Chapitre 2 - Assiettes et retrouvailles

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Le lendemain matin, Énée arriva à la villa Patricis, accompagné de ses deux sœurs jumelles. Tout le long du trajet, elles n'avaient cessé de piailler, chacune tenant une main gantée de leur aîné. Les deux petites filles, âgées de sept ans, commentaient tout ce qu'elles voyaient, les yeux brillants de curiosité. Elles bavardaient et posaient des questions sur tout ce qui les entourait, sans même attendre les réponses de leur frère.

— Dis Énée, c'est le forum ? demanda la petite Alcmène.

— Oh ! Regarde Énée. Est-ce que c'est le musée ? lança Euripide.

— Mais non ! rétorqua sa jumelle, c'est le temple de Vela.

— Tu dis n'importe quoi, c'est celui d'Ourm.

— Non, je reconnais le char. C'est Vela.

— Ourm aussi a un char et il chevauche un dragon.

— Ce n'est pas un dragon, c'est un centaure, les corrigea Énée.

Le jeune homme faisait de son mieux pour ne pas se laisser envahir par leur pépiement et tentait de leur apprendre certaines choses. Le problème, c'est qu'à sept ans, les filles préféraient poser des questions qu'obtenir les réponses et la civilisation ne les intéressait pas. Le soir, Énée avait bien tenté de leur faire la leçon, mais seuls les récits sur les dieux leur plaisaient. La réalité historique n'avait aucune saveur à leurs yeux.

— Elle est où la villa ? demanda Euripide.

— Par ici.

Cela faisait plus de deux ans qu'Énée ne s'était pas rendu chez Sylvan. Il s'était juré de ne plus venir dans ce quartier. Ce matin, tout en portant dans un sac en cuir le goûter que Thétis avait préparé pour les filles, Énée se demandait pourquoi il revenait ici. La vieille dame et son mari s'étaient montrés fous de joie en apprenant qu'il avait accepté cet emploi, et il n'avait pas eu le cœur à leur dire que le galeriste n'était autre que Sylvan. Comment auraient-ils réagi en l'apprenant ? Ils l'avaient vu des dizaines de fois jouer sur la place avec ce garçon, avant qu'il ne sorte brusquement de sa vie. Comment Énée avait-il pu accepter cette proposition ? Comment avait-il pu céder aussi facilement ? À chaque fois qu'il repensait à Sylvan, ses maigres poils se hérissaient et son corps se tendait. Comment allait-il pouvoir le supporter tous les jours, jusqu'à obtenir ce qu'il souhaitait ?

Se forçant à penser à autre chose, il reporta son attention sur la ville, à la recherche de la Villa Patricis. La cité foisonnait d'activités. Énée et les filles s'engouffrèrent dans une ruelle s'ouvrant sur une place composée de belles villas citoyennes, face à la mer. Celle de Sylvan se trouvait au bout de la rue. La première fois qu'il y était venu, enfant, alors que la famille s'était proposée pour accueillir des émigrés, pour une œuvre de charité, Énée était resté estomaqué par la beauté du lieu. La villa était une œuvre d'art à elle toute seule. Face à la mer Eola, elle se composait d'une façade en pierre blanche, marquée par des décors alambiqués, composés d'ornementations florales.

Énée et ses sœurs se présentèrent à la porte d'entrée, ouverte par une arche soutenue par deux colonnades. Ils furent accueillis par une femme à l'allure austère, portant un voile et un bracelet doré autour du poignet droit. Aussitôt, le jeune homme se tendit, alors que les jumelles affichaient des yeux émerveillés. Énée aurait dû se douter que des esclaves occupaient toujours la villa. Au village, il n'y en avait pas, mais les riches familles citoyennes possédaient souvent des domestiques, et des personnes non libres.

—Énée Agïade, se présenta-t-il, je suis attendu par Sylvan Patricis. Mes sœurs doivent être prises en charge par un précepteur.

— Monsieur se trouve dans l'atrium, répondit l'esclave, les yeux baissés, vous pouvez me suivre.

Le collectionneur et l'historien [Romantasy Historique MxM]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant