Partie 3

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Le jeudi est un jour particulier pour nous. Nous allons tous les jeudis au supermarché le plus proche. Bien sûr, nous ne payons rien, l'argent n'a plus vraiment de valeur dans ce monde. Ce n'est plus que du papier. Peter dit que nous empruntons à long terme... C'est un des avantages de la catastrophe, nous pouvons avoir tout ce que l'on veut dans les magasins et le tout gratuitement ! Il y a toutefois une chose assez étrange. Le premier jour, nous n'osions pas prendre trop de choses, essayant de rationner au maximum ne sachant pas combien de temps nous devrions rester ici. Michelle avait, malgré notre désapprobation, dévalisé le rayon des mouchoirs. La miss me surprendra toujours, elle est à elle-même un stock inépuisable de larmes. La semaine suivante nous sommes revenus, tout allait pour le mieux. Michelle déambulait dans les rayons dans sa robe à rayures, Victor, en combinaison militaire, lisait une BD sur des zombies dans le caddie que je poussais et Peter, en bon chef de famille, s'occupait de le remplir de tout ce dont nous avions besoin. Nous parlions des repas de la semaine avec Peter lorsque Michelle est arrivée en pleurant vers nous. Jusque là, rien de bizarre. Non, ce qui était étrange était la peur dans son regard. De nouveau incapable de parler, elle pointait le rayon d'à côté : le rayon des mouchoirs, son favori. Nous avons avancé doucement sur nos gardes, Peter devant, solide et sachant se battre, et moi, derrière, en cas de dernier recours. Peter s'est figé, mon cœur s'est arrêté. Puis j'ai vu ce qu'auparavant son dos me cachait. Le rayon mouchoir, totalement rempli. Pas une seule boîte ne manquait à l'appel. Elles étaient toutes là, comme une offrande pour Michelle. Nous avons ensuite fait demi-tour et parcouru les allées où nous avions été la dernière fois. Peter affirme que tout est revenu à sa place. Comme si nous n'avions jamais mis les pieds ici la semaine dernière.

Le lendemain, Peter et moi sommes retournés au magasin mais rien n'était réapparu. Le jeudi suivant pourtant, tout était revenu à sa place. Nous en avons déduit que les choses réapparaissaient une semaine après. Victor a adoré ça. Pour lui, nous avons été projetés dans une sorte de monde parallèle où tout se renouvelle chaque semaine. Nous serions coincés dans une boucle temporelle. Bizarrement, même si Victor n'a pas toujours les meilleures idées, son explication me plaît et me rassure. Si nous sommes dans un monde parallèle alors ma famille, mes amis et tous les autres sont encore en vie. Cela voudrait aussi dire que nous sommes en vie. Peter pensait avoir été tué et Victor, fan de la BD seuls était, au début, convaincu que nous étions tous morts, coincés dans des limbes pour adolescents. Cette théorie ne m'a absolument pas convaincue. Mourir en soufflant des bougies, en marchant sur la place bras dessus bras dessous avec ses copines ou en regardant un film au cinéma avec ses parents me paraissait peu probable. Tout est allé si vite, en un battement de cil tout avait disparu. Mourir dans ces circonstances ne peut arriver aussi vite et sans souffrances. Par la suite, nous avons observé que la pluie tombait tous les mardis, que tous les vendredis il faisait chaud et que tous les lundis un vent froid soufflait toute la journée. Confirmant la théorie de la boucle temporelle de Victor.

D'habitude le mercredi, nous restons chez Peter. Souvent nous jouons à des jeux de société ou bien nous essayons d'enseigner ce que nous savons à Michelle et Victor. J'enseigne la physique-chimie, la S.V.T, les mathématiques, l'anglais et la technologie tandis que Peter enseigne la musique, le français, l'espagnol, l'histoire- géographie et l'art plastique. Les voir se battre avec des pinceaux et de la peinture est souvent mon moment préféré de la journée. Pourtant aujourd'hui, Victor nous a fait un caprice, il ne voulait pas rester enfermé encore une journée. Il voulait changer les règles. Pour lui, comme nous restions enfermés le mardi à cause de la pluie, nous devions sortir faire les courses le mercredi et faire les cours le jeudi. Il avait même fait des petites pancartes pour affirmer sa rébellion et a entraîné Michelle dans sa manifestation dans le salon. Derrière sa tasse de café Peter rigolait, je crois qu'il était fier que Victor ait suivi ses conseils d'artiste pour ses pancartes. Je n'étais pas tout à fait aussi heureuse que lui. Les règles sont importantes, primordiales, elles instaurent un ordre dans nos vies et nous avons terriblement besoin d'elles dans ce monde là. Sans quoi nous serions perdus et finirions tous par perdre la tête. Bon, j'exagère peut-être un peu, mais on ne peut nier que si nous avions respecté notre emploi du temps, mon emploi du temps, nous n'aurions jamais croisé cette chose répugnante. Peter avait fini par céder à Victor et l'avait rejoint dans sa manifestation. Un sourire en coin, il me défiait de ne pas accepter. J'ai essayé de tenir tête, à faire la sourde oreille, mais à trois contre un je n'aurais jamais tenu longtemps. J'ai fini par baisser les bras quand Peter a lancé Michelle et Victor contre moi en leur disant de me chatouiller jusqu'à ce que j'accepte. Je n'ai pas eu le temps de comprendre qu'il fallait que je fuis quand ils m'ont sauté dessus, abandonnant leurs pancartes et leurs revendications pacifiques contre la violence. Je déteste qu'on me chatouille et Peter avait trouvé, je ne sais comment, mon point faible.

Voilà donc comment nous nous sommes retrouvés à faire les courses le mercredi... Nous sommes partis à pied comme d'habitude, avons fait nos courses, puis Victor, encore dans son élan de rébellion pour de la nouveauté a proposé de faire une activité dehors avant de rentrer pour se défouler encore un peu. Pour éviter les chatouilles et pour qu'il s'endorme plus vite ce soir j'ai cédé. Peter et lui sont allés chercher au trot des caddies vides tandis que Michelle et moi sommes parties chercher un CD et un lecteur CD pour animer la course. J'ai laissé Michelle choisir, elle a pris un CD avec sa musique préférée : Head Shoulders Knees & Toes, une chanson assez populaire. Nous avons installé le poste dehors, par terre puis nous sommes montées dans nos caddies respectifs et Peter a commencé le compte à rebours en mettant en route la musique. Il a démarré tellement vite que j'ai cru que j'allais mourir. Puis j'ai vu que non, que c'était même plutôt agréable de voir le monde défiler aussi vite. Je l'ai entendu rire et j'ai ri aux éclats moi aussi. Michelle criait de joie. Victor quant à lui rallait parce que Peter allait trop vite, disait qu'il avait triché et était parti trop tôt, qu'il aurait préféré être à la place de Michelle, que ce n'était pas équitable, que... Enfin bref je vous passe les détails ! Assise dans ce chariot, les cheveux aux vents, la musique accompagnant ce moment de folie et les rires de ma nouvelle famille résonnant autour de moi, j'étais heureuse. Je ne pensais plus à rien. Cela avait un goût de paradis. À cet instant, j'ai remercié secrètement Victor d'avoir mis le désordre dans nos vies. Mais tout cela était trop beau pour être vrai. En réalité, cette journée aurait été parfaite si aucune créature n'avait surgi de nulle part et n'avait écrasé le lecteur CD dans un bruit dégoûtant...

La catastrophe Où les histoires vivent. Découvrez maintenant