Chapitre 2 - Errance nocturne

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Quelque part dans le district nord de la méta-cité. Zone des docks.

Perchée sur le faîte d'un des buildings des docks, une silhouette solitaire observe d'un air amusé la méta-cité grouillante de vie en contre bas. Dans ses chaussures, elle remue les orteils pour se mettre à l'aise et détendre ses muscles gourds. Sous ses pieds, elle sent la solidité du béton. Face à elle, le vide qui l'appelle. Une bourrasque balaye ses mèches noires qui virevoltent avec le courant d'air. D'un geste vif, elle réajuste son masque et le col de son sukajan avant de coincer ses cheveux derrière son oreille. Elle sent la pression du sol et, encore une fois, assure sa posture en bougeant ses pieds.

Puis le vide.

Cette sensation de flottement. De chute. De liberté. C'est tout ce qu'elle aime.

Le vide.

Également dans son esprit. Ces sauts lui offrent la possibilité de tout remettre à plat et de ne penser à rien.

Encore le vide.

L'appel de ce dernier la pousse en avant. D'un simple pas, elle bascule. Le monde se retourne. Les artères illuminées de la ville deviennent son ciel et celui-ci la voie qu'elle emprunte. Malgré son expérience, une pression sourde lui comprime la poitrine. Une crainte. Celle qui lui intime de rester en vie et qu'elle ne devrait pas agir ainsi. Mais, c'est plus fort qu'elle. Elle veut se confronter à son instinct de survie.

D'une rapide torsion de son corps, elle se retrouve à l'endroit avant d'atterrir d'un mouvement leste dans une roulade parfaitement maîtrisée. Cette fois encore, elle laisse son instinct remporter cette victoire. Cette manche. La prochaine fois, pense-t-elle. La prochaine fois, je pousserai plus loin, plus longtemps. La silhouette se relève et continue son chemin au pas de course suivant le vent. Son guide, son allié.

Sur la cime de la méta-cité, bondissant de toit en parapet, de terrasse en coursive, une ombre solitaire se hâte. Invisible aux yeux de la masse grouillante des habitants en contrebas, la silhouette profite de la nouvelle lune pour ses déplacements. Même l'astre sélène détourne son regard argenté de ses pérégrinations. Toutefois, l'absence de la lune n'empêche pas la ville de briller sous la lumière crue des néons et des hologrammes. Même en pleine nuit, il fait jour.

D'un bon preste, l'individu décolle du faîte où il se tient et se réceptionne dans une roulade sur l'entrepôt en contrebas. Une quinzaine de mètres sépare les deux bâtiments. Une difficulté diraient certains. Mais pour la jeune femme qui se relève, ce n'est qu'une formalité. Elle reprend sa course d'un pas léger. Ses habits sombres la masque des potentiels regards indiscrets. Ombre parmi les ombres, elle chasse.

Tout comme elle, d'autres s'adonnent à leurs activités nocturnes. Plus ou moins morales. Plus ou moins légales. Comme la plupart de mégalopoles, Shandong n'échappe pas à la règle, la ville ne dort jamais. Ses habitants non plus. De jour comme de nuit, une certaine frénésie règne dans les ruelles sombres, dont l'éclairage blafard des luminaires usés ne parvient pas pleinement à illuminer. Depuis quelques heures déjà, elle traque ses proies. Proies qui se pensent être chasseurs alors qu'ils sont les chassés. La nuit, les criminels sont de sortie. Et la jeune femme en fait partie.

Son ouïe aiguisée lui confirme l'objet de sa course nocturne. Des halètements diffus qui résonnent à son oreille comme autant de cris de détresse. Les bruits de pas en dessous d'elle appuient ce qu'elle sait déjà, une course poursuite. Quelques vivats retentissent dans l'obscurité. Des voix rauques parsemées de rires gras lui parviennent. Elle continue en direction des échos. Elle parvient à la bordure du toit de l'entrepôt. Engoncée entre deux bâtiments, une ruelle qui se termine en cul-de-sac.

ConjureurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant