Matin

21 2 14
                                    


Gaëlle fut la première à se réveiller le lendemain. Il était tard, le soleil était déjà haut. Elle supposa qu'il devait être dans les alentours de dix heures, mais elle n'avait ni montre (restée dans la poche de son dernier jean qui l'attendait chez eux), ni téléphone (oublié dans la voiture avant d'emprunter le sentier de la source aux cairns).

Elle s'assit, rechignant à quitter la tiédeur de ses multiples couvertures, et s'étira. Puis elle prit son courage à deux mains, et sauta hors de son lit. La sol était glacial sous ses pieds. Elle se dépêcha donc d'aller jusqu'à l'âtre sur la pointe des pieds, ou quelques rares braises finissaient de s'éteindre, souffla sur les intéressées, et remit quelques branchettes par dessus, histoire de ne pas finir congelée sur place.

Elle se frotta les mains, passa un long gilet qui lui descendait jusqu'aux cuisses, et alla jeter un œil à la sacoche de Liam, histoire de voir si elle ne pouvait pas pondre un petit-déjeuner aux deux fainéants qui n'avaient pas encore quittés leurs lits respectifs malgré l'heure relativement avancée. Elle trouva du pain qui était entre frais et sec, un pot de confitures d'abricot, et plusieurs gros bocaux remplis d'un liquide beige et pâteux.

"Attends. Je rêve ou c'est..?"

Elle ouvrit précautionneusement un des bocaux remplis à ras-bord, trempât son doigt dedans et goûta.

Elle éclata de rire en silence.

Ce fou de Lindë était quand même maniaque au point d'avoir préparé de la pâte à pancakes avant de partir. Elle n'allait pas s'en plaindre, mais où avait-il trouvé ce temps ?

Riant de la bizarrerie de son ami, elle installa la grille au dessus du feu et partit chercher la seule poêle de la maisonnée. En chemin, elle remarqua que la porte qui menait au dehors était ouverte.

"Tiens ? J'aurais oublié de la refermer hier soir ?" se demanda t-elle.

Un petit vent glacial soufflait de l'extérieur, ce qui incita Gaëlle à se munir d'une couverture en plus de son gilet. Elle se la passa sur les épaules et chaussa rapidement une paire de petites bottes noires avant de partir faire un tour dehors. Tout semblait silencieux, la mer s'était retiré très loin durant la nuit et était désormais au plus bas.

Il faisait assez froid à l'ombre, aussi resta t-elle au soleil, se chauffant sous ses rayons. Elle soupira d'aise. La forêt était déjà levée depuis longtemps autour d'elle, et bruissait de toutes sortes de sons et de chants d'oiseaux, se répercutant dans les tâches de lumière qui parsemait le sol comme autant de confettis dorés. Gaëlle se surprit à reconnaître quelques chants, lointaine réminiscence du temps où elle n'était qu'une enfant, avec Lindë et leur guide. Tout cela la rendait bien nostalgique.

Elle fit quelques pas en dehors de la forêt, histoire de se changer les idées... et failli trébucher sur un instrument de musique. Elle leva les yeux. Leur invité le harpiste (ou le cithariste, ou ce que vous voudrez...) était adossé contre un des grands rochers de l'entrée de la plage, la tête dans les bras. 

"J'en déduis que les garçons ne sont pas les seules à avoir un sommeil de plomb...", se dit Gaëlle en se grattant le crâne. Avait-il voulu partir au milieu de la nuit ? Elle n'avait rien entendue, elle s'était assez vite endormie. Et il lui semblait, à la manière dont il se mouvait dans l'espace, qu'il pouvait facilement éviter d'être entendu si tel était son souhait.

Elle s'assit en face de lui. Elle avait déjà rencontré des elfes plusieurs fois. Mais celui-ci était sans conteste le plus étrange, et pas seulement par sa façon de se vêtir (même si c'était effectivement la première fois que Gaëlle voyait un elfe si mal habillé). Elle l'observa. Les fines mèches d'argent contrastaient dans ses cheveux sombres. Ça l'intrigua. Les elfes n'étaient pas supposés griser comme des petits vieux, même si le rendu sur celui qu'elle avait en face d'elle n'était pas si mal que ça. Elle soupira et se releva, renonçant à comprendre. Avant de partir, elle déposa sur les épaules du musicien la couverture qu'elle avait sur elle, murmurant :

-Losto vae, Olorëa.

Sa prononciation de cette langue était sûrement médiocre, sa syntaxe sans aucun doute assez mauvaise, et sa grammaire erronée. Mais c'était ce à quoi elle pensait en le voyant. Il semblait porter un bien lourd fardeau sur des épaules qui n'étaient plus toutes jeunes. Elle savait que le sommeil n'est pas toujours l'allié de veux qui ont vécus des choses difficiles.

"Tu peux garder ta main droite, Lindë. Je mettrais les miennes aux feu que tu avais raison hier soir", marmonna t-elle en partant.

                                                                ***

Derrière elle, l'elfe releva la tête. Il ne dormait pas. Il serra la couverture sur ses épaules.

                                                               ***

Théo émergea quand le soleil lui arriva dans la figure. Incommodé, il se retourna et sentit une bonne odeur. Cela le réveilla tout à fait.

-Un dormeur enfin réveillé ! s'exclama Gaëlle. Pas trop tôt, soit-dit en passant.

-Qu'est ce qui sent bon comme ça ? demanda t-il.

-Je prépare des pancakes.

-Pardon ?

-Des pancakes. Tu veux redemander, pour être sur ?

-Mais... t'avais les ingrédients ?

-Non, c'est Liam qui a fait la pâte avant de partir. L'es fous, lui.

Ils rigolèrent, et Théo sortit de son lit. Le sol lui congela instantanément les pieds, et il sursauta en voyant l'elfe, assis dans un coin de la pièce. Il était tellement silencieux qu'on l'oubliait vite... Il avait une couverture soigneusement pliée sur les genoux, et regardait Gaëlle faire ses pancakes sur le feu de cheminée en rafistolant son petit instrument. Si Liam était réveillé, il lui aurait dit que c'était de l'accordage, mais il dormait encore, alors Théo pouvait se permettre de ne pas connaître le vocabulaire des musiciens sans que quelqu'un lui tombe dessus pour lui expliquer comment fonctionnait une lyre.

-Gaëlle, dit une voix ensommeillée qui sortait de l'alcôve de Liam, tu as mis trop de beurre dans la poêle. Ça ce sent d'ici.

-Rendors-toi, monsieur le cuistot, répondit-elle. Si tu n'es pas content de ma cuisine, petit un, va te faire voir, et petit deux, tu n'as qu'à te lever plus tôt, finit Gaëlle en passant une main dans ses courts cheveux noir ébouriffés. 

Liam grommela quelque chose d'incompréhensible et sortit de son alcôve. Sa tête n'avait rien à envier non plus, il avait plus d'épis que de cheveux. Théo fut soudain ravi qu'il n y ait aucun miroir dans la maisonnée pour voir quel était sa tête à la sortie du lit.







Sous un même ciel - lotrOù les histoires vivent. Découvrez maintenant