Chapitre 2

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Bien que je jurerai n'être pas restée plus d'une année enfermée à l'intérieur de ma prison, force était de constater que la pièce dans laquelle j'atterris réfuta mon impression. Malgré des yeux douloureux à cause de l'intensité de la lumière, j'eus la sensation d'être projetée dans un autre monde. L'appartement richement décoré, l'était pourtant de manière singulière. Moi qui autrefois suivis la mode de très près, je me sentis soudain démodée. Le mobilier, l'agencement de la pièce, les tissus... tout me paraissait étrange. C'est donc cela la modernité ? Mais combien de temps avais-je passé dans ce foutu coffret ?
Je me souvins alors que celui-ci s'écoulait plus lentement qu'à l'extérieur. Comment avais-je pu oublier ce détail ?
A peine commençai-je l'inspection des lieux que j'entendis quelqu'un pousser un juron derrière moi. Ma conscience n'eut guère le temps de réaliser quoique ce soit, que je me prosternai un genou à terre et la tête rentrée dans les épaules, mue par une force invisible et incontrôlable.
Cette sensation familière me pétrifia sur le coup. A l'instant où je touchais le sol de pierre froide, je compris ce qu'il se passait. Le frottement d'une lame que l'on tire de son fourreau parvint à mes oreilles. Mes paupières se fermèrent par réflexe au souvenir des atrocités que ce son m'évoquait.

- Relève-toi immédiatement et sans gestes brusques, m'ordonna une voix d'homme.

Malgré le ton calme, son ordre ne souffrirait aucun refus d'obtempérer. Une menace sourde se cachait sous la surface de ces quelques mots. N'ayant de toute façon pas le choix, j'obéis à sa demande. La pression sur mon corps disparut pour me laisser me relever.

- Les bras, dit-il sèchement.

Je les écartai de mon corps, paumes en l'air en signe de reddition.
Après une longue période d'attente, captive du coffret à bijoux, je rencontrai mon nouveau maître. Le précédent, Barok était nibien comme moi. Tout naturellement, supposai-je que celui-ci le serait aussi. Je fus donc stupéfaite de découvrir que l'homme debout face à moi venait du Surat. Et à en juger par les nombreux dessins sur son corps halés par le soleil, la richesse de ses vêtements et du mobilier, il s'agissait d'un noble surati.

Shirin, tu as tiré le gros lot ! Tu es sous les ordres de l'ennemi ancestral de ton pays.

La peur me glaça le sang à cette idée. La cruauté des suratis se racontait au travers d'histoires effrayantes parmi les nibiens. Fermement ancré entre ses doigts, un poignard pointait vers moi sa lame affûtée.
Durant quelques secondes qui me parurent une éternité, nous nous scrutâmes l'un l'autre. Mes années de servitude n'effacèrent pas les élans de vanité qu'il restait de mon ancienne vie. Aussi, je ne pus réprimer ce sentiment de honte que j'éprouvais en comparant mes guenilles à la tenue de mon maître. J'étais habituée à porter la soie la plus élégante et raffinée que mon père, un riche marchand nibien, importait de ses voyages. Aujourd'hui et jusqu'à ce que l'homme devant moi en décide autrement, mon unique vêtement (une tunique bleu nuit qui s'arrêtait au-dessus des genoux et une paire de sandales de cuir) reflétaient bien la misère de ma condition. Aucun foulard, aucune parure n'agrémentait mon apparence hormis les bracelets de platine qui enserraient mes poignets. Signe de mon asservissement. Mes longs cheveux clairs retombaient tristement sur mes épaules, sans apparats ni fantaisies. En revanche et malgré leur simplicité, ce que mon maître portait (une chemise de lin beige à manches recourbées, brodée de fil d'or et un pantalon un ton plus foncé), affichait clairement son haut rang dans la noblesse suratie. Ses bras étaient entièrement recouverts de dessins à l'encre noire.
Quand nous étions enfants, ma sœur Leela me mit au défi de questionner un des esclaves suratis de mon père au sujet de ces étranges arabesques. Il m'apprit que dans leur pays, la coutume voulait que l'on inscrive son histoire, les faits marquants de sa vie, sur la peau. A l'encre indélébile. Pour ne pas oublier d'où ils venaient ni qui ils étaient. Le soir, au dîner, je fis la demande à mon père de bien vouloir dessiner sur ma peau l'histoire de ma vie (et au passage celle de Yara, notre chienne). La seule marque que je reçus fut la trace de sa main sur mon postérieur.

Le surati raffermit sa prise sur le manche de la dague. Au dos de sa main, je reconnus le soleil et la lune : Septou et Noune le Dieu-Père et la Déesse-Mère, créateurs de toutes vies. Je devais arborer un air confus et stupide, car il me demanda si je comprenais sa langue. La tentation de répondre bêtement à sa question idiote fut grande. Ne lui avais-je pas obéi un peu plus tôt ? Je souris en constatant que mon esprit rebelle était toujours présent. Je hochai simplement la tête. Inutile d'attiser sa colère. Ses sourcils se froncèrent. Les traits de son visage se durcirent. Il devinait sans doute, par mes cheveux et mes yeux verts que le Surat n'était pas mon pays de naissance. Il ignorait cependant ma nature et ma capacité à parler plusieurs langues.

S'il savait que nous étions ennemis...

- Qui êtes-vous ?

Son regard ne me lâcha pas tandis que je rabaissai doucement mes bras et les ramener le long de mon corps.

- Mon nom est Shirin, commençai-je. Je suis...
- Qu'est-ce que vous êtes, bon sang, me coupa-t-il. Vous êtes sortie de ce coffre. Comment est-ce possible ?

Qu'est-ce que vous êtes ? Je n'en avais pas la moindre idée. Une prisonnière ? Une esclave ? Une nibienne.

- Ce coffret, dis-je en désignant la boîte abandonnée sur une petite table, renferme un puissant pouvoir. En l'ouvrant, vous en êtes devenu l'unique possesseur. Vous m'avez libéré de ma geôle. Je suis désormais votre servante, récitai-je. Tout ce dont vous désirez...
- Cette boîte est un artefact magique.

Il ne semblait pas attendre de réponse. Et je m'abstins de lui en fournir. Mon maître saisit l'objet pour l'observer de plus près, la dague toujours en main.
Ses yeux gris, méfiant, se posèrent à nouveau sur moi pour m'étudier. Soudain, il jeta le coffret à travers la pièce. Il rebondit sur le lit à baldaquin pour atterrir lourdement sur un tapis de fourrure.

- Est-ce là une ruse des nibiens ? hurla-t-il.

En un mouvement fluide, une seconde lame apparut comme par enchantement, menaçant de se ficher au centre de ma poitrine.

- Non, tentai-je de le résonner. Vous êtes le possesseur du coffret, je vous dois obéissance. Vos désirs seront pour moi des ordres.

Dans l'incompréhension totale, ses armes se baissèrent à la suite de mes paroles.

- Très bien, dit-il d'une voix implacable. Je ne veux plus vous voir. Retournez donc dans votre cage !
- Comme il vous plaira, murmurai-je.

Et sur ces mots, je rejoignis ma prison.

D'or et de platineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant