mon retour à l'université, il fut clair aux yeux de mon entourage, que la fille qui avait voyagé pour son pays natal y était restée. Cette aventure m'avait en effet profondément changée. J'avais le sentiment d'avoir appris en seulement deux mois, ce qui aurait normalement exigé dix ans.

 J'avais le sentiment d'avoir appris en seulement deux mois, ce qui aurait normalement exigé dix ans

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Le Véhicule Des Vivants, Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant