Chapitre 5

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Un hurlement strident m'ouvre brusquement les yeux. Ma langue, qui s'était perdue au fond de ma gorge, m'arrache un haut-le-coeur. Le souffle de Lee à mon oreille m'indique qu'il se tient tout près de moi, tout comme Théodore et Iris, desquels je perçois l'ombre des mains tremblantes.

On m'enlève à la morsure glacée du sol, et la bile grimpe à nouveau jusqu'à mes lèvres. Je lâche un grognement, les sourcils froncés. Deux mains sous mes aisselles, deux autres à mes chevilles, et mon corps violemment secoué. On court.

Soudain, le monde bascule, mes porteurs et moi avec. Je roule au sol dans un gémissement de douleur, me redresse sur mes coudes. La vue floue et penchée du couloir plongé dans l'obscurité me laisse entrevoir les silhouettes de Roxane et Marius, qui cavalent dans notre direction. Derrière eux, le mugissement d'une vague de chair et de sang me donne aussitôt la raison de notre fuite.

- LILY ! hurle Iris. DEBOUT !

- VITE ! s'époumone Arkan, qui revient sur ses pas pour m'empoigner férocement le bras.

Lui et Lee me remettent sur pieds, et je titube contre le mur. Marius arrive à ma hauteur, m'attrape et m'entraîne avec lui. Je jette un coup d'œil par dessus mon épaule et mon sang se glace. Une nouvelle énergie, que je qualifierai d'adrénaline, irigue alors mes veines à cette simple vue. Des mâchoires brisées claquent dans notre direction. Il ne m'en faut pas plus pour m'élancer à mon tour.

Je talonne Lee, Arkan, Iris et Marius, qui se jettent dans les escaliers sans réfléchir. Je dévale les marches trois à trois, évite plusieurs chutes. Roxane me dépasse bientôt. Je ravale mes larmes. Nous virons à droite, je ne quitte pas mes amis des yeux. Nos pas tonnent à travers le couloir, les portes défilent à notre flanc. Les monstres s'y percutent, s'écrasent contre les murs dans mon dos.

- CUL DE SAC ! hurle Lee, qui mène le groupe.

J'écarquille les yeux tandis que je percute mes amis de plein fouet, empalés devant la porte du sous sol elle aussi cadenassée. Je ne veux pas regarder derrière. Je ne veux pas regarder... mais mes yeux glissent par dessus mon épaule, et je hurle, m'époumone. Je ne suis même pas capable de pleurer.
Lee saute alors devant nous, envoie sa planche encore ensanglantée frapper le premier rang de monstres. J'aggripe son bras et le tire vers nous à l'instant même où l'un d'entre eux tente de le mordre.

Soudain, les monstres pivotent vers l'arrière et rugissent à nouveau, de pair avec un puissant cri de guerre. Je me glisse entre Iris et Roxane, elle-même serrée contre Marius.

La dizaine de créatures restante se jette sur les nouveaux venus, mais elles sont rapidement achevées. La mare de sang, mélangée à la pourriture, s'étale sous nos pieds.
Nous relevons les yeux vers nos sauveurs, et la nausée qui m'a prise s'envole aussitôt. Les armes tournent entre les doigts et la pâle lumière du jour qui éclaire leurs visages tâchés de sang leur donne une silhouette comme divine. Au premier rang, trois soldats en tenue militaire rangent à peine leurs coutelas. Ils épongent leurs paumes écarlates sur leur pentalon cargo, essuient leur front d'un revers de manche. Juste derrière, le second rang de sauveurs, impliquant le proviseur du lycée et un autre professeur. Et enfin, cachés derrière toutes ces larges épaules, ce sont les visages de trois de nos amis qui se dessinent. Malgré leur pâleur, le soulagement qui se lit dans leur yeux remplit les miens de grosses larmes.

- Lucia ! s'étrangle Roxane, qui fend les rangs armés sans la moindre gêne.

La désignée s'avance pour lui rendre son étreinte et ravale un sanglot. Les deux se connaissent depuis bien des années. Le petit-ami de Lucia, Raphaël, la suit et Lee, Arkan et Marius s'en vont lui donner l'accolade. Iris et moi allons quant à nous vers Eliot, dont les longs cheveux blonds sont redressés en un chignon lâche.

- Merci infiniment, je souffle d'une voix rauque.

Il hausse les épaules :

- J'ai fait que suivre le mouvement. J'en ai tué aucun.

Il pointe alors les trois soldats du menton :

- Ce sont eux qui nous ont sauvé des zombies.

Je hausse les sourcils et lâche un rire sarcastique :

- Des zombies ? Bien sûr que non. Ce sont pas des zombies.

- Eh bien en attendant de savoir ce que c'est, déclare une voix dure, c'est comme ça qu'on les appelera.

Le plus petit des soldats s'avance et gratte une poussière sur l'arme à feu coincée à sa ceinture.

- En même temps, poursuit-il, en virant deux yeux bleus amusés dans ma direction, ils bouffent des humains et sont à moitié morts.

- Les zombies n'existent pas, j'insiste, agacée.

- Lily, m'avertit le proviseur, un mètre plus loin.

- Taisez vous, siffle un autre, qui se poste aux côtés de son collègue pour lui jeter un regard menaçant.

Il n'est pas difficile de deviner qu'il est le supérieur des deux autres soldats.

- Veuillez excuser Ryan, blâme-t-il auprès de notre proviseur. C'est une nouvelle recrue, il a à peine vingt ans, et il se croit déjà vétéran.

Le directeur balaye les excuses du soldat d'un geste désinolte :

- Il reste plus expérimenté que mon élève, commandant. Ne vous excusez pas.

En plus d'être proviseur, il est mon professeur de lettres avancées. Le costume trois pièces qu'il a pour habitude de porter est couvert de sang et déchiré à plusieurs endroits. Je remarque aussi qu'il ne porte plus ses lunettes. Je suis heureuse de le savoir ici, avec nous ; il est une présence adulte de confiance. À l'inverse des trois soldats de marbre et de briques.

- Simon, l'appelle l'un des professeurs, qui monte la garde à quelques mètres de là. On devrait bouger.

Simon Derel opine du chef et serre dans sa main droite ce qui ressemble à un pied de chaise.

- Oui.

Lee s'avance, armé de sa planche brisée, souhaitant probablement participer à la conversation.

- On devrait sortir du lycée, grogne-t-il.

Mais le commandant ne semble pas partager son avis :

- Dehors, c'est pire. Je propose plutôt que nous allions au réfectoire. Il est isolé, entouré par le parc. Il y a les réserves de nourriture. Et puis des couteaux. Et il donne sur un parking. Au besoin, on pourra y aller et prendre les voitures.

L'idée est approuvée par la totalité du groupe. Notre meneur prend alors les devants et nous entraîne dans le couloir, son arme solidement braquée devant lui. J'ai rejoint Marius, Lee, Arkan et Théodore derrière moi. Leur visage blême traduit toute la peur et l'angoisse de la situation. Je me doute que mon expression ne doit pas être bien différente de la leur.

- On a de la chance d'être tombés sur eux, souffle Marius.

Théo s'apprête à renchérir quand il est interrompu par Ryan, qui nous siffle un long "chut", armé d'un sourire railleur.

- D'après eux, les zombies sont très sensibles au bruits, nous explique Raphaël, qui marche aux côtés de Lucia devant nous.

Nous nous gardons bien de répliquer. Même notre souffle se cache dans le silence, désormais. C'est à peine si je marche sur mes talons, de peur que l'écho de mes pas ne les attire.

Enfin, les portes de sortie apparaissent à l'orée du couloir. Nous les passons un par un et constatons avec soulagement que la cours est toujours aussi vide qu'à notre départ.

Derel tourne la clé dans notre dos et réprime un long soupir.

- Allez, allons y...

Zombee / tome 1 : La Chute /Où les histoires vivent. Découvrez maintenant