On me tire enfin de ma cellule. J'ignore le sort qu'on me réserve. La pendaison, ou le bûcher certainement. A moins qu'on ne me condamne à la noyade. Je ne sais pas. Je m'en fiche un peu, pour être honnête. J'ai eu le temps d'accepter mon sort. Je vais mourir. Aujourd'hui, le Grand Esprit va me rappeler à lui. Voilà tout.
Sarah est traînée dehors, elle aussi. Je lui lance un regard désolé. Nous n'avons pas beaucoup parlé, mais je me sens responsable de son sort. Après tout, la seule raison pour laquelle elle est là, c'est que le pasteur ne l'apprécie pas et qu'elle le lui rend bien. Résultat, lorsque sa fille et nièce se sont retrouvées sous le coup d'une « malédiction », il s'est tout de suite tourné vers elle. La pauvre. Un élan de culpabilité m'envahit. Elles ne sont que des enfants. Pourquoi diantre leur ai-je appris les rituels de la tribu ? Je pensais qu'elles comprendraient les dangers. Elles sont intelligentes après tout. Il semblerait que je les aie surestimées.
On nous fait monter sur une petite estrade, avec un système de trappe. Pendues, donc. Une mort lente et douloureuse par suffocation, à moins que quelqu'un ait pitié de nous et vienne tirer nos pieds pour que nos nuques lâchent et que nous mourrions sur le coup. Mais j'en doute. Nous sommes des sorcières. Nul ne nous manifestera la moindre pitié.
On me passe la corde autour du cou alors que le pasteur récite ce dont nous sommes accusées. Je relève la tête sur mon public et ne peut m'empêcher de sourire en remarquant que tout le village est présent. Pour un peu, j'en rirai presque. Moi qui ai toujours été invisible pour ces gens...
Mon rire s'étouffe dans ma gorge lorsque je reconnais une certaine chevelure blonde. Abby et Betty sont là, juste devant moi. Je les dévisage sans parvenir à y croire. Tout air innocent a disparu de leur visage et leur regard est dur, déterminé. Les petites filles que j'ai vu grandir n'ont rien à voir avec celles que j'ai à présent devant les yeux.
Je n'entends plus rien de ce que baragouine le pasteur à côté de moi. Je ne vois plus que l'infâme sourire mi-victorieux mi-soulagé qui s'étale sur le visage hypocrite des deux gamines.
Et soudain, j'éclate de rire. Le pasteur recule, choqué, l'assistance se raidit et Sarah me regarde comme si j'étais folle. Mais je ne peux pas m'arrêter. La trappe se dérobe sous mes pieds et l'air me manque, mais un fou rire continue de secouer mes côtes alors que la corde se resserre autour de mon cou. Il faut dire que la situation est si comique !
Je suis celle qui se balance au bout d'une corde. Mais les vraies sorcières, ce sont elles.
Je me réveille à nouveau en sursaut, cherchant à respirer par tous les moyens. Je tousse et crache, faisant rentrer un maximum d'air dans mes poumons. Jamais ça ne m'avait paru si réel. Je pouvais encore sentir la corde autour de mon cou.
Je regarde rapidement autour de moi et constate rapidement que je ne suis plus dans la sweat lodge. Naya et Gaajii, qui se sont agités autour de moi dès mon réveil, m'examinent comme si j'allais me briser. Mon père ouvre soudainement la porte de la pièce inconnue dans laquelle je me trouve, affolé. Il me faut quelques minutes pour recoller les morceaux.
Mes amis m'expliquent que je me suis évanouie dans la sweat lodge, et que je me suis mise à crier. Kanda a préféré interrompre le rituel pour me sortir de là, avant d'appeler une ambulance en voyant que je ne me réveillais pas malgré ses efforts. De mon côté, je leur raconte tout ce que j'ai vu durant mon absence. S'ils sont horrifiés par le sort de cette pauvre Tituba, ils n'en sont pas moins soulagés que le cauchemar soit enfin terminé.
La vie a repris son cours. Le rêve n'est plus jamais revenu, et je ne suis jamais retourné dans l'esprit de Tituba. La sweat lodge avait accomplie sa tâche.
J'ai réussi à lire le livre des sorcières de Salem, malgré le dégoût qu'il continuait malgré tout à m'inspirer. J'ai compris que j'avais effectivement vécu une partie des souvenirs de la première femme de l'hécatombe des sorcières de Salem. Après quelques recherches, j'ai pu établir l'histoire complète, et savoir que ces manipulatrices d'Abby et de Betty avaient réussi à condamner pas moins de quatorze femmes.
Tituba avait raison. Ce n'était pas elle la sorcière. Cependant, Abby et Betty n'étaient pas plus sorcières qu'elle. Leur jalousie et leur volonté de s'en sortir a condamné ces femmes. C'est ce que j'en ai conclu après mes recherches. Mais j'en ai tiré une autre conclusion.
Dans toute cette histoire, la seule véritable sorcière, c'est moi.
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Sorcières
ParanormalNokomis est métisse amérindienne. Née sous l'astre lunaire comme le suggère son nom, Nokomis fait le même rêve, encore et encore, à s'en rendre malade. Epuisée par cette situation, elle décide d'aller vivre chez son père, dans la réserve, dans l'esp...