Partie 4

0 0 0
                                    

Notre bulle de bonheur éclata lorsque la musique se coupa brusquement remplacée par un cri semblant sortir des enfers. Nous nous sommes retournés, tout doucement, retenant notre souffle, pour chercher à savoir quelle chose avait bien pu produire ce son et gâcher ce merveilleux souvenir. À quelques mètres de nous se tenait un monstre, plus grand que Peter et avait réduit en miettes le poste radio. Il était noir comme la nuit, avait de longues griffes acérées, une sorte de tête de dauphin sans yeux et une bouche rempli d'une panoplie effrayante de dents pointues. La personnification d'un cauchemar. Alors que nous ne savions pas vraiment comment réagir, Victor nous a fait signe de nous taire et nous a mimé longtemps quelque chose jusqu'à ce qu'on comprenne ce qu'il voulait dire : le monstre n'avait peut-être pas d'œil mais il semblait entendre. Il n'avait pas détruit le poste par hasard. La musique l'avait sûrement dérangée. Si nous voulions fuir nous devions le faire discrètement. Peter m'a portée et m'a posée délicatement sur le sol puis a fait la même chose avec Michelle qui commençait à pleurer. Je l'ai prise dans mes bras pour essayer de la calmer. Elle ne devait pas nous faire repérer. Victor nous a montré un chemin au fond du parking. Nous y sommes allés le plus discrètement possible. Mais, malgré toutes nos précautions, la pluie d'hier clapotait sous nos chaussures.

Le monstre a tourné lentement la tête dans notre direction. Il nous avait repérés. Il a commencé à avancer vers nous, de plus en plus vite, en émettant un son qui ressemblait à un grognement menaçant. Comme un seul homme nous avons tous commencé à courir, à fuir cette chose. Michelle était devant, Victor derrière elle, suivi de Peter et de moi. Ce dernier me lançait des coups d'œil de temps en temps. Je pense qu'il vérifiait que cette chose ne s'approchait pas trop. Mais au vu de l'inquiétude qui imprégnait son visage je n'osais jeter un regard derrière moi sachant la créature à quelques mètres de moi. Victor nous a fait prendre des chemins tortueux afin de ralentir la créature qui avait du mal à s'orienter sans ses yeux. C'était une idée de génie. Nous avons pu prendre de l'avance sur lui et l'empêcher de se rapprocher des immeubles. Michelle étant donc arrivée la première, elle s'est précipitée sur la porte, nous l'a ouverte et l'a refermée d'un coup sec, essuyant ses larmes avec sa manche par la même occasion. Peter et moi avons pris le banc du hall et l'avons placé devant la porte pour la bloquer un minimum. Nous avons attendu quelques minutes, encore sonnés par les évènements, à fixer la cour et les arbres à la recherche du monstre. Mais nous ne l'avons pas revu. Nous sommes montés chez Peter sans dire un mot. Les rats nous paraissaient bien moins effrayants en comparaison à ce que nous venions de voir.

Une fois arrivés nous nous sommes écroulés sur le canapé. J'ai soudain pris conscience de la gravité des choses et je me suis mise à trembler et à pleurer. Peter qui pleurait un peu aussi m'a prise dans ses bras pour me réconforter. Victor et Michelle se sont joint au câlin, cherchant eux aussi le réconfort de Peter. Notre univers déjà fragile venait de basculer dans un cauchemar. Nous sommes restés là encore sous le choc, jusqu'au soir, jusqu'à ce que Peter brise le silence et dise :

- Bon, vu qu'on a plus grand chose et qu'on a abandonné toutes nos courses là-bas, je vous propose de faire des omelettes avec les œufs qui nous restent.

- Oh oui ! J'adore les omelettes ! répondit Victor.

- Ça me va, répondis-je.

Michelle n'a pas parlé mais a hoché la tête lentement donnant son approbation. Pendant que Peter tentait de ramener un semblant de normal dans nos vies nous avons continué de regarder le mur, mes bras entourant leurs épaules.

- Je ne sais pas si j'ai encore envie de sortir après ça, me chuchota Victor.

- Tu n'es pas obligé de sortir si tu ne veux pas, Peter et moi le ferons.

- Mais... Vous ne pouvez pas sortir ! Il y a le monstre ! me dit horrifiée Michelle.

- Ne t'inquiète pas pour ça, maintenant qu'on sait qu'il existe on va faire attention et on sortira armés et puis on ne va quand même pas se laisser mourir de faim non plus ! lui répondis-je d'une voix pleine d'assurance.

Pourtant, je n'étais pas du tout rassurée. En réalité, j'aurais aimé me cacher dans ma chambre, roulée en boule sous ma couette et ne plus jamais sortir. Mais je vais bientôt avoir 18 ans et Peter en a 19, nous devons montrer l'exemple, les protéger. Si nous ne le faisons pas alors qui le fera ?

Lorsque je tournai la tête pour voir où Peter en était avec les omelettes je le vis adossé à la rambarde de la cuisine, les bras croisés et les sourcils froncés. Il nous regardait, il me regardait, et l'inquiétude peignait son visage. Il devait nous écouter et avait sûrement compris à quel point je n'avais pas envie de sortir après ce qu'il s'était passé. Je lui ai souri pour essayer de le rassurer mais ça a eu l'air de produire l'effet inverse. Il a soufflé et a passé ses mains dans ses cheveux comme il le fait toujours lorsque quelque chose le tracasse. Cela fait quelques mois que nous sommes là et pourtant j'ai l'impression de mieux les connaître que quiconque avant la catastrophe. Je connais leur manière de parler, de marcher, de respirer et pour certains, ou plutôt certaine, de pleurer. Je les aime tellement, ils sont ma famille maintenant. Je ne sais pas ce que je ferais sans eux. Je n'aurais pas supporté de me retrouver seule dans ce monde fantôme. Je pense que je serais devenue folle. La nuit maintenant tombée, nous nous sommes mis à table. Les omelettes ont eu l'air d'avoir un effet magique sur Victor. Il semblait revigoré et nous raconta pour la millième fois ses blagues préférées. Michelle était gentille en rentrant dans son jeu, faisant comme si elle ne les avait jamais entendues, et se forçait même à rire. De mon côté je souriais poliment pour ne pas le vexer, mais il faut dire que ses blagues ne sont pas dignes d'un one man show comme il aime à le penser. Peter, quant à lui, n'a pas dit un mot du repas, la mine renfrogné il n'a pas même réagi lorsque je lui ai demandé de me passer le sel. Quelque chose n'allait pas. Il n'était pas comme d'habitude.

La catastrophe Où les histoires vivent. Découvrez maintenant