La révélation du monarque nous laissa bouche bée. La déception se lut sur le visage des héritiers suratis. Cependant, la question qui taraudait nos esprits était de savoir comment le vieil homme avait appris cette information ? De qui la tenait-il ? Les légendes se transmettaient de génération en génération. Si l'essence même de ces histoires restait intacte au fil du temps, il arrivait que l'on modifie quelques détails selon les régions ou les cultures, afin de la rendre plus attrayante. Pourtant, la spécificité de ce lien demeurait inconnue du peuple. Mon intérêt pour le roi s'accrut. Si l'occasion se présentait de converser avec lui, il fallait que je la saisisse. Cet homme (ou son informateur) recélait peut-être un savoir qui me serait utile un de ces jours. Néanmoins, (et à mon grand soulagement), son information se révéla incomplète. Effectivement, la mort du prince surati supprimerait le lien qui nous unit. Mais ce n'était pas le seul moyen d'y parvenir. Le maître pouvait émettre le souhait de libérer son esclave. Cela aurait pour conséquence de briser le lien... Pour un temps seulement. Le prix d'un tel vœu (et à ma connaissance, c'est le seul qui exige un si grand sacrifice) était très onéreux. Le coffret réclamait une vie en échange d'une autre. L'esclave serait libre de ses chaînes ; le maître enchaîné à la boîte à bijoux. Le sort s'inverserait. Le lien se rétablirait, mais à l'inverse.
Il fut un temps où j'avais payé ce prix alors que j'ignorais combien il m'en coûterait.
Mon plan se basait sur ce détail crucial : forcer mon maître à me libérer.
Le vieux roi ne possédait pas toutes les connaissances et je me gardai bien de le lui révéler. Le regard vague, pensif, ce dernier ajouta :- Il faut que je m'entretienne avec Omid.
- A ce sujet ? questionna mon maître en retenant le souverain sur le point de partir.
- Nous devons taire ce secret. Du moins, jusqu'à ce que nous décidions de la manière d'agir.La princesse Deva semblait s'être remise de sa désillusion et son pragmatisme reprit le dessus.
- Mes réflexions sont toutes faites, répliqua le prince Kaylan. Cette chose va retourner dans son coffret et je jetterai la relique au fond de la mer. Où personne ne pourra y toucher.
- Tu ne te débarrasseras pas de cet objet Kaylan, tonna son père.
- Non, concéda la jeune femme, mais admettez Père que celui-ci peut attirer les convoitises si nous éventions son existence.Mes mâchoires se contractèrent devant leurs indifférences. Ma présence ne les empêchait pas de discuter de mon sort ouvertement.
Joue tes cartes, Shirin ! Sinon, ce serait un comble de vivre une éternité dans une bulle aride au beau milieu de la mer.
Je ne sais pas si c'est la chaleur étouffante du petit salon, la colère qui m'habitait ou le désespoir de finir au fond de l'eau, mais un élan d'audace mêlé à de l'impétuosité s'empara de moi.
- Puis-je au moins démontrer l'étendue de mes pouvoirs ? intervins-je. Permettez-moi de défendre ma cause, maître. Il vous suffit d'ordonner...
Mon ton obséquieux et la révérence qui suivit me donnèrent la nausée. Cela fonctionna cependant. Mon intervention fit mouche et pénétra les esprits.
- Allez Kay, le poussa la princesse, il ne t'arrivera rien.
Mon maître hésita. Ses yeux se plongèrent tour à tour dans ceux de son père, sa sœur et moi.
- Tu tiens là l'occasion de servir ton pays, fils. Agis enfin comme un prince. Prouve ta valeur.
Les paroles lourdes de sens du souverain eurent l'effet escompté. Vaincu, le jeune homme s'approcha de moi. Il me fixa intensément en une dernière tentative pour mettre à jour mes desseins maléfiques. Je ne pus m'empêcher de noter les ressemblances entre les membres de cette famille. Ses cheveux noir de jais étaient de la même couleur que la chevelure de sa sœur tandis que ses yeux sombres et perçants (de la même profondeur que ceux du souverain) scrutaient ardemment votre âme. Leurs mentons volontaires ; leurs ports de tête majestueux ; leurs statures royales accentuaient la puissance qui émanait d'eux.
Je saurai gagner ta confiance, pensai-je.
Résigné, il prit une grande inspiration. Son regard chercha celui du monarque, celui de sa sœur aussi. Comme un enfant ayant besoin de l'approbation et du soutien de sa famille pour acquérir le courage nécessaire avant d'agir.
- Très bien, souffla-t-il en détournant les yeux. Ma sœur t'a demandé une statuette en or pur de notre déesse Karna. Je souhaite que tu exauces ce vœu.
Ma tête s'inclina une fois les mots prononcés. La magie guida mes mouvements : mes bras s'agitèrent d'eux même. Ma main gauche tournoya au-dessus de la droite, dont la paume levée vers le ciel attendait de recevoir ma création. Dans ces instants-là, ma conscience occultait tout le reste. Si un incendie se déclarait à mes pieds, je ne m'en apercevrais même pas. Je restai focalisée sur mon objectif. Soudain, la statue dorée surgit de nulle part. Son poids pesa sur ma main et je m'empressai de la retenir de l'autre. Mon ouvrage d'or représenta Karna, fille de Noune et Septou, vêtue de sa longue robe et de la haute coiffe des dieux. Les détails de l'effigie me saisirent : au centre du beau visage de la déesse, on remarquait son nez en trompette et ses lèvres pulpeuses, signes distinctifs de sa renommée. Ses courbes gracieuses soulignaient la féminité de son corps élancé. Enfin, une bague à l'annulaire et les pieds nus s'échappant du bas de la robe rendaient la statuette plus réelle encore.
L'émerveillement se lut dans les regards des suratis. J'étais fière de moi. La princesse s'approcha, captivée par la petite statue. Mon maître, tout aussi fasciné, ôta l'objet de mes mains pour le tendre à sa sœur.- Merveilleux, murmura-t-elle en examinant minutieusement ma création. Père, voyez !
Ce dernier soupesa la déesse.
- Kaylan, dit-il subjugué par mon présent. Imagine ce qu'un tel pouvoir pourrait t'offrir. Regarde cette perfection.
- Il ne s'agit-là que d'une infime partie de mes pouvoirs. Ma magie n'a pas de limites, maître. Elle est à votre entière disposition.Le prince ne m'écoutait pas. Ses pensées se bousculaient. Il hésitait à ressentir de la méfiance ou de l'admiration à mon égard. Le doute s'insinuait en lui comme un poison dans les veines. Mon plan se mettait doucement en place. Les cartes s'abattaient. Il m'était nécessaire de la jouer finement. L'idée de me libérer devait venir de lui. Pas de moi.
La princesse suratie passa un bras sur les larges épaules de mon maître. L'autre lui ébouriffa les cheveux.- Tu es sur le point d'accomplir de grandes choses, petit frère.
Sa voix extatique résonna dans le salon. Le surati ne sembla pas convaincu par ses dires.
- Ta sœur a raison, fils. Cependant, n'oublie jamais ce conseil : la cupidité et l'abus de pouvoir ne te mèneront nulle part. Pense à ton peuple, insista-t-il, et à ce que tu peux lui apporter. Je dois maintenant m'entretenir avec Omid. Sa sagesse pourra te guider dans tes nouvelles responsabilités.
- Père, objecta la jeune femme.
- Il est le Grand Conseiller du Roi, Deva. Et il deviendra très prochainement le tien. Tu devrais apprendre à placer en lui ta confiance. Il saura garder cela secret.
- Et que ferons-nous d'elle ? demanda mon maître, une pointe de dégoût dans la voix.La cacher dans un sous-sol ? ironisai-je. N'importe où sauf ma prison.
Je voulus plaider à nouveau ma cause, mais l'interruption du souverain fixa mon sort.
- Elle restera au palais.
Avant que ces enfants ne protestent, il ajouta avec véhémence :
- Nous dirons qu'elle est une académicienne. Qu'elle arrive de la Grande Bibliothèque de Cana pour parfaire votre éducation sur la situation politique actuelle. Nous sommes en paix avec le Nisab depuis peu. Il n'est pas improbable de vous instruire sur ce pays et sa politique.
- Ne pensez-vous pas que le peuple jasera. Notamment les nibiens quand ils constateront qu'elle suit Kay dans ces moindres déplacements ? Je ne suis pas sûre qu'ils apprécient cela. Surtout avant le mariage de leur princesse...
- Ils s'en accommoderont, conclut le roi. Ils ne s'offusqueront pas pour si peu. Après tout, il est de coutume dans leur pays que les hommes épousent plusieurs femmes.La pique atteint son but avec brio.
- Je ne deviendrai pas polygame, s'insurgea mon maître.
Mais le roi quittait déjà la pièce, hilare.
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D'or et de platine
FantasyShirin est une jeune nibienne effrontée et vaniteuse qui n'en fait bien souvent qu'à sa tête. Lorsqu'elle fit un jour le vœu de libérer son serviteur, prisonnier d'un artefact magique, elle ne s'imagina pas un instant que son acte inverserait la mal...