Chapitre 14 -Falco

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8 septembre, Princeton Université.

Avait-on besoin d’arriver dix minutes avant le début du cours ? De mon point de vue : non. Mais il faut croire que ma petite protégée stresse à l’idée d’avoir les résultats du fameux devoir sur lequel elle a bossé comme une acharnée puisqu’elle est tombée du lit ce matin. J’ai remarqué qu’elle a veillé à s’habiller avec soin. J’imagine que c’est pour être présentable auprès de monsieur Anderson et faire la meilleure impression possible lorsqu’il prononcera son prénom, comme elle l’espère. Personnellement, je préfèrerais que ce ne soit pas Irina qui soit choisie pour être son assistante. J’ignore comment je pourrai la surveiller le temps qu’elle devra passer avec lui en dehors des cours. J’aviserai le moment venu. Pour l’instant, son départ précipité pour être les premiers dans l’amphi m’a empêché de boire mon café, je n’ai donc pas les idées claires.
Je me pose à ma place habituelle maintenant dans l’amphithéâtre. La rangée la plus haute et le siège le moins exposé. J’ai la surprise de voir Irina me suivre et s’installer à mes côtés. Ces derniers jours, j’ai remarqué un changement d'attitude de sa part. Je peux me tromper, mais j’ai la sensation qu’elle me tourne autour. C’est bizarre puisque c’est moi qui suis censé la suivre… Je jurerais qu’elle flirte. J’ai droit à des grands sourires, à des regards charmeurs et elle a même pris la peine de m’aider à cuisiner l’autre soir quand je suis rentré avec mes courses du traiteur italien indiqué par une des filles dont j’ai déjà oublié les prénoms. Bon, elle a d’abord commencé à se foutre de ma gueule en me voyant lire plusieurs fois les consignes de cuisson sur le paquet de pâtes l’air perdu. Je ne sais pas bien à quoi elle joue, mais l’unique consigne que j’ai reçue de la part de son père est de ne pas la toucher, alors aussi tentatrice soit-elle, il n’y a pas moyen que je pose un de mes doigts sur elle, sauf en cas de danger.

— Je n’en reviens toujours pas que tu ne m’aies pas laissé lire ton devoir.

— Je n’allais pas prendre le risque que tu me copies.

— Je ne suis pas une tricheuse, se vexe-t-elle. Je n’en ai pas besoin. D’ailleurs, je suis certaine que c’est plutôt moi qui aurais des choses à t’apprendre.

— Tant d’humilité…

— J’en ai autant que toi de la sympathie.

— Je ne suis pas méchant.

— Ça ne signifie pas que tu es gentil pour autant.

— Un point pour toi.

Jamais je ne souhaite que cet adjectif soit utilisé pour me qualifier, putain !
Sa copine, Stacy, nous rejoint et s’assied à la droite d’Irina.
Moi qui aime ma tranquillité, elles ont décidé de me coller, c’est ma veine !

— Salut, me lance joyeusement la blondinette en agitant les doigts dans ma direction.

Je ne lui réponds que par un mouvement bref du menton. Je ne vais quand même pas faire la conversation et commencer à échanger des potins comme une pom-pom girl. Les filles chuchotent entre elles sur leur ressenti au sujet du devoir, leur tête penchée l’une vers l’autre. Je tends l’oreille au cas où une info importante se glisserait parmi leur blabla. Irina fait trembler sa chaise et tapote la tablette de ses ongles manucurés dans un rythme nerveux.

— Tu peux arrêter ça ? lui ordonné-je en fixant sa jambe qui ne cesse de remuer.

— Comment est-ce que tu peux rester stoïque comme ça ? Tu n’as pas envie de devenir son assistant ? C’est une super opportunité.

— Peut-être, mais ne pas l’être ne va pas nous empêcher de poursuivre nos études.

Je dis ça pour elle, notez bien. Moi, pour ce que je m’en fous.

— J’ai passé beaucoup trop d’heures sur ce devoir pour ne pas être celle choisie.

— Comme beaucoup d’autres élèves de cette section.

— J’espère que tu ne parles pas pour toi.

— Et pourquoi pas ?

— Parce que je ne t’ai pas vu travailler une seule fois ?

— Je ne crois pas que tu sois dans ma chambre pour vérifier ce que je fais ?

— Ça peut changer, me répond-elle du tac au tac, mais d’une voix qui se veut plus douce.

Qu’est-ce que je disais ! Irina Yourenev me drague, ma parole ! L’arrivée de notre cher professeur me prive de lui répondre. Ça m'arrange parce que j’avoue qu’elle m’a pris aux dépourvus en m’attaquant de front de la sorte. Jusqu’ici, elle s’était contentée d'approches discrètes. Irina se redresse immédiatement et se tient bien plus droite. L’amphi’ est maintenant occupé par d’autres élèves. Certains sont comme ma voisine, stressés et impatients. D'autres, comme moi, s’en branlent royalement.

— Je ne vais pas y aller par quatre chemins. Peu d’entre-vous ont su se démarquer. Enfin pas dans le bon sens…

Ce type est insupportable. Il prend clairement son pied à user de son pouvoir sur les élèves qui suivent ses cours. Un frisson parcours Irina. Qui aurait cru qu’un cinquantenaire mal fagotté puisse faire autant peur à la fille d’un chef mafieux ? C’est ridicule ! Le vieux se décide enfin à rendre les copies en ordonnant au premier élève de la rangée du bas de s’en occuper. Il fait durer le suspens en ne précisant toujours pas qui a décroché le Saint-Graal. La mienne passe des mains d’Irina aux miennes. Un B- ? Je devrais en avoir rien à foutre, mais il faut croire que le “désolée” murmuré par ma colocataire me vexe. J’espère pour Alessandro qu’il n’a pas payé trop cher la personne qui a fait ce fichu devoir parce que cette note est clairement pourrie.

— J’ai un B- ! s’écrie Stacy, rayonnante. Merci, je n’aurai jamais atteint cette note sans toi.
Elle câline Irina avec un “hug” typique des américains. Ma colocataire lui rend avec bonheur et se réinstalle sur sa chaise, le professeur les fusillant du regard pour leur effusion trop bruyante. Donc cette fille a eu le même score que moi. C’est si affligeant que je doive cacher mon irritation.
L’immense sourire d’Irina m’indique avant que je ne vois sa note qu’elle a réussi à faire ses preuves. D’un air fier, elle me montre sa feuille. A-. Bordel ! Est-il possible que quelqu’un ait fait mieux que ça ?

— Tous les élèves ayant en dessous de B, le prochain devoir à rendre sera déterminant pour vous. Soit vous obtenez mieux, soit vous serez exemptés de mes cours. Ca vaut aussi pour les B- évidemment.

Il ajoute ça en me fixant par-dessus ses lunettes. Il cherche quoi ? Que je les lui fasse bouffer ? Des murmures parasitent l’amphi’. Les intellos cherchent à savoir qui a eu la meilleure note. Irina les ignore. Toute son attention est fixée sur notre professeur.

— L’élève qui s’est démarqué et qui sera donc mon assistant pour préparer l’exposition est Irina Yourenev.

Tous les regards convergent dans sa direction. Donc la mienne. Je braque le mien de tueur pour qu’ils détournent tous les yeux. J’ai assez à faire avec une fille de chef mafieux, inutile de lui ajouter l’étiquette de la fille qu’on a envie de saboter pour prendre sa place.

—  Félicitations à vous Mademoiselle. Vous viendrez me voir à la fin du cours pour que nous discutions des formalités.

— Bien, monsieur Anderson, répond-elle d’une voix forte pour couvrir les masses basses de l’assemblée.

Fais chier, putain ! Furieux de voir ma mission se compliquer, et aussi d’avoir écopé d’une sale note, je sors mon portable de ma poche et envoie une missive à mon beau-frère.

[ Rassure-moi, tu t’es occupé toi-même du devoir que je t’ai envoyé ? Parce que je me tape une note de merde. J’aurais dû me douter que ça te ferait marrer de me faire passer pour un cancre. Tu me le paieras ]

Le ProtecteurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant