La prison a des barreaux, Grey.
Greyson — 26 ans
Le directeur à la perruque brune de travers convie les adolescents à quitter le gymnase, annulant leur cours à la même occasion.
Il en faut peu pour faire plier ce pauvre homme, on dirait. Il ne ferait pas 5 minutes avec mon père dans un bureau sans sortir en pleurant toutes les larmes de son corps.
Je suis obligé de discuter avec quelques journalistes présents pour l'événement, jonglant comme je peux pour éviter de trop parler. Cette sortie est déjà trop médiatisée pour moi, ce n'est plus les gros titres que je vais faire là, mais tout le journal !
Et puis il y a eu cette jeune fille, me ridiculisant devant tout le monde. Ça, ça va faire la une de tous les journaux. Avec ses cheveux roux mal peignés et ses vêtements troués, elle n'a pas baissé une seule fois ses yeux verts, me fixant en crachant ses convictions sur moi. Je m'en suis pris plein la gueule comme on dit.
Même pas le temps de répondre, elle s'est échappée tellement vite dans un gros bruit, abandonnant le vieux micro sur le banc. Le dirlo était carrément blanc ! Elle a réussi à m'arracher un sourire que j'ai contenu comme j'ai pu. Mais elle avait raison : je ne voulais pas être là, mon speech était nul et en plus, sincèrement, je ne sais pas ce que vivent ces enfants et je ne le saurais jamais.
- Monsieur Myers, m'interromps un énième journaliste à la barbe drue et au regard dérangeant tandis que je me dirige vers la sortie, qu'auriez-vous répondu à la jeune fille rousse qui vous a parlé à cœur ouvert tout à l'heure ?
Il me parait jeune pour un journaliste, mais très audacieux. S'il commence ça carrière comme ça, il est sûr d'aller loin. Cependant, quelque chose dans son attitude me déplaît. Comme s'il allait écrire le pire des articles pour se faire connaitre, et je pense avoir deviné la réalité.
- Je ne souhaite pas me prononcer. Elle avait raison sur une bonne partie mais je ne partage pas toutes ses idées.
- Mais, monsieur !..
Je m'arrache à lui, l'ignorant royalement en partant. Plusieurs élèves m'attendent à la sortie, portable en main pour prendre des selfies. Et merde, qu'est-ce que je déteste ça ! Le problème : je n'ai pas le choix. Si je veux que mon père me lâche la grappe, je dois prendre sur moi aujourd'hui.
Il sera servi pour un an avec tous mes efforts !
Un selfie par ci, un autre par là, une tentative de baiser esquivé. Je me retrouve étonnement à chercher entre deux photos une tignasse rousse parmi la foule, en vain.
Punaise mais qu'est-ce qu'ils ont tous ! Je ne suis pas Emma Watson non plus !
- Monsieur Myers ! j'entends la voix du directeur m'appeler.
L'homme maigre se fraie un passage parmi ses élèves pour me joindre. Grâce à lui, je vais pouvoir retourner à ma voiture sans être dérangé.
- Merci énormément d'avoir fait le déplacement, il reprend. Je ne m'attendais à rien mais je suis très surpris. Vous avez réussi à captiver autant de monde juste avec votre jolie figure ! Désolé, je ne devrais pas dire ça. C'était très généreux de votre part.
- Je ne me vois pas vous dire que c'est normal étant donné que je ne serais jamais venu de mon plein gré. Ces jeunes ne changeront pas, vous le savez aussi bien que moi. Mais si ça a pu vous soulager pendant plus d'une heure, je vous en prie.
L'homme sourit doucement, une air tendre sur le visage, indiquant inconsciemment que j'ai plus que raison.
- Mais, veuillez m'excuser aussi pour le comportement de la petite. J'espère qu'elle ne vous a pas vexé, elle a un caractère explosif !
- Il en faut plus pour me vexer, croyez-moi. Mais je ne comprends pas trop son comportement.
Je m'arrête quelques secondes pour réfléchir avant de reprendre.
- Non, je me suis mal exprimé. Je comprends son comportement. J'admire son audace, plutôt. Elle a dit tout haut ce que tout le monde pensait tout bas. Ou, du moins, ce que pensent inconsciemment ses camarades pour les gens comme moi. Ma « belle gueule » comme vous dites, m'a beaucoup aidé aujourd'hui.
- Harper est brillante. Elle n'est juste pas née au bon endroit, comme vous aimez le dire. Ses parents sont... atroces. Pire que tous ceux qui sont ici. Elle ne le dira jamais, question de fierté. Je pense qu'elle a plus peur d'être emmenée loin du peu de personne à qui elle tient que de se faire frapper. C'est rare qu'elle ne se taise pas et qu'elle dise fort ce qu'elle pense. En général, elle se fait petite et quand on l'interroge elle explose de connaissances !
Il se met à rire en recoiffant ses faux cheveux, puis continue.
- Je ne suis pas objectif du tout, en fait. Cette petite a eu un frère exceptionnel qui lui a tout appris. Elle peut citer le nom de toutes les étoiles du cosmos le plus naturellement possible ! Elle a eu de la chance d'avoir un frère si acharné et aimant. Elle lui doit beaucoup.
- Pourquoi vous parlez au passé ?
- Il est décédé il y a quelques temps...5 ans peut-être ? Je ne sais plus. C'était tragique, tout le monde ne parlait que de ça ! La petite fille battue qui devait s'enfuir avec son frère le jour de ses 21 ans. Malheureusement, elle n'est jamais partie parce qu'il n'est jamais venu la chercher. Il s'est fait tirer dessus. Je ne sais pas ce qu'ils ont raconté à la petite mais en vérité, on ne sait pas plus qu'elle ce qu'il s'est passé en réalité. Classé sans suite aussi rapidement que le drame s'est produit ! Je trouve ça scandaleux, mais bon... Je ne peux rien y faire moi, juste écouter les bruits de couloir.
- Mais, vous ne faites rien pour la maltraitance ? J'interroge avec un peu d'étonnement.- Oh, vous savez, ici ce n'est pas un cas à part... À ce moment là, il faudrait dénoncer tous les parents de l'établissement je pense.
Je hoche lentement la tête dans le vide. Il ne semble pas le remarquer, mais je suis assez secoué par ce qu'il me raconte.
Je ne vis que ça à travers les séries, pas dans la vraie vie. Des meurtres ou accidents d'armes, ça arrive, j'en suis conscient. Mais l'entendre, c'est différent. Cette petite a perdu le seul espoir qu'elle avait alors qu'elle était âgée de quoi, 8 ou 7 ans tout au plus ? En plus, classé sans suite. Je ne pensais même pas que c'était possible. Moi, à son âge, j'étais aux Bahamas à nager dans l'eau claire, avec pour seule préoccupation le temps qu'il fera le lendemain et si la femme de chambre s'est occupée de faire mon lit.
Je ne peux pas ignorer la détresse dans ses yeux verts, la fureur qu'elle contenait dans ses poings et les traces de bleus sur son cou. Cette fillette a sûrement vécue plus de choses en 13 ans que moi en 26.
- Enfin bref, je vais vous laisser comme votre chauffeur est là ! C'était un réel plaisir monsieur Myers. N'hésitez pas à revenir.
Je lui serre la main qu'il me tend brièvement avant de filer dans la voiture noire aux vitrées teintées, qui va me ramener à l'aéroport.
L'engin démarre, et je regarde la horde d'adolescent me saluer à quelques mètres dans leurs vêtements troués et leurs baskets usées jusqu'à la semelle. Quelques filles pleurent ce qui me fait lâcher un rire.
C'est méchant, je sais. Mais elles sont si ridicules ! Je ne suis pas une super star Hollywoodienne. Je déteste qu'on soit dans un tel état pour moi.
Rapidement, le paysage d'école se transforme en quartiers insalubres et angoissants. C'est donc ça, la vie ici ? Marcher dans la rue près des poubelles et des guetteurs ? C'est donc ça que Harper vit tous les jours ?
J'ai beau chasser l'adolescente de mes pensées, elle revient systématiquement à dos de licorne.
Non mais je suis totalement détraqué moi ! Elle a 13 ans, Greyson ! C'est une de plus parmi des centaines de personnes qui vivent ici, qu'est-ce que tu t'en fous.
Dès que je rentre, rien à carrer je vais dans le jacuzzi avec au moins 3 nanas.
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The Embers -T2
RomanceTome 2 saga Milady's club Harper n'a jamais eu besoin de personne pour vivre. Seule contre tous, son corps est une arme mortelle, la seule qu'elle n'a jamais connue pour survivre dans ce monde impitoyable. Greyson n'a jamais eu besoin de personne...