Chapitre 7

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Une certaine routine s'installa depuis la nuit de mon arrivée au palais royal. Tous les jours, un peu après l'aube, j'étais réveillée par les servantes venues m'apporter un copieux petit-déjeuner. Chaque matin, je dégustai, assise à la table de mon salon, de délicieuses galettes de semoule tartinées de miel en sirotant un verre de lait fermenté. En picorant dans les coupelles de dattes et de melons, je profitai de la vue incroyable qui s'offrait à moi. La brise s'engouffrait dans la pièce, chargée d'odeurs marines. En contrebas, un ballet incessant de navires accostait sur le port bondé de Karna. Les équipages s'affairaient à décharger les lourdes caisses et les malles qu'ils transportaient. Je devinai en voyant la fièvre s'emparer des domestiques, que les invités débarquaient en nombre. Prêts à honorer dignement la déesse suratie.
En moins de temps qu'il ne m'en fallut pour me baigner et me vêtir, les servantes s'activèrent pour rendre mon appartement plus propre qu'à mon arrivée. La plus jeune d'entre elles, Hiba, se proposait toujours de m'aider à faire ma toilette. A chaque fois, je refusai poliment et ses grands yeux noisette se plissaient quand elle me gratifiait d'un sourire radieux en s'inclinant.
Après qu'elles eurent quitté ma chambre, le maître m'appelait auprès de lui. La première fois, je le surpris en me matérialisant à ses côtés alors qu'il n'était pas tout à fait vêtu. Nos regards stupéfaits se rencontrèrent avant que mes yeux ne descendent involontairement sur ses épaules larges. La peau recouverte de dessins masquait la majeure partie de son torse nu. Il proféra une flopée de jurons en attrapant un coussin pour cacher son anatomie. Bien que n'ayant aperçu que la naissance de ses poils sur son ventre bronzé, je rougis violemment en me confondant en excuses. Ce n'était pas la première fois que je me trouvais en présence d'un homme nu, mais les fois précédentes, je les reluquais en étant préparée à les voir dans le plus simple appareil. Mon maître enfila en hâte un pantalon et une chemise derrière un paravent. Ses sourcils froncés et ses yeux incendiaires me vrillèrent sur place lorsque je lui fis face.

- Ne peux-tu pas entrer comme tout le monde, s'exclama-t-il. En frappant à la porte.

Je m'inclinais, le visage aussi rouge qu'une tomate.

- Mes excuses, maître, bredouillai-je d'une voix confuse. Cela ne se reproduira plus.

Et je tins parole. Car les fois suivantes, j'atterris devant la porte de son appartement. A attendre qu'il veuille bien m'inviter à entrer. Lors de nos entrevues matinales (et celles d'après déjeuner), le temps s'écoulait sans que nous nous adressâmes la parole. L'envie de sortir de cette pièce étouffante le démangeait. Parfois, il bougonnait, maudissant sa famille de lui faire perdre ainsi ses journées. Il s'asseyait dans un recoin du salon. Une pile monstrueuse de documents sur une table menaçait de s'écrouler sur lui. Il retirait un parchemin et plongeait le nez dedans jusqu'à ce qu'il juge bon de me renvoyer dans mes appartements. Je restais debout, des heures durant, à jouir de la vue plongeante sur la mer. Au bas de la falaise, le ressac des vagues frappait la roche avec force. Certaines fois, par mauvais temps, les embruns du large aspergeaient de gouttelettes mon visage tandis qu'une senteur iodée emplissait mes narines.
Ainsi passai-je, dans un ennui profond, le plus clair de mon temps avec le prince. Qui aurait cru qu'ainsi entourée, je me sentirais aussi seule que dans ma geôle ? Pas une fois, nous ne vîmes le roi, la princesse ni aucun membre de la cour royale suratie. J'étais lasse de ces journées qui me rappelaient celles passées au sein de ma prison. Je fus même tentée de reprendre mon jeu et de calculer tout ce qui tombait sous mes yeux.
Tous les soirs, le palais s'animait. Le roi organisait de somptueuses fêtes en compagnie de l'élite suratie. Même le peuple prenait part aux réjouissances à l'extérieur de l'enceinte du palace. Depuis ma chambre, j'entendais la musique et les rires fuser autour de moi. J'imaginais les jardins luxuriants envahis de badauds ; les mets succulents aux fumées alléchants que les domestiques servaient aux convives. Les suratis dansaient, s'amusaient. Tandis que j'étais allongée sur mon lit, suffocante de chaleur, à attendre le lendemain. A revivre une journée aussi monotone que la précédente.
Jamais je ne m'étais laissé aller comme je l'ai fait cette nuit-là. Les larmes coulèrent sur mon visage et refusèrent de se tarir. Je me maudis d'avoir autorisé mes souvenirs à ressurgir. Ma vie d'avant me manquait. Repenser à ma famille et mes amis me brisait le cœur. A travers la fenêtre, la lune éclairait mon lit de ses pâles rayons. Je suppliai Noune de mettre fin à mon calvaire. La déesse resta muette face à mes supplications. Pleurant tout mon soûl, je m'endormis profondément sur un oreiller baigné de larmes.

D'or et de platineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant