Chapitre 4

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Helga me prit dans ses bras, me serra fort contre sa poitrine chaleureuse, tentant en vain de me calmer. Mais je criais, je ne voulais plus m'arrêter, j'avais ce grattement au fond de mes entrailles, ce chatouillement dans la poitrine qui ne voulait plus me quitter. " Je veux voir la mer ! Helga ! Méchante, dis à père que je le veux, je le veux!". Elle se penchait sur moi, caressait mes mèches sombres du bout des doigts, avec une tendresse qu'on devinait exaspérée. Déjà alors, elle m'aimait comme le fils qu'elle n'avait jamais eu, comme celui qui, je l'appris bien plus tard, était mort dans son ventre encore tendu. Une âme partie avant d'avoir pu voir un lever de soleil. Lorsqu'on m'avait déposé contre elle, criant et rouge comme une écrevisse, la peau fripée et toujours chaude, son cœur s'était gonflé d'un même souffle, puissant et éternel. Celui d'un amour inconditionnel. Cette mère qui ne me laissa rien d'autre que le souvenir de ses baisers, je peine à retracer les lignes de son visage, du contour de son sourire et des rides au coin de ses yeux. Alors Helga, la douce, approcha ses lèvres « Admire le monde autour de toi, petit oiseau. Il est frais et clair comme l'eau de pluie, beau comme le chant des loups au soir tombé ! La danse des vagues peut attendre ! L'écume ne meurt jamais, elle revient toujours se déposer aux pieds du sable blond : elle t'attendra autant de temps qu'il faudra, yeux d'ange. » Elle entama une contine simple, d'une de celles que toutes les mères du pays connaissent, et, me tenant fermement contre elle, me balança dans l'espoir, sûrement, de remplacer le chaloupement de l'océan. Elle aurait voulu posséder tous mes désirs pour me les offrir sur un plateau sertie de rubis.

Mais qu'étais-je alors ? Une vie minuscule, à peine sortie de la petite enfance et encore moins conscient des autres que je ne l'étais de moi-même. Pour moi la tristesse n'existait pas sans larmes, la joie n'était rien sans rire. L'amour ? J'en avais entendu parler, mais l'avais déjà ressenti, reçu, donné ? De plus que l'amour maternel était pour moi un mystère dont je n'attendais plus rien. Alors tel un démon aux griffes rouges, et malgré le visage attristé de ma nourrice, je repoussais sans état-d'âme ses caresses pour crier au monde le mal qui me labourait le ventre. La mer m'appelait et j'étais incapable de lui répondre. Je levais les bras, je tapais des pieds. Un petit démon aux griffes rouges.

Le matin suivant, alors que la Grande Salle se vidait, précédée du roi, je me précipitais à sa suite. J'apercevais à peine le haut de sa tête qui disparaissait déjà, recouverte par l'obscurité d'une alcôve. Il avait entendu parler de mes demandes mais les prenait pour des caprices d'enfant, il avait déjà pris la décision de m'y faire emmener par mon nouveau précepteur qui voyageait en ce moment même vers l'île au bord d'un bateau conquis, tout comme lui et le royaume auquel il appartenait. L'écho de ma course rapide, qui me semblait être celle de milles géants, l'avait averti de ma présence. Au détour d'un corridor, il s'arrêta et m'observa silencieusement me jeter à ses pieds, une vision étrange pour un roi qui n'avait jamais été considéré l'égal des dieux, une vision flatteuse aussi sûrement.

- Que veux-tu? Tu vas être en retard à tes leçons de la matinée. Et relève toi ! Ici, on ne demande à aucun homme de se prosterner devant un autre.
Le front posé contre le sol froid, je me recroquevillais encore davantage, conscient de la désapprobation dans son ton.
- Je m'excuse père mais viens pour vous demander de retourner à la mer m'expliquais-je du mieux que je pouvais.

Helga, contrainte de reconnaître ma détermination m'avait simplement conseillé de rester simple et humble. « Il est ton père mais surtout ton roi. »
Un étonnement momentané passa sur son visage, comme une ombre mouvante. Jusqu'à présent, mes dialogues avec lui se résumaient aux mots que lui rapportaient les gouvernantes. Il passa une main dans ses cheveux châtain.
- Je n'ai pas le temps de t'accompagner aujourd'hui. Une autre fois peut-être. Va, maintenant.
Il partait déjà, m'abandonnant sans un regard en arrière.
- Attendez, m'écriais-je soudainement. Je peux y aller avec les nourrices. Elles sauront s'occuper de moi.
Je portai sur lui un regard ouvert, plein d'un espoir enfantin. Il se retourna à peine, m'offrant la vision de son profil sévère, une nouvelle fois stupéfait. Je ne faisais pas souvent preuve de témérité.
- Non. Va vite, je ne veux pas que tes professeurs aient à se plaindre.
Sa décision sonna comme une mise à mort. Sa voix, intransigeante, me hanta quelques secondes encore avant que le claquement de ses talons ne disparaisse complètement. Je me retrouvai seul, entouré des torches qui crachotaient leur lueur tremblotante.

Les océans disparusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant