Lorsque je descendis à la cuisine, j'avais à peu près repris figure humaine. Je trouvais mon père en train de faire le petit-déjeuner, et je souris. Il était rare que mon père se réveille avant moi. Il me sentit arriver derrière lui, et se retourna vers moi. Mon sourire disparut lorsque je reconnus la lueur dans ses yeux.
-Tu as parlé dans ton sommeil, ce matin. Tu as refait le rêve.
Je m'asseyais en soupirant.
-Il revient. C'est plus fort, plus intense, tout semble plus vrai. J'ai l'impression d'y être, de le vivre. Il y a toujours ces deux filles, le cercle au sol, les plumes, et cette oppressante sensation de danger, qu'elles font quelque chose de grave qui pourrait nous mettre en danger.
Papa soupira. Je m'étais vu dans le miroir ce matin, et le rêve avait ramené avec lui la fatigue, le sentiment de malaise, et les jolis cernes qui ornaient mes yeux. J'avais l'air de ne pas avoir dormi depuis deux jours.
-Combien de nuits ?
-Huit.
-J'irais parler à Kanda ce matin.
-Merci.
Je mange mon repas en silence, tout en priant le Grand Esprit et l'esprit de la Corneille, les mains crispées sur mon fétiche. Kanda m'a enseigné que la Corneille est la gardienne des grands mystères. S'il y a un esprit qui peut m'aider pour le rêve, c'est bien celui de la Corneille.
Je me dirige dans l'entrée. J'ai un cours ce matin, je dois me dépêcher si je ne veux pas être en retard. Mon père me retient sur le pas de la porte.
-Nokomis ! Fais attention à toi s'il te plaît.
Je lui offre un sourire rassurant avant de sortir.
Nokomis, c'est mon nom. Il signifie « Fille de la Lune ». Mon père m'a nommée ainsi pour deux raisons : la première, c'est que je suis née une nuit de pleine lune, deux semaines avant la date prévue. La deuxième, c'est qu'à ma naissance, mon père a affirmé avoir ressenti une forme de pouvoir émanant de moi. L'associant à la pleine lune, il m'a donc offert ce nom. Les noms ont une signification importante.
Je profite de la sensation du soleil sur ma peau, alors que je marche vers l'école. Les maisons s'éveillent peu à peu, je vois les lumières derrière les fenêtres. La réserve émerge lentement, dans le lever de soleil. Un spectacle magnifique quand on sait l'apprécier.
J'arrive à l'école. Le mal de tête accompagnant le rêve s'est estompé durant mon petit-déjeuner, mais la sensation de malaise et de danger, elle, est toujours présente. Je soupire. Il y avait un petit moment que je ne l'avais pas ressenti avec une telle intensité.
Je vais dans ma salle de classe et m'assois un moment. La sensation semble empirer, me faisant frissonner. Ce n'est pas la première fois que le rêve à ce genre d'effets secondaires. Je suis habituée. Je rentre ma tête dans mes genoux et compte jusqu'à dix, avant de faire le décompte dans l'autre sens.
Quelques minutes plus tard, lorsque mes élèves arrivent, la sensation n'a pas disparue, mais je ne tremble plus et me tient droite sur mes jambes.
Trois heures plus tard, je sors de ma classe en soupirant. Il est presque midi, et la sensation s'est à peine atténuée. Nous sommes en automne, la période critique ne va plus tarder à arriver. Il est normal que je réagisse comme ça.
Lorsque je retourne en classe pour mes cours de l'après-midi, le rêve n'est plus qu'un lointain souvenir.
Je sors de l'école un grand sourire aux lèvres. Les enfants sont adorables. J'adore passer du temps avec eux, et eux semblent beaucoup m'apprécier. Chacun à ses qualités et ses défauts, mais tous sont vraiment très gentils avec moi. La plupart connaissent mon père depuis la naissance. Il est connu au sein de la réserve.
Je me dirige tranquillement vers la maison, pensant faire un arrêt à la librairie. Celle-ci, tenue par Naya et Gaajii, est devenu un havre de paix ou j'aime passer du temps, et ses propriétaires sont devenus de bons amis.
Par la vitrine, je vois Naya accoudée au comptoir, en train de rire avec un client, probablement. Cette scène me fait sourire. Naya a toujours le sourire. Son prénom signifie « esprit libre ». Un nom qui lui va comme un gant. Naya est libre comme l'air, n'appartient qu'à elle-même, et fera toujours ce qu'elle a envie de faire, peu importe le nombre de fois où on lui dira de faire le contraire. Lorsque j'ai rencontré Naya pour la première fois, elle venait de se disputer avec ses parents. Ils voulaient qu'elles aillent dans une grande université américaine, et elle avait déjà décidé de reprendre la librairie des parents de son meilleur ami, Gaajii. Ses parents ont eu beau s'énerver, pleurer, supplier Naya, elle a toujours refusé de les écouter.
Je pousse doucement la porte, faisant cliqueter le mobile suspendu pour prévenir de l'arrivée d'un client. Naya me fait un léger signe et reprends sa conversation avec l'homme du comptoir pendant que je m'éloigne dans les rayonnages. Je ne connais pas cet homme. Peut-être un nouveau venu dans la réserve, ou bien une personne de passage. Quoiqu'il en soit, Naya avait l'air de le faire beaucoup rire.
Je m'enfonçais dans les rayonnages, passant doucement ma main sur les dos des livres soigneusement alignés sur les étagères. Je finis par fixer mon choix sur un livre de science-fiction et retournait avec Naya.
Le client avait disparu, et Naya m'accueillit avec un grand sourire.
-Nokomis ! Tu as l'air fatiguée. Tout va bien ?
Je lui souris.
-Tout va bien. Le Grand Esprit a du mal à bloquer le rêve, en ce moment.
Naya fit la moue.
-Il est de retour ? Il faut que tu ailles voir Kanda. L'hiver approche, et je me souviens encore de ton état la première année que tu as passé ici. Tu n'as toujours aucun indice ?
-Non. Je sais seulement que l'une des deux petites filles s'appelle Betty.
Naya connaissait le rêve aussi bien que moi. Avant de m'emmener voir Kanda, Papa m'avait aiguillé vers elle. Nous avions passé des heures ensemble, après la fermeture de la librairie, à essayer de trouver un indice sur le rêve. Sans aucun résultat.
La porte cliqueta, et nous nous tournâmes d'un seul mouvement pour observer une adorable petite fille au tresses blondes entrer. J'eus l'impression que mon cerveau explosa et tout devint noir.
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Sorcières
ParanormalNokomis est métisse amérindienne. Née sous l'astre lunaire comme le suggère son nom, Nokomis fait le même rêve, encore et encore, à s'en rendre malade. Epuisée par cette situation, elle décide d'aller vivre chez son père, dans la réserve, dans l'esp...