Chapitre 1

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“Fanny ! Ramène-moi le dossier sur les agriculteurs s’il-te plaît !” Il était déjà vingt-trois heures et Gabriel n’avait pas encore bouclé son travail de la journée. Le lent tic des horloges dans le large bureau de l’hôtel Matignon se couplait avec le bruit lancinant du grattement du stylo Montblanc du ministre. Le silence assourdissant et l’atmosphère pesante de ce mardi soir comme un autre pesait de plus en plus sur les épaules frêle de l’homme, qui tenait bon malgré ses deux heures de sommeil de la nuit d’avant. Il ne cessait de s’extenuer à la tâche depuis le neuf janvier, et se sentait chanceux quand il pouvait se reposer. Cette journée avait été particulièrement intense, parsemée de différentes interview avec différents journaux. Les uns voulaient en savoir plus sur les réformes de l’éducation et d’autres sur les agriculteurs, et il se faisait un plaisir de leur répondre avec honnêteté et bienveillance.
“Je pense sincèrement que ces causes, ces problèmes actuels, sont liés à un manque d’éducation civique des jeunes. Pour cela, mon gouvernement et moi avons décidé d’instaurer un service national universel obligatoire chez tous et d’imposer l’uniforme dans les collèges et lycées. Effacer les classes sociales va réduire le harcèlement, il sera donc inutile d’éduquer les jeunes sur le fait que les différences existent et qu'il faut les accepter !” avait-il ainsi dit à la presse.
 Sa logique était imparable, façonnée judicieusement et fondée sur des principes bels et bien véritables : Liberté, Fraternité, Égalité. Cela faisait déjà plusieurs mois qu’il avait instauré le bannissement et l’interdiction de l’abbaya dans les écoles et il en voyait déjà les bienfaits, tellement moins d’étrangers étaient fiers de leur culture ! Il n’aimait pas se pavaner mais il ne pouvait s’empêcher de se sentir fier de ses efforts récompensés pour prôner la fierté de la culture française à son état pur. 

Le téléphone sonna, le tirant de ses pensées. Posant son stylo luxueux de côté, il attrapa l’objet et répondit :

-“Allô?

-Gabby ! C’est Manu, ça roule ma poule ? déclara avec énergie, au vu de l’heure, Macron à l’autre bout du fil.

-Oh tu sais, je travaille jour et nuit, j’en peux vraiment plus. Mais si j’ai de la chance je pourrai dormir une heure cette nuit.

-T’es courageux, canaille, je pense qu’on te le dit pas assez ! Je t’appelais pour te prévenir qu’il y aurait un invité dans la semaine à Matignon, tout droit des Etats-Unis ! C’est une personnalité influente là-bas donc accueille le bien !

-Tu me connais, j’ai le sens de l'accueil en moi ! C’est qui ce mystérieux personnage ? 

-Oui sale fripouille, Wélcome to France ! Tiens-toi bien parce que c’est rien d’autre que- OUI MAMAN J’ARRIVE ! s’interrompit-il soudain. Bon, je dois te laisser, Brigitte m’appelle, tu la connais si je viens pas elle va me priver de sortie et je vais faire du bowling avec Marine demain !”

Monsieur le Président raccrocha vivement, empressé de sortir de la situation délicate. Gabriel poursuivit alors son travail, le refrain redondant du frottement de la plume sur le papier reprenant. Il écrivait maladroitement quelques mots çà-et-là de la feuille vierge, comme “ souveraineté” ou “Egalim”. Après quelques minutes de réflexion intense, il finit par trouver des idées. 

“Mais oui ! Il suffit de faire un discours devant la presse en disant que j’adore les agriculteurs et c’est réglé !”

Il attrapa les différents dossiers éparpillés sur son bureau plus large qu’un appartement parisien étudiant et les empila proprement sur un coin du bureau, prêtant une attention particulière à ce qu’aucun coin ou côté ne dépasse. Il récupéra son iphone 15 pro max entreposé dans un des nombreux tiroirs du bureau et l’alluma en s’appuyant contre le dossier de sa chaise afin de s’étirer le dos après une journée entière à rester assis. Tandis qu’il entendait ses vertèbres craquer dans le silence propre à Matignon aussi tard, il vit qu’il avait quelques notifications. Il entra son mot de passe, àBasLabbaya, et ouvrit instagram pour y découvrir l’usuel, des appels manqués, des sms et des messages sur le répondeur. Il appela pour commencer le 123, en mettant le haut parleur pour entendre correctement sans avoir à rapprocher le microphone de son oreille. 

Vous avez deux nouveaux messages. Aujourd’hui à : 19H47,

Oui, coucou mon chéri, c’est maman. J’ai vu que tu venais de recevoir ta fiche de paye et franchement c’est pas assez pour quelqu’un comme toi, surtout quand on voit ton éducation parfaite ! Tu mérites mieux que ça, je t’ai fait un virement pépal, payepale… Je sais plus quoi ! Bref, amuse toi bien mon coeur des gros bisous de ta maman !

Archivé. 

Aujourd’hui à : 23H27,

Hey, c’est Steph… Je sais qu’on avait dit qu’on se parlait lus mais je voulais juste te dire que tu me manques et que si jamais ça te dit on peut toujours- oh mais qu’est-ce qui me prend encore moi, comment on supprime ça ? Putain j’y crois pas c’est pas possible d’être débile com- 

Supprimé.

Lâchant un soupir, Gabriel remua la tête, désespéré par Stéphane qui ne cessait de l’appeler depuis quelques jours maintenant. Ils étaient amenés à se rencontrer de temps à autre au vu de sa position de Ministre des Affaires Étrangères, à laquelle il avait été opposé mais Macron avait fini par le convaincre avec un engouement anormal. Qu’importe, il en avait marre de ce comportement intrusif et choisissait simplement de l’ignorer dès qu’il n’était pas contraint de le tolérer. Essayant de chasser ces pensées désagréables, il vérifia ses sms. Un message de pub, sûrement à cause de son abonnement sur un coup de tête à Tinder Premium qui avait dû revendre ses informations de contact, et un autre message de PayPal, qui lui confirmait un virement de 67 000 euros de MarieDeCouriss75006. Il sourit, pensant à ce qu’il allait acheter avec ça. Il songeait à mettre de côté pour s’acheter un autre jet privé, car on n'est jamais trop sûr niveau sécurité. 

Expirant lentement, il se leva en s’aidant des accoudoirs et se dirigea vers la porte pour sortir de son bureau. Il n’en pouvait plus et voulait aller se coucher au plus vite car demain s’annonçait intense, comme la veille, et comme le serait le surlendemain. Il passa par les longs couloirs peints d’or et de tableaux magnifiques, observant les moindres détails de ces corridors qu’il connaissait par cœur. Il tentait tout de même à chaque reprise de déceler les petites touches qui auraient pu lui échapper, comme le petit point vert sous le menton du cupidon sur le plafond à droite de l’ange. Ses différents rôles dans le champ politique lui avaient permis d’aiguiser et affûter ses sens et sa capacité à exploiter les détails afin de servir ses intérêts et croyance, il était implacable quand il en venait à attaquer personnellement ses opposants politiques. Le bruit des talonnettes de ses chaussures en cuir cent pourcents français résonnait dans toute l’enceinte du palais, en rythme avec l’hymne national qu’il fredonnait en pensant à l’importance de son rôle pour la France. Il allait être la Marianne de l’époque contemporaine et personne ne pourrait l’arrêter, surtout pas ces islamogauchistes du LFI. 

Après avoir parcouru la longueur de l’Hôtel en faisant étape dans le Salon Jaune, il sentit enfin la caresse de l’air frais de l’exterieur contre sa peau, léchant ses joues rougies par le froid de mi-janvier. Il fouilla ses poches quelques courts instants avant de trouver ses clefs pour sa voiture de fonction. Il se faufila à l’intérieur, allumant le chauffage et s’enfonçant dans son fauteuil en cuir français. Il mit en route le moteur et connecta le bluetooth sur son téléphone pour mettre son podcast favori tout en conduisant jusqu’à ses quartiers, à quelque cent mètres plus loin. 

Une fois dans son pyjama Mickey, il s’enroula dans sa couette, scrollant sur instagram. Il visionna quelques vidéos, laissant des commentaires écrits avec une attention particulière au vocabulaire utilisé. Il fit de même sur Tik Tok, application chinoise, en repostant diverses vidéos de jeunes, notamment qui revendiquent une fierté de la France ou une satisfaction vis à vis du SNU. Sa belle France mise en avant par la jeunesse, il n’y avait pas plus beau tableau à ses yeux. Le sourire aux lèvres, il posa son téléphone, réglant son réveil à six heures de matin et ferma les yeux, prêt à rêver d’un monde sans femmes oppressées par le voile et l’islam envahissant son pays adoré. 

Luxure, Politique et MinistresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant