Après le départ du monarque, mon état de nervosité relâcha la pression qui tenaillait mon cœur. Je ne retournerai pas dans ma geôle. Par ordre du roi. Étonnamment, je devais ma liberté au souverain du peuple qui souhaitait depuis toujours asservir ma propre patrie. Un jour, je reconsidérerais la haine que j'éprouve à leur égard. Mais à cet instant, briser mes chaînes devenait ma priorité. Pour cela, je n'avais d'autres choix que de gagner la confiance de mon maître. Celui-ci, épuisé, se jeta dans l'unique banquette et s'enfonça dans les coussins. Le salon de taille modeste ne comportait que très peu de meubles. Outre la banquette, dont la boiserie sombre finement sculptée attestait de la richesse de mes nouveaux hôtes, la pièce était décorée d'une large bibliothèque taillée dans le même bois que le reste du mobilier. Sur celle-ci reposait mon ouvrage déposé par le roi avant qu'il ne nous quitte. Posée sur un tapis étoilé rectangulaire de couleur pourpre et doré, une table basse cubique ainsi qu'un lys blanc en pot, caché dans un coin, agrémentaient la pièce. La carpette s'harmonisait avec les murs ocre et les longues tentures voilant les fenêtres. A travers l'entrebâillement, le ciel se colorait d'un mélange de rose clair, jaune et orange pâle. Le crépuscule annonçait le coucher imminent du soleil.
La princesse Deva tira deux fois sur une cordelette placée au mur qui jouxtait la porte d'entrée.- Que fais-tu ? demanda son frère d'une voix lasse.
La jeune femme repoussa les pieds du prince pour s'asseoir à son tour. Je me sentais idiote. Plantée au milieu du salon, les bras ballants. A attendre qu'on veuille bien remarquer ma présence.
- J'ai demandé à Kira de monter. Il faut lui trouver une chambre, dit-elle en me désignant de la tête.
Mon maître se releva légèrement pour regarder sa sœur.
- Tu es folle, s'exclama-t-il. Comment allons-nous expliquer sa venue tardive? Regarde sa tenue. Elle n'a même pas de quoi se changer !
La princesse m'observa à son tour et comprit son erreur. Je réprimais mon envie de lever les yeux au ciel devant leurs bêtises.
Que ne comprennent-ils pas dans les mots « ma magie n'a pas de limites » ?
- Il m'est possible de changer d'accoutrement, maître, les informai-je. De faire apparaître quelques bagages.
Je crus déceler de la gêne dans son regard. Il s'en voulait de ne pas y avoir pensé lui-même.
- Et bien faites alors, s'irrita-t-il d'un geste impatient. Je vous l'ordonne.
Mes mains s'agitèrent en un mouvement contrôlé et aussitôt, une longue toge crème aux ourlets vert olive remplaça ma misérable tunique. Une jolie paire de sandales ceignirent mes chevilles. Un chignon élégant relevait ma crinière piquée de perles et de fleurs blanches, pour découvrir ma nuque. Quelques mèches s'en échappaient pour donner l'impression d'arriver d'un éprouvant voyage. Je m'autorisai même une touche de fragrance qui parfumait délicieusement ma peau et un maquillage doux pour souligner le contour de mes yeux. Seuls mes bracelets de platine restèrent ancrés à mes poignets. De lourds bagages remplis de vêtements attendaient à mes pieds.
Les yeux de la princesse brillèrent d'admiration et étrangement, je retrouvai la même expression chez son frère. Il se ressaisit très vite pour ne plus se départir de son air maussade.
Des coups secs cognèrent sur la porte du petit salon. La jeune femme bondit sur ses pieds, manquant de heurter le bord de la table basse. Elle s'empressa de se diriger vers la porte.- Plus courte la tenue, souffla-t-elle précipitamment. Tu ressembles à la vieille Meliti !
Je ne saurais dire qui était cette bonne femme, mais dans la bouche de la princesse, cela sonna comme une insulte. Avant que sa main ne se pose et tourne la poignée, je raccourcis ma robe jusqu'au-dessus des genoux.
Dans mon ancienne vie, je me passionnais pour deux choses qui me paraissaient essentielles à mon bonheur : les commérages et la mode. Rien ne me plaisait plus que d'intriguer à longueur de temps et commérer sur les rumeurs qui circulaient à propos de mes anciennes connaissances. Rumeurs dont j'étais parfois (très souvent même) le sujet principal. Ces passe-temps futiles égayaient mes journées. Non rien ne me fascinait autant si ce n'étaient les tendances vestimentaires. Mon père voyageait d'un pays à un autre pour dénicher de sublimes pièces de tissu. Son commerce fleurissait si bien qu'il fournissait les maîtres-tisserands attitrés de la famille royale nibienne. Il en allait de mon devoir d'honorer la réputation de mon père en arborant les robes que l'on confectionnait à partir de ses étoffes. A Khempisai, la ville portuaire où nous vivions, la noblesse nibienne scrutait mes moindres tenues. J'étais celle qui lançait les tendances. Celle que l'on jalousait farouchement puis que l'on imitait. Alors quand la princesse critiqua ma tenue, un sentiment de honte me submergea et mes joues s'empourprèrent de cette remarque. Ainsi donc mon talent suscita son émerveillement. Non pas ma nouvelle apparence. Combien d'années s'étaient écoulées depuis la mort de Barok ? La mode se faisait et se réinventait. Mais pas en un changement si soudain.
L'entrée de ladite Kira me tira de mes pensées. Vêtue d'une simple tunique courte d'une teinte grise claire (uniforme réservé aux domestiques suratis) et d'une paire de souliers noirs, la gouvernante, couverte de dessins sur le corps, s'inclina sans un mot devant ses maîtres. L'insigne d'argent épinglé à sa poitrine, scintilla à la lumière du couchant. Sa coiffure tirée en un chignon serré et son air revêche vieillissaient son visage juvénile. Sans un sourire, mais la voix empreinte de respect, elle s'adressa à la princesse :
VOUS LISEZ
D'or et de platine
FantasiShirin est une jeune nibienne effrontée et vaniteuse qui n'en fait bien souvent qu'à sa tête. Lorsqu'elle fit un jour le vœu de libérer son serviteur, prisonnier d'un artefact magique, elle ne s'imagina pas un instant que son acte inverserait la mal...