Chapitre 7 : « Foire aux questions »

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Même les jours où je n'étais pas censée être en service, j'avais pris l'habitude de venir au travail.

La Poule Noire était, à peu de chose près, devenue une seconde maison. Une maison où l'alcool coulait à flots et où l'odeur humide de sueur et de tabac devenait presque immonde à partir d'une certaine heure, mais une maison tout de même fréquentable étant donné qu'au moins par ici ma présence indifférait presque. C'était ici que j'avais bâti ma nouvelle identité, une identité flambant neuve que j'avais réinventée aux manières de ce monde si particulier.

J'avais trouvé une petite routine, j'aimais particulièrement discuter avec certains habitués de la maison, un peu moins avec d'autres, avais une table officieusement attitrée et même qu'avec le temps Jule et Traian, les chimères patronne de ce lieu avaient presque commencée à me faire preuve de respect. Chose qui démontrait d'une avancée significative de l'ampleur que je prenais en ce lieu.

Certaines fois, « La Poule », comme l'appelaient ses plus fidèles habitués, me faisait penser aux petits bistrots communaux comme j'avais pu en connaître durant mon enfance dans une petite bourgade perdue de la Sibérie occidentale. J'y retrouvais le même sentiment hermétique et communautaire, comme avait pu le dire l'homme avec qui j'avais discutée lors de mon premier jour ici, tout le monde se connaissait de près ou de loin et ceux depuis des années tant La Poule constituait un cercle fermé, presque intime, chose qui parfois pouvait être un avantage comme un inconvénient. Les messes basses et les ragots étaient caractéristiques de ce type d'endroit, et bien évidemment comme partout ailleurs dans la cité, je n'y échappais pas. Cependant, mes oreilles à l'usure s'étaient accoutumées, maintenant c'était devenue presque marrant d'entendre ce que les gens pouvaient bien avoir à dire et colporter sur moi en ne connaissant rien de plus que mon prénom. La population locale avait pu apprendre des tas de choses sur ma personne, et moi sur moi-même; comme le fait que je serais apparemment une sorte de messie de la fin du monde, une envoyée de la « divine l'Oracle », ou encore une espionne terrienne en expédition de renseignement sur Eldarya. Si seulement une de ces choses pouvait s'avérer vraie, au moins cela me donnerait une raison d'exister ici, un but à atteindre, une ligne directrice à suivre, mais non. Jusqu'ici mon chemin ne se dessinait que dans une incertitude brumeuse.

-« Un café noir sans sucre. Et un cendrier s'il vous plaît. » demandais-je a l'habituelle serveuse qui paraissait dénuée d'âme. Peut-être qu'elle l'avait perdue avec l'âge et l'usure du temps ou alors en cours de route en cherchant son chemin, après tout, cela pourrait quelque chose à craindre; me perdre à trop vouloir me trouver.

Sans plus m'attarder sur des questions qui n'obtiendront de toute manière pas de réponses je déballais sur la table où j'avais pris l'habitude de m'installer pratiquement tous les jours de la semaine autres livres, carnet et feuilles volantes. Je profitais du fait que durant la matinée La Poule n'était pas aussi peuplée que durant la mi-journée ou encore la soirée, là où elle connaissait son pique de fréquentation. En effet La Poule n'était peut-être pas l'endroit rêvé pour potasser un livre d'Histoire mais le café et la possibilité de fumer pendant ma lecture elle, était nécessaire à mon correct apprentissage. En ouvrant mon livre à la page où je m'étais précédemment arrêtée je sortis de ma poche la boîte métallique de mes cigarillos et en allumais un à l'aide d'un cierge pour accompagner ma lecture. En dépit de l'inexistence de cigarettes industrielles comme j'avais pu en connaître sur Terre à Eldarya, j'avais tout de même pu faire perdurer cette mauvaise habitude qu'est le tabagisme, grâce ou à cause, des marchands de « pétun »* sur la place du marché d'Eel. À noter que le « pétun » eldaryen s'avérait plus savoureux et plus épicé que n'importe quel autre tabac que j'avais pu fumer sur Terre, c'était au moins ça de gagner.

Après quelques minutes que je n'avais pas sentie filé, la serveuse vint m'apporter mon café et mon cendrier. En y réfléchissant bien, peut-être cette dernière était elle muette ? Rien qu'espérer entendre le son que pourraient produire ces cordes vocales le jour où elle déciderait de parler, ne serait-ce que pour une onomatopée, me paraissait relever de l'impossible.

Plume [fanfiction Leiftan]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant