Qu'aurait écrit un auteur sur moi ? Comment m'aurait-il présentée ? Cette jeune fille de dix-sept ans, repliée sur elle même au fond de la classe, ses cheveux roux relevés en un chignon lâche, soutenu par un crayon de bois. Ses yeux bruns qui balayent les environs, impassibles, passent le moindre détail au rayon X, de peur qu'un évènement imprévisible survienne, la déstabilise.
Oui, c'est bien moi. Je réprime un sourire : quelle prétention d'imaginer que l'on écrive sur sa vie. C'est tout moi, ça. Qui suis-je pour oser songer à une telle chose ? Je ne suis ni célèbre, ni riche.
— Je me demande comment Arkan trouve encore la force de participer autant, soupire Iris à ma droite.
Sa voix me tire de mes pensées, et j'hausse les épaules tout en observant le jeune homme au premier rang. A ses côtés, Théodore semble tout aussi concentré. Mais lui, il ne se dresse pas sur son siège pour lever la main le plus haut possible.
Face à eux, Harrys poursuit son cours tout en agitant prestement les bras pour souligner un point important. Cependant, les élèves s'endorment, et je lutte pour ne pas les imiter.
— Tu as fait les devoirs d'anglais ? me chuchote à nouveau Iris.
Je secoue négativement le menton et ma tête tombe sur ma main. Mon regard joue avec les reliefs de la table, saute entre les gravures illisibles.
— Le prof va te tuer, pouffe ma voisine.
J'étire une moue désabusée. Je ne crois pas en avoir quelque chose à faire.
— Marius et Lee jouent toujours ? je demande alors, ennuyée.
Mes bras s'étalent sur ma paillasse et j'y dépose doucement ma joue. Mes yeux croisent ceux d'Iris et je distingue son profil dans la faible lueur des fenêtres. Elle hoche doucement le menton, me lance un regard amusé. Même si elle s'ennuie tout autant que moi, elle demeure droite et fixée sur le tableau. Tout comme Arkan, elle ne veut pas louper une seconde du cours. Ces deux-là ne cessent jamais de m'exaspérer. Ils se chamaillent sans arrêt. Lui pour s'accorder le titre du plus intelligent de la classe, elle pour qu'il cesse de croire que les notes sont une compétition. Que je répète à Iris de le laisser proclamer ce qu'il veut, que cela nous est égal, ne change jamais rien. Demander à Arkan d'arrêter de faire l'idiot non plus. Quant à Lee et Marius, ils n'interviennent pas et rient généralement de la situation. Théodore ignore, il ne s'intéresse pas à de telles discussions. Quel drôle de groupe, je songe, amusée. Six personnalités, aussi éloignées que les planètes du système solaire, de six personnes amies depuis deux ans déjà. Sans oublier Roxane, la petite amie de Marius, qui n'est pas plus lambda que nous. Cela fait sept. Sept lycéens dont la vie se résume, en gros, à rire et à dormir.
La sonnerie me vrille soudain les tympans, et je ramasse mes affaires sans me presser. Dans quelques secondes, le couloir se remplira de visages impatients d'aller manger et ils n'hésiteront pas à imiter un troupeau d'éléphants pour s'y rendre, ignorant tout ce qui pourrait se mettre en travers de leur chemin. Et je ne souhaite pas croiser la route d'un troupeau affamé.
Heureusement pour moi, Iris est lente. Et Arkan a toujours un besoin pressant de lécher les bottes du professeur à chaque fin de cours. Lee est le moins patient. Il finit généralement par prétendre s'en aller déjeuner seul ; mais nous finissons toujours par le rattraper en courant, redressant à peine sac et capuche sur nos épaules. Lee sait mener le groupe à sa guise quand l'envie lui prend.
Cette fois encore, lorsque nos six visages endormis de ce cours de français sont les seuls encore présents, je l'aperçois qui croise les bras. Il est prêt à s'agacer contre Arkan. Mais ce dernier le prend de revers et feigne l'exaspération :
— Bon, on y va ? Lee, tu es trop lent.
Je me mords la lèvre inférieure, et Iris lâche un rire. Lee étouffe alors un grognement qui fait aussitôt fuir son ami :
— C'est ça, cours ! pouffe-t-il, même si sa mâchoire saillante et la veine palpitante de son cou n'ont pas l'air de plaisanter.
Lee sait que personne ici n'oserait se confronter à lui. Son regard patibulaire et son imposante carrure dissuaderaient n'importe qui, à vrai dire. A côté de lui, Marius semble être un pauvre spaghetti égaré de son paquet.
— Lily, grouille toi ! me hèle ce dernier tout en maintenant la porte ouverte d’une épaule.
Il semble que l’on m’ait abandonnée à mes pensées. Chose qui arrive souvent. Heureusement, Marius demeure toujours à mes côtés pour me ramener sur terre.
Je me presse devant lui tout en réprimant un rire amusé et le remercie. Il me devance alors dans le couloir, tire la poignée et la lumière m’aveugle un instant.
— Roxane va être jalouse, lance Arkan, un sourire coquin aux lèvres.
Je lève les yeux au ciel tandis qu’Iris relève brusquement le menton :
— Hein ?! Pourquoi ?
— Laisse tomber, je m’esclaffe tout en lui prenant le bras.
Les garçons nous talonnent jusqu’au réfectoire, où nous rejoignons la queue afin d’attendre notre tour. Là, la foule m’oppresse et les bruits me tirent les tympans. Aussi je m’emploie à la tâche de décerner parmi tous ces visages celui de Roxane, qui devait nous rejoindre ici même. Comme tous les midi, à vrai dire.
Lorsque je l’aperçois enfin, elle se précipite déjà dans notre direction pour bondir au creux des bras de Marius. Ce dernier étouffe un râle sous le choc, fait mine de grogner même si un sourire se creuse sur ses joues quand sa petite amie étouffe un rire. Ces deux là n’ont rien à envier à personne. Même s’ils se chamaillent sans arrêt, je ne crois pas que quelque chose en ce monde puisse les séparer.
— On a quoi, cet après midi ? demande Théo, ignorant les cris d’Arkan et de Marius qui se lancent déjà dans des imitations farfelues à ses côtés.
Je fais un pas dans sa direction et hausse la voix pour qu’il puisse m’entendre :
— Anglais.
— T’as fait les devoirs ? sourit Iris.
Il opine du chef, et je réprime un soupir. Être la seule à n’avoir fait son devoir m’embête. Mon air désinvolte d’il y a quelques minutes me semble bien loin, désormais.
Le pion à l’extrémité de la queue ouvre la grille et nous laisse passer. Tandis que mes amis piaillent toujours, je songe à ces pauvres exercices. Peut-être aurais-je le temps de les faire en cours d’Histoire Géographie. Ou bien prendrai-je un peu de ma recréation.
— J’ai faim, soupire Lee dans un grognement.
Il marche à mes côtés, capuche relevée et mains coincées dans les poches de son sweet. J’étire un faible sourire :
— Moi aussi. J’espère qu’on ne mange pas du blé...
En guise de réponse, il lâche un nouveau grognement. Cette idée ne réjouit personne. Tout comme la pensée de prendre une heure de colle dès le début d’année pour un simple excercice d’anglais. Je secoue le menton et rattrape Iris en quelques grandes enjambées. Inutile de penser à ça pour le moment. Cela pouvait attendre. Cela pouvait toujours attendre.
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Zombee / tome 1 : La Chute /
Science FictionLily Hash est une adolescente comme les autres. Mais à l'inverse de ces derniers, elle a survécu. *** Septembre 2045 promettait une rentrée tranquille, des plus normales pour une arrivée en classe de terminale au lycée. Théodore, Lee, Iris, Marius...