Chapitre 1

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C'est bien trop pour moi. Après m'être pris tous les reproches possibles de mon équipe hier à cause de ce qui s'est passé, voilà que mon ancien coéquipier, mon meilleur ami semble plus que remonté contre moi, du moins à en juger par la façon dont il vient de me parler dès que je suis arrivé dans l'hospitalité MP.

Je connais Dennis depuis plusieurs années maintenant, et il n'y a jamais eu la moindre once de haine ou de méchanceté entre nous. Il a toujours été un pilier mental pour moi et je sais très bien que je lui dois en grande partie ma place en Formule 2. Et voir cette lueur noire dans ses yeux quand il me regardait il y a cinq minutes m'a achevé.

Cependant, il a toutes ses raisons de me détester aujourd'hui. Dennis part dernier pour la course. Et c'est ma faute.

Pendant les qualifications hier, j'ai commis une erreur impardonnable en prenant ce virage bien trop large sans l'avoir remarqué dans mon rétroviseur extérieur. Je l'ai poussé hors de la piste et sa monoplace est allée percuter le mur latéral de plein fouet. Sur le moment, quand j'ai enfin réalisé ce que je venais de faire et que j'ai vu sa voiture complètement écrasée et encastrée dans le mur jusqu'au halo, je me suis demandé si je ne venais pas de commettre l'irréparable. Mais pour mon plus grand soulagement, il est sorti, choqué et noir de rage, mais il est sorti. Et pour moi, c'était le principal.

J'ai fini mon tour tant bien que mal et quand j'ai voulu le voir après cet épisode, Dennis était introuvable. Il n'a répondu à aucun de mes nombreux messages d'excuse et il m'a fallu attendre aujourd'hui, juste avant la course, pour le croiser. Mais je n'ai eu aucune occasion d'ouvrir la bouche, autant dire que je ne m'attendais pas du tout à ce que de tels mots sortent de la sienne.

« Non. Ne joue pas l'ami désolé de m'avoir foutu dans ce putain de mur parce que tu ne viens pas seulement de gâcher ma course, mais aussi mon championnat. Je ne pourrai jamais remonter jusqu'à la deuxième place, tu le sais aussi bien que moi, je viens de rater le titre de champion du monde. PUTAIN DE MERDE TU POUVAIS PAS REGARDER AUTOUR DE TOI ?! »

Et c'est sur cette question rhétorique que j'ai vu son poing se lever, me préparant à le recevoir dans la joue la seconde d'après. Mais il n'en fut rien. Un simple boum retentit, issu du contact entre son poing et le mur, et Dennis disparut dans la masse de monde des paddocks de F2.

Des milliers de questions se sont posées dans ma tête d'un coup, mais surtout une immense rancœur envers moi-même, une déception colossale et ma vue est rapidement devenue trouble. Ne voulant pas être aperçu comme ça, je me suis contenté de passer mes poings sur mes yeux et de marcher vers le calme, loin de tout ce monde pour trouver un endroit où pour une seule fois dans ma vie, je pourrais m'autoriser les larmes.

J'ai marché tête baissée, et mes mains se sont vite mises à trembler. Pourquoi ? Une petite allée sombre et déserte sur ma droite semblait être l'endroit parfait et puis dans tous les cas, je ne pense pas que j'aurais pu être capable d'aller plus loin. Pourquoi ? Laissant mon dos glisser contre le mur, j'ai laissé toutes ces questions me submerger, m'enfoncer dans un immense trou noir dont personne ne pouvait me sortir et qui m'a d'un coup coupé du monde extérieur. Pourquoi ?

Pourquoi fallait-il que je sois un abruti fini pour ne pas voir cette monoplace ? Pourquoi fallait-il que ça tombe sur mon meilleur ami ? Pourquoi moi j'ai pu finir sixième ? Pourquoi moi j'aurais ce droit ?

Je n'entends plus rien autour de moi et au fur et à mesure que ces questions fusent dans ma tête, ma respiration s'accélère de façon incontrôlable. Je sens mon cœur se serrer et tous mes muscles se contracter, mais je n'arrive pas du tout à me détendre. Au contraire, plus j'y pense, plus la panique grandit et bien sûr, il fallait que tout cela arrive vingt minutes avant le début de la course. A l'heure qu'il est, je devrais déjà être dans ma voiture, et toute mon équipe est sûrement en train de remuer ciel et terre pour me trouver. Mon dieu je vais me faire tuer. Le tremblement de mes mains s'intensifie et les larmes coulent. Je ne suis qu'un bon à rien, et je fais franchement peine à voir.

ContretempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant