Chapitre 6

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Je m'inclinai profondément, laissant siffler entre mes lèvres un remerciement aux dieux guerriers. Lorsque je revins dans ma chambre, accompagné des gouvernantes, je me raccrochais aux paroles qu'avait prononcé mon père de toutes mes forces. Je laissais les nourrices me changer en tenue de nuit sans un bruit, les yeux perdus dans la glace de l'armoire. Mon visage était aminci, les rondeurs de l'âge tendre m'avaient délaissé, se laissant remplacer par une tulle pâle qui couvrait ma peau. Mes yeux noirs, enfoncés au milieu de ma figure fantomatique ressemblaient à deux billes luisantes. Mes bras flottaient dans les manches de la tuniques moelleuse, et mes côtes saillaient dès que je levai les coudes. Un chien aurait pu ronger mes os. Lorsque je demandai une couche supplémentaire, me souvenant des nuits passées à frissonner, ma voix me sembla éteinte, comme écorchée par des dizaines d'épines sèches. Loin des vents salés, il semblait que la vie me délaissait. Je ressemblais à un enfant fantôme, prêt à plonger dans le Styx.
Néanmoins, lorsque je déposai ma tête sur l'oreiller, la promesse du roi me souffla des songes d'eau et d'écailles.Je me réveillai animé d'une vigueur folle.

Le nouveau maître était petit, de cette constitution typique des gens de son pays qu'il appelait Egypte avec un accent mielleux qui polissaient toutes les consonnes et enjolivaient les voyelles, comme un bonbon autour duquel on enroule la langue. Lorsqu'il parlait, c'était un roucoulement, un chant sautillant qui ne tenait pas en place. Le grand livre poussiéreux qu'il avait tiré de la bibliothèque royale, à grands cris de protestations, car, selon lui, il était honteux que la couronne ne possède qu'un ouvrage traitant de l'Égypte, me soufflait maintenant des nuages de fumée à chaque page tournée. Il me montra le nil, suivant du doigt le tracé argenté qui serpentait entre les vallées et contrées, à l'est la mer rouge et au nord, la mer Méditerranée que l'on atteignait après être passé par le Caire, une ville grandiose selon lui "un rêve bleu dont on ne se réveille jamais" et enfin, il arrêta sa démonstration sur un petit point au dessus duquel on pouvait lire La Mecque.

- Un jour, votre altesse, il sera de votre devoir de vous rendre là-bas et de visiter les oliviers et les jardins tout en fontaines. Tout bon souverain se doit d'entretenir les meilleures relations possibles avec les grands Califes arabes.
- Père n'a jamais mentionné ces grands rois, répondis-je docilement, impressionné malgré moi par l'énergie inattendue de ce petit homme à la peau brune.
Il me répondit par un grand sourire qui sembla le réchauffer tout entier, jusqu'à ses oreilles rougies par le froid.

Les soldats qui l'avaient introduit dans la salle des Cartes, que le roi avait réellement investi en tant que son bureau, n'avaient pu s'empêcher de le dévisager, lui et son accoutrement déplacé. Venu du sud lointain, là où les fleuves sont bordées de végétation luxuriante et où on plonge les orteilles dans l'argile molle, il n'avait su comment s'adapter correctement au climat de Clairlys. Il avait sorti de ses bagages un épais bonnet de laine, sûrement tricoté dans les faubourgs du Caire, ridicule face à nos peaux d'Hermine blanche et nos queues de renard, ses jambes étaient découvertes, seulement protégées par un vulgaire pantalon doublé, erreur fatale et ses gants trop fins semblaient grelotter à la moindre occasion, c'est-à-dire, à chaque instant. Enfin, tout semblait crier ses étranges origines. Son physique n'arrangeait rien, ni sa basse taille, ni sa peau halée qui contrastait avec le teint pâle des habitants de l'île. Pourquoi père avait-il donc accepté que cette étrange personnage soit celui chargé de l'éducation de son unique héritier ? Malgré mon jeune âge j'avais alors déjà intégré le dégoût et rejet du roi face aux étrangers et, surtout, son habitude maniaque de tout contrôler. Jusque là, mes instructeurs de chant ou bien de cithare consignaient dans un grand livre chaque mélodie que je fredonnais, chaque vers dont je récitais les paroles. Chaque soir, au milieu des mains crochues du soir, il se penchait sur l'encre à peine sèche et lisait à la lueur des bougies tremblotantes le moindre de mes mouvements. Il suivait ma vie de loin, tel un inconnu valsant avec mes songes, lisant entre les pas de danses le rythme qui régissait mes journées.

En bon maître et bon serviteur, Ounamon prévu une sortie au phare jaune dans les jours qui suivaient, afin d'admirer le port et les constructions qui organisaient son quotidien effréné. "Il est important pour un prince de connaître la source de richesses de son royaume, plus encore pour un descendant des Vharys!" s'exclama-t-il d'un ton enjoué. Il était surpris qu'à mon âge, je n'ai encore jamais découvert la ville d'If, If la majestueuse, If la brillante, If la sanglante. A cette époque, la capitale de notre petit royaume, bien que reculée dans les tréfonds du nord, avait une réputation qui avait transcendée les mers et les océans. Les petites pierres précieuses qui avaient fait notre réputation, et qu'on ne trouvait que dans la roche volcanique de Clairlys avait des reflets rouges qui lui avaient valu le surnom de ville rouge. Une appellation plus que fausse lorsqu'on y pensait. Si c'était du port d'If que les pierres partaient pour leur destination, c'était bien plus loin de la côté qu'elles étaient récoltées et sorties des entrailles de la terre, à grands renforts de pioches et de feu. 

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⏰ Dernière mise à jour : Jan 27 ⏰

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