Voyage sur papier

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-Mais revient là ! dit Théo à la mésange.

Le petit oiseau avait volé jusqu'à la porte d'entrée qu'il avait laissé ouverte. Il se faufila par l'entrebâillement et s'enfuit dans la cage d'escaliers.

"Je suis mort", songea Théo.

Mais qui ne tente rien n'a rien, comme ce soir de pluie ou il avait rencontré Gaëlle. Il se précipita à la suite de la mésange, et entendit son chant dans les escaliers. Elle avait volé avec le ruban dan le bec jusqu'en haut de l' escalier, vers le grenier. Il monta les marches en bois d'un autre âge en grommelant. Arrivé en haut, il découvrit une vieille porte en bois qui n'avait même plus de serrure. La mésange, comme si elle l'avait attendu, se glissa dans le trou sous ses yeux, et disparut. Théo poussa la porte et découvrit un vaste espace remplie de poussières et de quelques vieux meubles, pas assez méritants pour retenir son attention.

L'oiseau se tenait sur le sol, vers le fond du grenier. Théo s'approcha lentement, très lentement, et tendit la main vers le ruban. L'oiseau le lâcha, et s'envola par une lucarne ouverte.

Théo se précipita vers le bout de tissu, mais ne se rendit compte que trop tard de son erreur.

Le plancher grinçait horriblement sous lui, et alors même qu'il attrapait le ruban, un craquement sinistre retentit dans tout le grenier et le sol se déroba sous ses pieds.

Dans les histoires, les chutes prennent toujours trois ans pour que la personne qui tombe ait le temps de voir sa vie défiler, de faire ses adieux et de rédiger sa nécro.

La chute dura moins d'une seconde et demie. Théo se fit trèèèèès mal. Et c'est tout.

Un mince de ruban de soleil dans lequel dansait des poussières filtrait par une fente d'un volet.

Quand Théo rouvrit les yeux, la première chose qu'il vit fût qu'il avait le ruban de Liam à la main. Et puis... des livres. Des pages noircis d'écriture. Des stylos à plumes et des tâches d'encres. Un canapé défoncé. Il regarda autour de lui, ébahi. Quel était cet endroit ? Une atmosphère étrange s'en dégageait, un mélange de salle d'étude de nostalgie et... d'autre chose qu'il ne définissait pas. Théo leva les yeux vers le trou béant au plafond. Sa chute avait soulevé des nuages de poussières, et des morceaux de plancher était tombé un peu partout. Il se trouvait dans une petite pièce grande comme une chambre moyenne.

Malgré la température glaciale qui régnait dehors, il ne faisait pas si froid dans l'appartement. Théo alla s'asseoir dans le canapé, en se frottant la tête. Il allait être couvert de bleus... où était-il ? Il regarda plus attentivement autour de lui, et vit une table de dessin, des chaises, tout le nécessaire pour écrire et dessiner jusqu'à plus soif. Des esquisses étaient étalées aux quatre coins de la salle. L'une d'elle attira son attention. Elle représentait une forêt sombre, qui s'étendait à perte de vue. Une montagne unique était visible, dans le lointain.

"Solitaire" était le mot qui venait à l'esprit quand on voyait ce paysage. Il avait aussi ce je-ne-sais quoi d'angoissant, comme si son auteur intimait à la personne qui le voyait d'être aux aguets. Le trait était la même que celui du dessin de la tour blanche.

Théo se leva, observa le dessin de plus près, puis, saisit d'un étrange pressentiment, il la retourna.

Un  autre tout petit caractère était tracé au dos de la feuille, comme  derrière le premier dessin

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Un autre tout petit caractère était tracé au dos de la feuille, comme derrière le premier dessin. Il faisait partie à n'en pas douter du même alphabet que le premier, et ressemblait à un "q" avec deux arcs de cercles au lieu d'un.

Théo le fixa. Qu'est ce que tout cela signifiait ? La tour blanche, Gaëlle qui faisait de l'escrime...et maintenant ça ? Cette grande chambre remplie de textes, de livres sans doute reliés par des mains d'adolescents ? Car ils n'avaient pas l'air bien récents. Il y avait aussi des centaines de pages couvertes d'une écriture qu'il ne pouvait pas lire, mais dont les caractères qu'il avait vu derrière les deux dessins étaient sûrement issus. Et...des cartes. Tracées à la main, détaillées, de plein de lieux différents, que Théo ne pensait pas reconnaître. Il se souvint alors de tout le temps qu'avait passé Gaëlle et Liam cloîtrés dans leurs chambres respectives, un peu avant qu'ils ne partent.

Cette pièce regroupait certainement un labeur de près de dix ans, s'ils avaient commencé avant leur départ.

Mais pourquoi ? Pourquoi décider soudainement de se mettre à écrire, dessiner des paysages et des cartes et écrire des choses sans queue ni tête dans un alphabet qui n'existait même pas ?

Peut-être parce qu'ils avaient des choses à raconter, lui souffla une petite voix.

Mais qu'avait-ils donc à écrire qui prenne des centaines de pages ?

Ce qui s'était passé ce jour là ? Quand Gaëlle, à dix ans, avait fait une crise et fugué parce qu'elle ne voulait pas déménager ? Et que Liam l'avait suivie, et disparu avec elle ?

Tout le village et les autorités locales les avaient cherchés pendant une semaine et demie. Ils s'étaient tout simplement volatilisés.

Théo se souvenait très bien de ces battues, pour y avoir participé. Gaëlle et Liam était pour lui des amis et des camarades, de classe, ou pour faire des bêtises pendant que les parents avaient le dos tourné. Il les connaissait bien.

Et un matin, il avait entendu des cris. Gaëlle et Liam étaient de retour. Ils racontèrent s'être perdu dans les montagnes environnantes en partant de nuit, et ne pas parvenir à retrouver leur chemin tout en se perdant encore plus. Heureusement, ils avaient de quoi manger sur eux quand ils étaient partis. Mais une semaine et demie, tout de même...il fallait sacrement bien se rationner pour tenir tout ce temps...

Théo n'avait jamais comprit ce qui avait poussé Gaëlle, qui à son âge savait déjà garder la tête froide, à fuguer. Si c'est bien ce qui s'était passé. Il soupçonnait que non.

Il jeta un coup d'œil à une pile de dessin non finis, à peine croqués pour certain. Ils représentaient des motifs de style médiévaux assez élaborés, ou bien des paysages.

Entre eux, Liam et Gaëlle parlait de la fugue en disant "notre balade dans les bois".

Une balade, hein.


Sous un même ciel - lotrOù les histoires vivent. Découvrez maintenant