Dès l'instant où ils sortirent de la pénombre, j'examinai avec minutie les nouveaux arrivants. Le plus impressionnant des deux, un homme de haute stature aux cheveux noirs noués en catogan, me gratifia d'un sourire d'une blancheur éclatante. Sa tenue traditionnelle nibienne, illustrée par de nombreux motifs, témoignait de l'opulente richesse de cet homme. Ses bijoux sertis de multiples diamants, scintillaient à la lumière vacillante des torches. La pointe en cuir de crocodiles de ses chaussures dépassait du bas de sa toge. Si de premier abord le nibien me semblait d'une compagnie agréable, mon instinct me dictait de me méfier de lui. Le contraste entre lui et son compagnon me saisit lorsque je reportai mon attention sur ce dernier. Plus âgé que son compère, une moue boudeuse tirait les traits de l'étranger. Vêtu d'une tenue classique suratie, il tripotait nerveusement les poils de sa fine barbiche. Son embonpoint tendait l'étoffe de son caftan bleu. La pression menaçait de faire sauter les attaches de son vêtement. Je retins un sourire moqueur quand l'image de cette situation grotesque traversa mon esprit. Un pan de tissus passé négligemment sur le bras, il imita son camarade en s'inclinant devant moi.
- Quelle joie de pouvoir mettre un visage sur la mystérieuse hôtesse qui loge près de mes appartements.
Le nibien ne se départit pas de son sourire en prononçant ces quelques mots. A contre cœur, je me relevai pour ne pas paraître impolie.
- Qu'est-ce qui vous amène à penser que je suis bien cette personne ? répliquai-je, un brin d'amusement dans la voix. Dites-moi : où se situent vos logements ?
- Je ne voudrais pas me montrer irrespectueux envers mon ami, mais je serais plus que ravi de vous y conduire, Ma Dame, plaisanta-t-il d'un ton enjôleur.
Mes joues s'empourprèrent de ces propos effrontés.
Pitié, songeai-je, faites que la noirceur de la nuit camoufle mon embarras.
Je m'apprêtai à répliquer une répartie cinglante, mais il reprit de plus belle d'une voix faussement affectée.
- Pardonnez mes manières rustres. Je me nomme Djassad et ce rabat-joie à mes côtés n'est autre que mon associé, Maître Bakku. Il est le plus grand artisan-joaillier de tout Sharinbad (le compliment arracha un sourire fugace au bijoutier). Et mon rôle consiste à vendre ses créations au plus offrant.
Mes soupçons redoublèrent d'intensité. Ma mère avait coutume de dire qu'il fallait nous méfier des hommes. Surtout s'ils exerçaient le métier de marchand. Leur fourberie n'avait d'égale que leur soif de richesse. Ils réussiraient à convaincre un nomade d'Amkharnat d'acheter le sable qu'il foule quotidiennement sous ses pieds. Elle en savait quelque chose puisqu'elle-même fut bernée par les belles paroles de mon père ! Nous considérions ma mère comme une personne sage et réfléchie. Hélas, jamais elle ne me conseilla de garder mes distances avec les hommes de hautes lignées. Particulièrement lorsque l'homme en question, un prince surati (qui par ailleurs, se trouvait être mon maître actuel) vous foudroyait du regard depuis l'intérieur de la salle de réception. Son interlocuteur discutait avec entrain, mais il l'ignorait superbement. Ses yeux assassins et sa mâchoire crispée me vrillèrent sur place. Mon corps en sueur réagit à ses menaces silencieuses. Ses pensées me hurlèrent de tenir ma langue, sous peine de représailles. Je me forçai à détourner le regard pour prendre congé des deux hommes.
- J'ai été enchantée de vous connaître, messieurs, mentis-je en m'éloignant vers le parc. Sûrement aurons-nous l'occasion de nous rencontrer à nouveau.
- Vous ne vous en irez certainement pas avant que je connaisse votre prénom, rit le nibien en retenant mon bras.
Le maître-joaillier, en fin connaisseur, fut immédiatement attiré par l'éclat du bracelet que je portais. Il sourcilla en découvrant la pièce identique à mon poignet gauche. Je retirai vivement ma main pour mettre fin à son analyse. Djassad ne remarqua rien de ce qu'il se déroulait sous son nez et s'excusa de son impertinence.
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D'or et de platine
FantasyShirin est une jeune nibienne effrontée et vaniteuse qui n'en fait bien souvent qu'à sa tête. Lorsqu'elle fit un jour le vœu de libérer son serviteur, prisonnier d'un artefact magique, elle ne s'imagina pas un instant que son acte inverserait la mal...