Chapitre 17 - Cléon et Hélène

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Chez les Patricis, chaque parent préférait un enfant. Cléon avait toujours été proche d'Agnès, alors que sa femme idolâtrait Sylvan. Seul Anthonois échappait à ces préférences parentales. Ayant toujours été indépendant, l'aîné avait quitté la villa à l'âge de quatorze ans pour épouser une carrière militaire. Déjà enfant, il maniait le glaive comme personne et aucun d'eux n'avait été étonné lorsqu'il avait annoncé qu'il s'engageait dans l'armée. Anthonois avait quitté son foyer, laissant l'oikos entre les mains de ses géniteurs, et de ses frères et sœurs. Hélène l'avait mal vécu, mais elle s'accrochait à son cadet comme une étoile de mer à un rocher. Longtemps, Cléon et sa femme s'étaient disputées. Hélène souhaitait que Sylvan hérite de tout, comme le voulait la loi de la cité. À Ishtma, les enfants de citoyens obtenaient ce statut par nature, en vertu du droit du sang, mais seuls les garçons étaient héritiers. Les femmes ne possédaient qu'un droit de transmission, via la filiation, et une autorité sur la maisonnée, là où les hommes géraient les affaires commerciales et politiques.

Cette loi avait toujours gêné Cléon. Déjà, lors de ses épousailles avec Hélène, il était contre cette règle. Il s'y était d'ailleurs opposé lorsque l'Ecclésia l'avait voté, faisant parti des opposants, arguant que les femmes avaient droit – comme les hommes – de posséder les mêmes privilèges. Hélène l'avait aimé pour cela. Pour son engagement politique, pour ses idéaux démocratiques, pour son désir d'apporter l'égalité entre les hommes et les femmes. Quant à Cléon, il aimait Hélène comme personne n'avait aimé une femme avant lui. Il l'aimait comme un tout, comme un absolu, comme un aède chantant pour sa muse. Hélène, c'était son amour, sa vie. La femme qu'il avait épousée, alors même que sa famille était désargentée. Il était tombé amoureux d'elle dès l'instant où son regard avait croisé ses yeux violets. Des iris d'une couleur si particulière. Des iris de la même couleur que ceux de la déesse Ishtma. Deux améthystes, brillants dans le soleil.

Ensemble, ils avaient eu trois enfants. Anthonois, Sylvan, Agnès. Cette dernière était sa préférée. De toute façon, Cléon préférait les filles. Il n'avait aucune affinité, ni aucun sujet de conversation avec le premier. Quant au second, son amour des arts et son attrait pour ce garçon – Énée – le dégoûtait. Il avait bien vu le regard que son fils aux yeux violets posait sur lui. C'était le même que Cléon destinait à Hélène et il ne pouvait pas laisser les choses se faire ainsi. Cléon passait la plupart de son temps avec sa benjamine. Agnès était comme lui. Ambitieuse, autoritaire. Elle le suivait partout, l'accompagnait à toutes les assemblées citoyennes, menait la maison d'une main de maîtresse. Elle avait plus de poigne que ses frères. Elle méritait plus que Sylvan d'hériter des charges qui lui seraient confiées.

Cléon préparait sa revanche contre le vote de l'Ecclésia lorsqu'Hélène était tombée malade. Au début, il n'avait rien vu. Occupé à œuvrer pour changer la loi, et à surveiller les escapades nocturnes de Sylvan, il n'avait pas vu que sa femme déclinait de jour en jour. Les choses s'étaient faites de façon lente, presque imperceptible. D'abord, Hélène avait eu des pertes de mémoire. Parfois, son regard devenait vide, elle ne parlait plus et fixait le mur devant elle. Les premières fois, Cléon en avait ri, n'y voyant là que des petits vertiges passagers. Mais ils s'étaient faits plus nombreux. Des guérisseurs s'étaient pressés à la villa. Des prêtres et prêtresses d'Asclios, qui lui avaient tous donné le même diagnostic. Cela ne durerait pas. Ce n'était que des absences passagères.

Les jours étaient passés. Peu à peu, les pertes de mémoire s'étaient accentuées. Puis, Hélène avait eu du mal à se lever. À marcher. À s'habiller seule. Un jour, elle avait disparu. Cléon l'avait cherché partout dans la cité, craignant le pire, avant de la retrouver assise sur la plage, les pieds dans l'eau, sa toge mouillée. Hélène ne disait rien. Elle contemplait l'horizon de ses yeux violets. Ceux qu'elle avait donnés à leur cadet. Ceux que Cléon aurait préféré offrir à leur fille. Il avait ramené Hélène à la villa, l'avait aidé à se laver et à se changer, puis l'avait veillée toute la nuit. Le lendemain, d'autres guérisseurs s'étaient présentés, dont un Eklektos. Cléon ne portait pas ces élus des dieux dans son cœur, mais il reconnaissait leur utilité. C'était d'ailleurs pour cela qu'il avait accepté qu'Énée Agïade étudie chez lui, pas uniquement par charité, mais parce que l'enfant lisait les objets. C'était pratique. Le prêtre avait posé ses mains sur les tempes d'Hélène et ses lèvres avaient murmuré :

Le collectionneur et l'historien [Romantasy Historique MxM]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant