Linguistique et balades en forêt

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Quelques jours passèrent. Outre le fait que Théo se perdait du matin au soir dans la flore environnante, et que son cerveau refusait obstinément de retenir les quelques formules et mots que ses amis lui avaient (vainement) appris, on pouvait dire que tout allait bien. Dans ses balades quotidiennes, il entendait tout le temps l'elfe jouer de sa harpe (pardon, de sa lyre, faites que Liam ne l'ait pas entendu...). Il s'était presque écroulé la première fois qu'il l'avait entendu, tellement la mélodie lui semblait splendide. Elle n'était pourtant pas si compliquée. 

Et, il n'avait pas osé le dire à Gaëlle et Liam, mais le ménestrel, comme il avait pris l'habitude d'appeler le grand elfe aux yeux qui brillaient, murmurait souvent à mi-voix, accompagné par son instrument. Théo ne savait juste pas comment le leur décrire. Les mots lui manquaient, lui qui pondait des dissertations et des rédactions de qualités à ses heures. Alors il ne le disait pas. Il n'aurait pas pu, même s'il l'avait voulu... c'était au dessus de ses compétences. Ses amis avaient très certainement l'ouïe assez fine pour entendre le ménestrel de temps en temps, et s'ils étaient curieux, ils n'auraient qu'à lui poser des questions dans sa langue (dont Théo ne maîtrisait pas le moindre mot, mais qu'il trouvait trop belle pour faire autre chose que déclamer des poèmes ou chanter des chansons).

Lors de l'une de ses balades, il se perdit. Mais ce n'était pas juste un petit détour, il était vraiment perdu, au point qu'il ne savait plus dans quel sens il fallait suivre le petit sentier qu'il avait empruntés.

Il se dit qu'il fallait au moins qu'il retrouve la mer, il lui suffirait de suivre le littoral pour retrouver la caverne. La température était clémente, ce jour là, et les nuages gris qui avaient longuement couverts le ciel ces derniers jours étaient partis, ne laissant derrière eux que quelques moutons blancs dans un ciel bleu.

Théo soupira. Pour ne pas s'angoisser davantage qu'il ne l'était déjà, il se mit à réciter les lettres qu'il avait retenus de précédentes leçon (ses amis faisaient de redoutable professeurs à leurs heures perdus...). Un alphabet qu'il connaissait encore bien peu, malheureusement pour lui.

-Tinco, Parma, Calma, Quesse, Ando, Umbar...  

Il en était à malta (avec quelques oublis) quand il vit scintiller  la mer entre deux grandes branches de pins.

"Sauvé !" se dit-il. Au moins, il aurait une chance sur deux de trouver le bon chemin pour rentrer... mais la côte lui était heureusement devenue assez familière pour qu'il s'y repère sans trop de difficultés.

Le soleil finissait de descendre paresseusement vers l'ouest, et Théo se dit qu'il ne fallait pas trop traîner. La nuit tombait vite, et la température encore plus en cette saison, d'après Liam.

Il finit par reconnaître le paysage autour de lui, et se sut bientôt arrivé. Des notes de musique éparses se frayèrent alors un passage jusqu'à ses oreilles. Il leva les yeux, et vit sans surprise le ménestrel, assis sur un rocher que la marée avait sûrement déposé là pendant une tempête (depuis que Liam avait accordé correctement la lyre, il ne se passait pas deux jours sans qu'il en jouât) . Théo songea un instant à s'approcher, mais renonça. Il ne lui avait jamais parlé, et n'aurait de toute façon pas su quoi lui dire, même en maîtrisant la langue commune aussi bien que Gaëlle et Liam.

Mais le ménestrel avait une bonne vue, et il adressa un petit geste à Théo, qui lui répondit donc, maladroitement par un signe de la main avant de rentrer vers la caverne le plus vite possible. L'expression de l'elfe ne lui plaisait pas. On aurait dit que jouer de son instrument lui faisait mal.

Il allait pousser la porte de la caverne, quand les éclats d'une discussion lui parvinrent aux oreilles.

Ce n'était pas une dispute, n'en déplaisent à ceux qui aiment écouter aux portes.

-... tu sais déjà ce que je pense à ce sujet, Gil. C'est un dunedhel , ou bien je ne suis plus musicien.

-Plus qu'un dunedhel, Lindë, répondit Gaëlle. Tu as vu ses yeux ? Ont dirait qu'ils... brillent. Ce n'est pas qu'un concertiste égaré. C'est un calaquendi, ou bien je ne touche plus jamais à Maican. Il commence à en rester bien peu en Terre du Milieu. Elle nous en avait parlé, tu te souviens ?

-"Mais les plus grands sont ceux qui virent Aman en des temps où le monde était jeune, et la lumière des deux Arbres se meure encore dans leurs yeux..." Je me souviens. Tu as raison.

( Je ne sais pas quoi en penser, et n'ai jamais vraiment compris le sens de ces mots, honnêtement...)

Un grand silence tomba alors sur la petite pièce commune.

 Cela faisait beaucoup de mot que Théo ne comprenait pas... qu'était-ce qu'un dunedhel, ou un calaquendi ? Sans parler de cette histoire d'arbres... Des bribes de souvenirs firent leur chemin, et il se souvint que Gaëlle lui avait dit il y a deux jours, que le dix-septième caractère de l'alphabet qu'il apprenait, númen, signifiait "l'ouest". D'où un lieu se nommant Númenor, avait elle-dit. La terre de l'ouest. Mettant son grain de sel, Liam avait ajouté que le préfixe courant pour ce point cardinal était maintenant "dûn".

Dun-edhel... le ménestrel viendrait de l'ouest ? Théo regarda autour de lui, et se dit qu'on pouvait difficilement faire plus loin à l'ouest que là où ils étaient déjà, s'il se souvenait bien de la grande carte que Liam lui avait montré après ça.

Quand à calaquendi... lui revint seulement que calma, le troisième caractère de l'alphabet, signifiait lampe, ou lumière  ce qui semblait assez approprié, si ses deux amis parlaient bien du ménestrel.

Il soupira. La linguistique n'était pas vraiment sa tasse de thé.

Il repartit donc de devant la porte, en ne s'étant pas fait surprendre, et en n'ayant absolument pas compris l'importance des faits qu'il avait surpris. Mais qui aurait pu lui en vouloir ? Il ne savait rien du lieu où il avait mis les pieds depuis maintenant presque une semaine.

Il revint donc à côté du ménestrel, qui avait laissé sa har- pardon, sa lyre à côté de lui. L'elfe haussa légèrement un sourcil en le voyant revenir, puis ne dit plus rien. C'était un avantage, avec lui. Il semblait ne parler que très peu, mais comprenait tout sans mots, et même plus que ce qu'il entendait...

-Nous partons demain, dit Théo, aussi maladroitement que plus tôt. Vous viendrez ?

Cela devait en réalité plutôt ressembler à "Partir, demain. Venir ?", ou quelque chose dans ce style.

Le ménestrel se retourna, et posa sur lui son regard éclatant, et semblant pourtant troublé parfois. On aurait dit deux flammèches de lumière nacré dans une étendue d'eau sombre.

"...et la lumière des deux Arbres se meure encore dans leurs yeux..."

Il ne répondit pas.



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Ceux qui se demandent où j'ai trouvé l'alphabet des tengwar que récite Théo pour ne pas stresser n'ont qu'à aller voir sur Wikipédia ou dans les appendices du Seigneur des Anneaux (•⌵•)

Sous un même ciel - lotrOù les histoires vivent. Découvrez maintenant