Chapitre 4

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Mon apparition au centre d'un petit salon privé se fit sous le regard surpris d'un comité d'accueil. Outre mon maître, vêtu différemment (combien de temps s'était écoulé depuis notre rencontre ?), l'assistance se composait d'une magnifique jeune femme et d'un homme d'âge mûr. Les bras croisés sur la poitrine (aussi musclées et peintes que ceux de mon maître), elle me détailla scrupuleusement de la tête aux pieds. Son regard sombre et froid me jaugea. Je rougis de mon inélégance face à cette beauté suratie. Elle portait une somptueuse robe noire qui s'arrêtait aux genoux. Les larges bretelles dénudaient la peau cuivrée de ses épaules. A son cou, une sublime parure de diamants ornait sa poitrine. Avant que je sois forcée de m'agenouiller, j'eus le loisir d'observer l'homme âgé d'un rapide coup d'œil. Son visage mangé par une barbe argentée aussi blanche que sa chevelure masquait les traits du vieil homme. Cependant, son regard dur me rappela celui de mon maître. Existait-il un lien de parenté entre ces deux-là ?
Soudain, mes yeux s'écarquillèrent de surprise à la vue de son accoutrement et je faillis défaillir. Une toge beige descendait jusqu'aux chevilles, arborant des motifs cousus à la main qui formaient d'élégantes arabesques dorées. Un tel ouvrage était certainement l'œuvre d'un maître-artisan. Une corde tressée en guise de ceinture, plissait élégamment le vêtement à la taille. Une paire de sandales en cuir souple et une chevalière frappée à l'effigie du pays (une tête de lion rugissante) terminaient la tenue des souverains suratis.
Je fixai le sol, abasourdie. Je compris à cet instant que je servais un membre de la famille royale.

C'était bien ma veine ! Asservie par l'élite d'un peuple ennemi de ma propre patrie.

- Relève-toi !

J'obéis au ton sec de mon maître. Nous nous observâmes mutuellement, yeux dans les yeux. Son visage trahissait le dégoût qu'il éprouvait à mon égard. Si seulement il savait à quel point je répugnais à le servir. Fasciné, le souverain s'approcha de lui et posa une main frêle sur son épaule.

- Comprend-elle notre langue ?
- Oui, père.

Le prince surati (de mieux en mieux !) ne me quittait pas du regard. Plus suspicieux que la dernière fois.

- Comment nomme-t-on cette créature ? questionna le vieil homme.

Créature? Vraiment ?

- Je ne me souviens plus. Je crois qu'elle a mentionné un nom. Peu importe, père. Elle s'est échappée du coffret nibien lorsque je l'ai ouvert. Je persiste à croire que c'est un leurre. Nous devrions...

Le roi fit quelques pas en avant, ne prêtant plus attention aux suspicions de son fils.
J'hésitai une seconde à faire une révérence devant lui. Puisque ma malédiction ne m'y obligeait pas, j'estimai m'être assez prosternée pour le faire de mon plein gré.

- Quel est votre nom ?

Le souverain s'adressa directement à moi. Sa voix douce me surprit. Cette habitude s'était perdue depuis que les chaînes de l'esclavage entravaient mes poignets.

- Mon nom est Shirin, répondis-je.
- Tu t'adresses au roi du Surat, me rappela mon maître.

Mais d'un geste de la main, son père le fit taire.

- Laisse-la s'exprimer Kaylan. Pardonnez l'impolitesse de mon fils.

Bien malgré moi, je m'inclinais devant ledit fils.

- Une esclave ne peut blâmer son maître, Votre Majesté.

Irritée par notre échange, la jeune femme jusqu'ici silencieuse et en retrait, rejoignit le surati :

- Cessons ces babillages, père, pesta-t-elle. Je me fiche de savoir qui elle est et d'où vient-elle. La seule question qui m'intéresse est pourquoi appelle-t-elle mon frère, maître ?

Tous les regards convergèrent vers moi.

- Qu'êtes-vous donc au juste ? rajouta le roi.

Comment expliquer une situation qui me dépassait complètement ? La prudence me dictait de mesurer mes paroles. De ne pas en révéler plus que nécessaire.

- Ce coffret à bijoux, commençai-je en désignant l'objet, recèle une magie ancienne dont j'ignore les origines. La personne qui le détient en devient l'unique possesseur et mon devoir est de le servir. Cette magie coule dans mes veines. Je peux exaucer le moindre de vos désirs, récitai-je.

Un éclair de cupidité illumina le visage de la suratie. Son esprit perspicace lui dépeint les milliers de possibilités qu'offrait un tel pouvoir. Mon maître semblait plus avisé que sa sœur et fronça les sourcils. Réfléchissant au sens de mes révélations. Mon instinct me dit qu'il ne serait pas si facile à duper.

- Et quel est le prix à payer pour jouir de vos maléfices ? demanda-t-il, soupçonnant une quelconque ruse de ma part.

Oh pour vous, aucun, voulus-je répliquer. Pour moi, il m'en coûte rien de moins que ma liberté !

- Il n'y en a aucun, maître.
- Cesser de m'appeler ainsi, s'exclama-t-il, agacé. Père, ne voyez-vous pas ? Ce doit être une ruse des nibiens. Le coffret provient de la dot de la princesse Darya.
- Ne sois pas stupide, petit frère, interrompit la jeune femme. Quels seraient leurs intérêts de mettre entre tes mains un pouvoir aussi puissant ?
- Tu es aveuglée par tes propres ambitions Deva, rétorqua le surati. Cette créature pourrait nous mentir. Nous nuire.Y as-tu seulement songé ?
- Mesure tes paroles Kaylan. Mes ambitions sont au service de notre pays. Je n'aspire à rien d'autre si ce n'est...
- Assez ! tonna le souverain du Surat. Vos disputes m'épuisent.

Sa voix résonna dans la pièce tandis que son masque de sérénité se craquelait enfin.

- Ta sœur a raison. Les nibiens ne mesurent pas la valeur de leur présent. Même si la paix régnait depuis des années entre nos deux pays, jamais il ne t'aurait offert une telle relique.

Un sourire narquois se dessina sur les lèvres de la suratie. Kaylan jugea bon de s'abstenir de répliquer. C'est alors que me revint en mémoire les leçons de mon précepteur au sujet de la différence entre la politique nibienne et suratie. Si au Nisab, seuls les héritiers mâles étaient autorisés à gouverner, les lois du Surat stipulaient que l'aîné des héritiers de la lignée royale accéderait au trône. Qu'il soit un homme ou une femme. Le prince ne tenait certainement pas à entrer en conflit avec sa sœur, la future reine du pays.

Gonflée d'audace suite au soutien de son père, elle se tint face à moi, à quelques centimètres de mon visage. Son parfum de jasmin emplit mes narines. Elle me toisa de haut en bas comme pour me rappeler qui tirer les ficelles. Elle se retourna vers son frère après son rapide examen.

- Donne-lui un ordre, Kay. Je veux voir ce dont elle est capable.

Mon maître l'observa comme si elle était frappée de folie.

- Il n'en est pas question, refusa-t-il.
- Très bien, je m'en charge alors.

Elle réfléchit un instant, cherchant la meilleure manière de formuler son vœu.
Intérieurement, je jubilai. Si sa suffisance n'écrasait pas ses capacités de réflexion...

- Magicienne, dit-elle solennellement, je fais le vœu d'acquérir la plus belle effigie en or pur de notre déesse Karna.

Je fis mine d'étudier sa demande.

- Princesse, il m'est impossible d'exaucer votre vœu, dis-je faussement attristée. Seul le possesseur du coffret...

- Et bien je te l'offre Deva, me coupa le prince. Je refuse d'utiliser cette magie. Que mes raisons soient louables ou non. Voilà, maintenant Deva est ta nouvelle maîtresse.

Le vieux roi observait notre échange, perdu dans ses pensées.
Deva prit le coffret en mains, triomphante.

- Cela ne se peut, maître.

Mes mots tombèrent comme une sentence et mirent fin aux rêves de gloire de la jeune femme.

- Pourquoi cela ? objecta impérieusement la princesse.

La colère déforma peu à peu les traits de son visage.

Ce fut le souverain surati qui, d'une voix grave, répondit à ma place :

- Parce que seule la mort peut défaire le lien qui unit un maître à son esclave.

D'or et de platineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant