Requiem pour jour de vent

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Le temps se dégrada de la pire des façons pendant les jours suivants. À la température souvent négative s'ajoutait désormais une bruine permanente. Et le vent soufflait, nuit et jour, faisant se balancer les branches dénuées de feuilles et claquer les volets mal refermés. Décembre était là.

Bien que le temps soit à proprement parler exécrable, l'ambiance restait festive, car Noël approchait.

Gaëlle et Liam n'était pas encore revenus. On était pourtant déjà mardi, ça faisait deux jours que les cours avaient repris. Théo leur avait envoyé quelques messages, avant d'abandonner. Ils ne répondaient pas. Il passait chez eux dès qu'il le pouvait, mais la maison restait désespérément  vide. 

Après, cela lui permettait d'aller dans la chambre de l'appartement à la porte verte sans avoir nécessairement à passer par le grenier, ce qui lui était ma foi fort pratique. Il y était déjà revenu trois ou quatre fois après y être tombé par hasard. Cela ne l'avait pas aidé à comprendre d'où leur était sorti toutes ces idées. Rendez-vous compte, il y avait certainement là de quoi écrire plusieurs livres !  Il aurait quelques questions à leur poser quand ils reviendraient...

Mais les jours passaient, la météo allait de Charybde en Scylla et le week-end était déjà presque de retour. Théo commençait sérieusement à s'inquiéter.

C'était pendant sa dernière heure de cours. Il finissait de prendre ses notes tout en appréhendant les hypothétiques mais probables devoirs que leur professeure pouvait leur donner, quand un brouhaha soudain s'éleva dans l'amphi où se trouvait les étudiants, et donc lui. Il leva la tête, mais ne vit rien d'anormal. Pourtant, il avait bien du se passer quelque chose pour distraire les élèves de leurs notes.

Le vent faisait siffler les fenêtres. Un lointain grondement de tonnerre retentit sourdement.  Il faisait presque nuit dehors. Un frisson remonta le long du dos de Théo, tandis qu'il avait l'impression d'entendre retentir un son, autre que celui de l'orage, très lointain, grave et continu. Il lui remua les entrailles et lui donna la chair de poule.

L'amphi, initialement bruissant de voix, se fit soudain silencieux comme pour une veillée funèbre, et tout le monde, y compris la professeure, regardait maintenant par les grandes fenêtre de la salle de classe, les yeux écarquillés.

Pourtant, l'objet emporté par le vent accrocha seulement le regard de Théo, allez savoir pourquoi. Il plissa les yeux, pour reconnaître avec une stupéfaction mêlée de crainte une grande carcasse de parapluie, à laquelle se raccrochait encore des lambeaux de toile cirée d'un profond bleu nuit.

Il eut l'impression qu'un bloc de glace cherchait son chemin dans son œsophage. Il sut, avec une alarmante certitude, que Gaëlle et Liam était de retour.

Il se leva brusquement, rompant le silence de mort qui planait dans la salle, saisit son parapluie, et sans même prendre le temps de ranger ses affaires, se précipita vers la porte. Il s'y engouffra sous le regard éberlué des élèves et de la professeure, sans qu'aucun des deux ne fasse le moindre geste pour l'arrêter.

Dehors, Le ciel était d'un gris sombre effrayant. Très beau. Et le vent soufflait.

Théo repensa à une énigme que lui avait un jour soumise Gaëlle :

Qui mord sans dents, crie sans voix, vole sans ailes, et murmure sans bouche ?

La réponse lui paraissait désormais évidente.

Le vent !

Une brusque bourrasque le déséquilibra, mais il ne tomba pas, frappé par un fait étrange. 

Le vent. Le vent était déjà le même il y a plusieurs semaines, en ce jour où il avait trouvé le dessin de la tour blanche. Il ne s'était jamais calmé, pas même la nuit. Théo sentait que cette esquisse et le souffle qui faisait s'agiter  les branches était liés.

Il resta ferme sur ses jambes, et avança pas à pas dans cette orchestre de souffles. Il était inquiet. Toujours lui revenait en tête l'image du parapluie déchiqueté...par quoi, d'ailleurs ? Un vent, même puissant, ne pouvait pas déchirer un parapluie ! L'emporter, oui, mais il ne fallait tout de même pas exagérer !

De nouveau, il lui sembla entendre un long son clair et profond.

Une goutte d'eau s'écrasa sur son front, au moment où il crut entendre son nom dans la tempête.

Théo se figea, regarda autour de lui. Là-bas. Au coin d'une ruelle. Il y avait quelque chose. Il ne pouvait la voir, mais une impression de peur et de ténèbres collait dans son ombre. La chose bougea, se rapprochant de lui. Elle ne semblait même pas avoir d'apparence, tant les ombres semblaient dégouliner sur elle.

Théo était figé d'horreur. Il ne pouvait que suivre des yeux la lente progression de la chose noire, qui s'approchait toujours plus de lui.

Il y eut un sifflement perçant, quelque chose frôla le bras gauche de Théo, et se planta en plein dans la chose noire. Elle poussa un gargouillement infâme, et Théo eut le temps de voir dans ces gesticulations que le projectile était une longue flèche à l'empennage gris perle.

-Théo !

C'était Liam. Il courait à grandes enjambées vers lui, ses cheveux blonds sombres étaient ébouriffés et battaient son visage comme de ailes. Il portait une grande sacoche noir à l'épaule, et son autre main tenait un grand arc. Un arc. Il était sans aucun doute la personne qui avait décoché la flèche.

Son regard était on ne peut plus sérieux.

-Liam ! Qu'est ce qui se passe ? s'écria Théo d'une voix forte, pour couvrir le bruit de la tempête.

Liam lui répondit en le regardant droit dans les yeux :

-Si on pouvait tout t'expliquer maintenant, crois bien qu'on le ferait ! Mais ce n'est l'endroit ni le lieu pour commencer à nous épancher sur de tels sujets !

Le bruit de la pluie commençait à résonner dans la rue. Les volets claquaient et les pavés se couvraient de petits ronds sombres.

-Je ne peux pas rester, je suis pressé ! cria Liam par dessus le tumulte du vent.

Théo sentit que s'il ne bougeait pas, Liam s'évanouirait sûrement dans l'inconnu une seconde fois, accompagné de Gaëlle. Après tout, ses amis ne voulait le forcer à aller nulle part. Mais l'occasion de tout comprendre ne se représenterait pas une nouvelle fois.

"Vous n'allez pas me la refaire à l'envers une deuxième fois !" pensa t-il.

Et il se jeta dans les pas de Liam, vers ce qui leur était arrivés il y a toutes ces années. Pourquoi pas, après tout ? Qui sait, il pourrait peut-être demander à Gaëlle qui lui avait appris l'escrime, et à Liam d'où lui venait son inspiration en matière de tour blanche et d'alphabet étrange.


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Plus lent à commencer ton histoire tu meurt...

Sous un même ciel - lotrOù les histoires vivent. Découvrez maintenant