Chapitre 3

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— Wesh, pouffe Iris. Il fait quoi ?

— Il court comme un playmobile, ajoute Marius, rieur.

— Comme un PNJ, rient Théo et Arkan.

Mais j’ai froncé les sourcils.
Et Lee aussi.

— Euh les gars... je souffle tout en me relevant.

— Je suis pas sûr que ça soit normal, renchérit Lee, pour compléter ma remarque.

J’attrape Iris par le bras et la fait reculer de force dans mon dos. Elle bat des paupières, perplexe, mais n’en dit pas mot. L’élève ne ralentit pas la cadence, bien au contraire. Il avale les mètres rapidement, et son corps comme mou rebondit avec lui. Personne ne court de cette façon.

— C’est un zombie ! hurle Roxane, qui a déjà attrapé son sac, comme pour préparer sa fuite. Comme ceux de la vidéo !

— Putain mais arrête ! tempête Marius, à bout de patience. Les zombies ça existent pas, quand est ce que tu vas comprendre ça ?!

— Oh ! lance Arkan, dont la voix s’élance vers les aigus. Arrêtez de gueuler !

Roxane pointe un doigt accusateur sur la poitrine de son petit ami :

— C’est à lui qu’il faut dire ça ! On va tous crever à cause de lui !

— LES ZOMBIES EXISTENT PAS ! s’époumone-t-il à nouveau.

— ARRÊTEZ ! gueule Iris à son tour.

Je secoue négativement le menton, le regard toujours rivé sur l’élève. Dans cinq secondes, il sera à notre hauteur. Mon cœur bat en rythme avec ses pas qui frappent le béton. Quant est il de mon souffle ? Il est prisonnier de mes poumons. Mon esprit a cessé de fonctionner. Je ne comprends plus ce qu’il se passe.

— Vous voulez pas vous taire ?! insiste Arkan. On...

— J’en ai marre d’elle ! le coupe Marius.

— Les gars... je souffle tout en reculant d’un pas.

— Je passe toujours pour la conne avec vous ! sanglote Roxane, en proie à une rage et à une peur plus que palpables.

Je jette un regard à Lee. Ce dernier s’est avancé devant moi, les yeux plissés.
Deux mètres. L’envie me prend d’attraper le bras de mon ami et le serrer le plus fort possible, histoire de revenir sur terre, d'affronter la situation comme il le fait si bien. Mais j’en suis incapable.

— Les gars... ! je répète, affolée.

Soudain, l’élève redresse le menton et je pousse un hurlement de terreur ; sa mâchoire est brisée et vomit une marée de chair encore fraîche. Ses yeux sont exorbités et injectés de sang.

Au même moment, Lee décroche d’un geste sec une planche du dossier du banc, qu’il envoie frapper la tempe de l’élève. Un liquide puant et écarlate gicle sur nos visages blêmes, tandis qu’il s’écrase au sol dans un râle effrayant.

Mon cœur a cessé de battre. Mes oreilles sifflent un affreux son aigu, tirent sur mes tympans un cri sans fin. Je remarque à peine Iris qui chancelle et qui s’écroule à mes côtés. Elle a tourné de l’œil, et je suis sur le point de l’imiter. Que venait il de se passer ? Un élève de mon lycée, dont l’apparence est celle d’un zombie, avait tenté de nous sauter dessus.

Là, à nos pieds, son cadavre est étendu. Son nez cassé se tord et un creux s'est formé sur sa tempe. Son corps fracassé vomit une marée de sang écarlate et jauni sur le sol. Je cligne des yeux, le souffle coupé, et les nuages qui menaçaient le ciel se teintent d’un noir charbonneux.

Le monde tangue. Mes paumes percutent une surface dure. J’ai hâte de me réveiller. Hâte de découvrir que tout cela n’a jamais eu lieu.

Mais peu à peu, la lumière revient. Elle s’accroche à mes paupières et pousse la bile qui jaillit au fond de ma gorge. Je suis alors prise d’un haut-le-coeur et mon délicieux repas engloutit il y a à peine trente minutes se déverse aux pieds du banc.

Qu’est ce que je fais par terre ? Pourquoi mes narines sont elles gorgées d’une répugnante odeur de charogne et de cadavre en décomposition ? Pourquoi les sanglots me secouent ils la poitrine ? Pourquoi les visages qui m’entourent sont ils aussi blêmes que celui de l’élève mort face à moi ?

— On devrait peut-être appeler l’infirmière, non ? je bredouille en étirant sur mes lèvres un pauvre sourire confus. Il a pas l’air bien...

Lee s’agenouille dans un long soupir et m’attrape fermement le coude. Il me relève sans difficultés, me fourre mon sac entre les bras et rassemble les cinq autres.

— Et lui, Lee, et lui ? On le laisse pas là hein, dis, on le laisse pas là quand même ? j’insiste, effrayée.

Il n’est tout de même pas mort. Si tel était le cas, alors la police serait déjà arrivée. Nous serions alors interrogés et Lee serait forcé de purger sa peine en prison. Tuer quelqu'un n’était pas un acte aussi anodin de ce qu’il laissait paraître.

— J’avais raison, murmure Roxane, qui aggripe mon bras comme une bouée de sauvetage. Lily, on va tous mourir...

Je secoue négativement le menton, et les larmes roulent sur mes joues. Personne d’autre ne va mourir aujourd'hui, ai-je envie de lui dire. Mais la réalité de la situation s’est imposée. Il ne s’agissait peut être pas d’un simple élève un peu fou. Sa mâchoire brisée et son regard de prédateur pouvaient en témoigner. Et pourtant, ce ne peut être un zombie. Puisque dans le monde réel, les zombies n’existent pas.

— Ok les gars, écoutez moi, lance Lee, dont le visage est presque aussi pâle que celui du mort. On va quitter le lycée et appeler nos parents, ok ?

— Et lui ? je demande d’une petite voix, pointant sur le cadavre un doigt tremblant.

— Putain arrête, gronde-t-il, sur les nerfs. Tu me casses les couilles.

Je déglutis, effrayée. Un instant, j’ai bien cru que mon sang allait être le prochain à couler sur la planche de Lee.

— On s’en fout de lui pour l’instant, ajoute-t-il au bout d’un moment, la mine coupable. Je ne pense pas que ce soit le seul comme ça. Alors on ferait mieux de décamper maintenant.

— Comment ça pas le seul ? répète Arkan, dont les épais sourcils se sont subitement froncés.

Je déglutis et mon regard tombe sur la planche ensanglantée entre les mains de notre ami. Si quelque part il nous avait sauvé la vie, la peur et la méfiance que je ressentais désormais à son égard me poussaient à croire que le laisser prendre la tête du groupe de cette façon n’était pas une très bonne idée.

— Lee, poursuit-il, si ce truc est bien un zombie, alors Roxane avait raison.

— C’est pour ça qu’on doit quitter le lycée, souffle Théodore dans mon dos.

— Sauf que, insiste Arkan, si c’est vrai, si elle a raison, alors y en aurait pas juste deux ou trois mais partout ! Et si dehors c’est pire ? Et si en fait on était plus en sécurité ici ?

Lee passe deux doigts sur ses paupières. Il semble exaspéré par le comportement de son ami. Pourtant, je suis du même avis qu’Arkan. Sortir pourrait être une mauvaise idée si les propos de Roxane sont vrais. Si l’iréel et l’illogique, si le surnaturel et l’apocalypse ont bien envahi notre monde.

— Peu importe ce qu’on décide, intervient Marius, il faut le faire maintenant. Il faut qu’on bouge. Il faut qu’on fasse un truc.

— Allons dans la salle de permance, je propose d’une voix chevrotante. Elle donne sur la rue, on pourra voir si y a des... enfin si y a du danger. Et puis c’est là où ils gardent les clefs des salles. Au besoin on pourra les prendre.

Lee me fixe un instant, puis hoche vivement le menton :

— Ok, bonne idée. Allons y.

Zombee / tome 1 : La Chute /Où les histoires vivent. Découvrez maintenant