Chapitre 1

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Sherry

    Les yeux bandés, je sens chaque goutte d'eau me tomber une par une sur l'épaule. Seule ma peur me tient compagnie. Les pieds et poings liés par des cordes épaisses et rugueuses, assise sur une chaise, j'ai peur. Tous mes sens sont en alerte. Vais-je mourir ? Que vont-ils faire de moi ? Qui m'a emmenée là ? Sait-on où je suis ?
    Mes sanglots sont étouffés par cet horrible morceau de tissu qui s'est imprégné de toute ma salive depuis le temps que je l'ai dans la bouche. Tout mon corps me fait mal, je me sens courbaturée. J'ai mal et froid. J'ai peur et en même temps, je sais que la peur n'existe pas. Je sais qu'elle n'existe pas, parce qu'il me l'a dit. Il me l'a répété tellement de fois, que je le sais à présent.
    La peur n'existe pas. Notre imagination la façonne. Nous choisissons la peur pour oublier le danger.
    J'entends sa voix me le répéter. Sa voix grave et corruptrice hante mes pensées pour évacuer la peur. Cette horrible émotion qui nous enferme dans la terreur. J'essaie de rester concentrée pour entendre tout ce qui se passe autour de moi. Je n'entends que des gouttes d'eau tomber au sol une par une et très lentement. Elles résonnent presque, comme si nous étions dans un sous-sol inondé. J'ai envie de crier mais je n'y arrive pas.
    J'aimerais comprendre ce que je n'ai pas su voir. J'aimerais me rappeler les signaux d'alarme que je n'ai pas su percevoir. J'aimerais ne plus avoir mes regrets. J'aimerais...
    Il suffit que nous nous retrouvions seuls, obligés de rester assis, les yeux bandés, accrochés par des cordes pour avoir la sagesse de réfléchir. J'ai toujours voulu apprendre de tout, même de mes erreurs. Certains voient des difficultés dans les épreuves alors que moi, j'y voyais toujours des opportunités d'apprendre. Je suis née pour être une battante mais aujourd'hui, je suis à la place de la battue et j'ignore à quel moment, celle-ci m'a été donnée. J'ai vécu entourée de personnes fortes, ambitieuses et courageuses alors pourquoi n'ai-je pas su apprendre d'eux ? Pourquoi a-t-il fallu qu'il porte tous mes espoirs ?
    Il me suffit d'une pensée de lui et moi pour sentir une larme se dissimuler dans le bandeau qui me barre la vue. Je me sens torturée. J'ai l'impression que l'on prend mon cœur à main nue et qu'on le presse si fort qu'il est au bord de l'explosion.
    J'ai toujours été entourée mais je me suis toujours sentie seule. J'ai trouvé une compagnie aussi bousillée que moi mais, je suis de nouveau seule. Le reverrai-je ? Je l'espère. Voilà ce qui me maintient en vie, l'espérance.
    Nous sommes tous en train de livrer des batailles dont personne ne sait rien.
    Je me rappelle de tout. Et si son expérience des combats était intéressante lorsqu'il m'en parlait, aujourd'hui, j'aimerais ne pas comprendre de quoi il retourne  .
    Rien n'est plus vivant qu'un souvenir.
    On se comprend tellement. Il comprend mes silences que personne n'a su entendre. Il comprend les blessures impénétrables que nous nous infligeons, nous-mêmes. Nous revoir ensemble, c'est ce qui me fait vivre parce qu'il n'y a que ça de vivant autour de moi. Puisque même mon cœur m'abandonne. Il ne me reste que mon amour pour lui pour faire battre à tout rompre mon cœur. Comprend-il mes silences en ce moment ? Est-ce que notre connexion est toujours intacte ?
    Il m'arrive de douter de tout. Puisque le doute est la seule chose qui m'est encore permise ici, je doute. Le doute reflète la réflexion. J'ai besoin d'y réfléchir. J'ai besoin qu'il vienne et qu'il réponde à ma question. J'ai besoin de savoir si notre connexion est toujours là. M'entend-il lui parler dans mes pensées. Comprend-il mon absence ? Je meurs de son absence. Ce n'est même pas le noir qui m'effraie, ni même la solitude et encore moins ma place mais seulement mon absence auprès de lui. Sa présence me manque.
    Il y a deux choses qu'on ne peut pas négocier : L'amour et la mort.
    Laquelle va se négocier pour moi ? Puisque je pourrais mourir d'amour, sa phrase me fait rire, aujourd'hui.
    Je concentre mes sensations dans la douleur que provoque mon cœur. Un souvenir de lui me fait tellement mal mais, oui, son souvenir rend l'instant vivant. Cette douleur me rappelle que je suis encore en vie. Encore en vie grâce à lui. Mon ticket vers la mort m'a été de nombreuses fois évité, uniquement grâce à lui. L'ai-je remercié ? Voilà que j'en viens à douter ! Mais oui, je l'ai toujours pensé. J'ai toujours été reconnaissante envers lui et il le sait. Il faut que je le revois, au moins une fois, juste pour lui dire merci.
    Je compte les morceaux brisés de mon cœur que je sens partir un par un jusqu'à ce que j'entende enfin un bruit autre que celui de l'eau. De nouveau, mon corps se remet sur ses gardes et comme si les battements de mon cœur étaient trop forts, j'ai l'impression qu'il s'arrête. J'entends des bruits de pas lourds qui viennent derrière moi.
    Instinctivement, je déplace mon regard dans le coin de mes yeux mais je n'y vois rien. Les pas se rapprochent puis ils s'arrêtent. Plus aucun son. Même l'eau a cessé de faire du bruit. Ai-je rêvé ?
    Après plusieurs secondes totalement sourdes, mon cœur reprend doucement ses battements avec méfiance. Un petit vent frais caresse la peau de mes bras nus et me fait frissonner puis je me rends compte que non, ce n'est pas un courant d'air. J'agite du mieux que je peux mes bras pour enlever les doigts qui effleurent ma peau.

Under the eye of the devilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant