Chapitre 4-Falco

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Princeton - 25 août

Le taxi que j’ai pris depuis l’aéroport s’engage sur un sentier fait de petits cailloux. Nous parcourons le chemin bordé d’arbres sûrement aussi vieux que l’immense bâtisse qui se dévoile à mesure que nous approchons. C’est quoi ce délire ? Une des facultés les plus prestigieuses des Etats-Unis se trouve être une sorte de château médiéval ? La bonne blague. Si j’avais pris le temps de me renseigner sur l'établissement avant de venir, je serais au courant, mais l’idée même de me retrouver sur les bancs d’un amphithéâtre à écouter un prof me foutait en rage. J’ai donc opté pour le déni en gardant la surprise pour mon arrivée. Je suis déçu. Je m'attendais à un truc à la pointe de la modernité, à des sas d’entrée où l’on doit prouver notre identité grâce à un laser qui scanne nos pupilles. Ou au moins nos empreintes digitales, merde ! Au lieu de ça, je crois bien que je vais me retrouver avec une bonne vieille grosse clé en fer à l‘ancienne. Ça ne m’arrange pas des masses qu’ils soient à la traîne niveau sécurité. Je ferai avec. Ce n’est pas comme si j’avais le choix de toute façon.

Une fois mon chauffeur réglé avec les dollars que j’avais fait changer avant mon départ, je pénètre à l’intérieur, sous les regards des autres élèves présents. Je comprends leur stupeur. Nous n’avons pas le même profil. Je détonne dans le décor. On dirait plutôt que je viens faire régner l’ordre qu’étudier comme eux. S’ils savaient que je suis plus du genre à foutre le bordel que de sécuriser les lieux, ils s’éloigneraient au lieu d’approcher pour voler quelques bribes de la conversation que je m’apprête à avoir avec la personne présente au bureau des admissions.

— Bonjour et bienvenue à Princeton, débite la femme d’une cinquantaine d’années sans jamais se départir de son sourire.
— Falco Dwight.
Son visage se décompose. Son front se plisse alors qu’elle me fixe de façon insistante. Il doit bien y avoir des sportifs tout aussi bien bâti que moi dans cette université, non ?

— Veuillez m’excuser si je commets un impair, mais votre nom ne me dit rien.

— Normal, c’est ma première année et je viens à peine d’arriver.

— Oh d’accord, comme vous vous êtes présenté sans rien dire de plus que votre nom, j’ai cru que je devais savoir comme une évidence qui vous étiez.

Elle s’attendait à ce que je lui dise quoi d’autre ?

— J’imagine que je suis sur l’une de vos listes. Je vous indiquais donc mon identité pour que vous puissiez m’orienter.

  — Désolée, je vous ai pris pour ces “fils de” qui n’ont qu’à décliner leur identité pour qu’on leur cire les pompes, se plaint-elle en farfouillant dans ces papiers pour dénicher mon nom.

Je garde pour moi que je vois bien de quoi elle parle. À Centori, tout le monde connaît ma lignée. Et mon rang. Je ne suis peut-être pas celui qui sera à la tête du clan une fois que mon père passera le relais, ça n’empêche pas que je suis plus craint que mon aînée, Francesca. Avec elle, il est possible de parler, négocier ou d’obtenir un délai. Alors que lorsque je débarque, il n’est plus question de discussion. Quoi qu’il en soit, je n’ai jamais joué de l’avantage donné par mon nom. Pire, je méprise ceux qui en usent.

— Voilà, s’exclame-t-elle enfin en sortant une pochette à l’effigie de l’université. M. Dwight, Histoire des Arts.

Elle relève le visage pour croiser mon regard, étonnée. Histoires des Arts ? Je ne saurais dire lequel de nous deux est le plus surpris. Je ne comprends même pas ce que ça signifie. Que va-t-on nous enseigner ? Je n’en ai pas la moindre idée, mais ça me semble être une douce promesse d’ennui profond. Fallait qu’Irina choisisse des études pourries évidemment ! La préposée aux admissions se reprend face à mon silence et me donne un dossier qui contient mon emploi du temps ainsi qu’un plan de l’université. Voilà qui m’intéresse déjà plus. Ça m'a l’air d’être un véritable labyrinthe ici. Il faut que je prenne mes marques au plus vite. En cas de besoin, je dois être capable de nous faire sortir d’ici sans réfléchir à si nous devons prendre à gauche ou à droite. Elle me précise également où se trouve le logement étudiant qui m’a été attribué. Un rire nerveux m’échappe. Je sais que le père d’Irina a fait en sorte que nous vivions sous le même toit. Plus pratique pour que je la garde à l'œil 24h/24 et 7J/7. Je ne perds pas plus de temps et tourne les talons.
Je crois qu’il est temps d’aller rencontrer ma petite protégée russe.

Le temps de parcourir le chemin jusqu’au petit immeuble où se trouve l’appartement qui me fera office de pied à terre pour l’année à venir, j’ai mémorisé chaque nom de rue. J’ai observé les alentours et les personnes qui passaient. Si je n’ai pas pris de renseignements au préalable sur l’université ou les études que j’allais devoir me farcir, j’ai étudié la situation politique, dirons-nous, du clan Yourenev.
L’adage dit : sois proche de tes amis, mais encore plus de tes ennemis.
Le patron russe n’est pas en bon terme avec les mexicains. Chacun fait ses affaires de son côté, mais je préfère veiller à ce qu’aucun membre présent dans le New-Jersey projette de s’en prendre à sa fille. Et pour m’en assurer, j’ai ma petite idée.

Sans m’attarder, je passe la porte d’entrée principale et grimpe les escaliers quatre à quatre jusqu’au 3ème étage. Avant de pénétrer dans l’appartement, je vérifie où se trouvent les issues de secours. Un peu trop éloignées à mon goût sur le palier, mais je devrais m’en accommoder. Une fois à l’intérieur, je ne prends pas le temps d’apprécier le décor. À droite, la cuisine, à gauche la salle de bains, le salon dès qu’on ouvre. Merde, on est tout sauf en sécurité ici. J’opte pour ouvrir la porte de la première chambre sur ma droite. Il va me falloir trouver une planque pour mes armes et le paquet de fric que j’ai amené, juste au cas où. Pour l’instant, je les fourre dans le bas de l’armoire et les ferme bien à l’aide des cadenas prévus.
Je n’entends pas à un bruit à l’intérieur, mais un rire typiquement féminin résonne un peu plus bas. Il y a de grande chance qu’il s’agisse d’Irina puisque son père nous a informés qu’elle devait arriver à peu près à cette heure-ci. Je sors dans le couloir et je reconnais aussitôt sa longue chevelure noire tandis qu’elle marche à reculons. Et si j’avais eu le moindre doute sur son identité, l’homme tatoué au regard meurtrier qui l’accompagne m’aurait éclairé. J’aimerais lui dire que ce n’est pas malin de l’avoir déposé ici, mais je m’abstiens. À la place, je me mets sur le chemin d’Irina et profite qu’elle me fonce dessus pour lui dérober son téléphone portable. Il faut que je lui foute un traceur dedans en toute discrétion. Elle se confond en excuse, un sourire séducteur sur les lèvres. Ne flirte pas avec moi, poupée, on n’en a pas le droit.

Je les laisse tous les deux et file dehors. Je sais que son chien de garde viendra vite me trouver. Entre hommes sanguinaires, on se comprend sans parler. Je l’attends derrière la bâtisse, les mains dans les poches. J’imagine qu’il va menacer de me tuer de la pire des façons si je merde. Je suis blasé d’avance par cet entretien. Je ferme les yeux en patientant.
Soudain, un coup sur mon menton projette ma tête en arrière. Merde, l’enfoiré ! Il est silencieux.
Je me redresse au plus vite, récupérant mon équilibre et mes idées. Je n’attends pas le coup suivant pour répliquer. Aucune pitié dans mon esprit, même s’il est censé être mon allié ou mon commanditaire. Et son âge ne lui vaudra mon respect que s’il démontre ses capacités à me tenir tête.
Mon poing vole vers son plexus pendant que j’esquive son coup droit. Je souris de sa grimace de douleur. Erreur de ma part car le russe se reprend à une vitesse surprenante et me tacle d’un pied botté vers ma rotule. Je saute en arrière de justesse. Les coups s'enchaînent. Mes phalanges gonflent et deviennent douloureuses mais je refuse de plier face à ce mec. Adieu ma belle gueule sans trace, merci à ce vaffanculo de gâcher mes efforts.
Youri me plaque contre le mur de briques grises et les branches d’un arbuste se plantent dans mon dos, son avant-bras énorme tente une prise d’étranglement pendant que je le frappe dans les côtes de façon répétée et rapide. Il est indispensable que je me dégage avant de perdre connaissance dû au manque d’air. Je pourrais lui écraser le nez dans un mouvement ascendant mais c’est un coup mortel. Lui claquer les oreilles ? C’est douloureux et incapacitant. Je prends ma décision en un quart de seconde. Il me relâche en grommelant des insultes en russe et en secouant la tête dans un réflexe pour éliminer la pression.
Nous échangeons un regard mauvais en tentant de reprendre un semblant de respiration. J’observe autour de nous afin de m’assurer que notre petit spectacle est resté sans public.
— Ça va, Adriano n’a pas missionné le premier petit merdeux de son clan, crache ce connard.
S’il savait que je suis son fils, il ne la ramènerait pas autant.
— Il vous passe le bonjour, réponds-je en souriant pour la première fois depuis que j’ai posé un pied aux Etats-Unis.
— Tu as intérêt à assurer.
— Sinon je vais finir couper en petit morceaux, c’est ça ?
— J’y prendrai un grand plaisir.
— Vous avez fini ? Non pas que je m’ennuie, mais pendant qu’on papote, elle est sans surveillance.
— Ne la ramène pas trop avec moi. Irina est la prunelle de notre famille, c’est compris ?
— 5/5 l’ancêtre.
Le vieux me renvoie un coup de poing bien placé dans l’estomac. Je l’entends rire avant de partir aussi vite qu’il est arrivé.

Le ProtecteurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant