Chapitre 9

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L'endroit dans lequel on m'avait enfermée était sombre, froid et humide. A cause de ces sordides conditions, l'une des deux Sarah était décédée quelques jours auparavant. Nous étions désormais deux dans cette cellule, et nos geôliers nous donnait à peine de quoi survivre. A quoi bon gaspiller de la nourriture pour deux condamnées à mort ? On m'avait sortie de ma cellule deux jours plus tôt, alors que Sarah agonisait, pour me faire passer devant le tribunal de l'Inquisition. Forte de ma conviction d'être la pire sorcière qu'ils n'aient jamais vue, je ne m'étais défendue dans ma langue natale, appuyant sur les sons gutturaux et les roulements de « r ». J'avais été accusée de parler la « langue du diable », comme celle que mes « deux pauvres victimes innocentes » parlaient dans leurs crises. J'avais alors compris que les victimes étaient Abby et Betty, et qu'elles avaient donc été surprises en train d'échanger dans ma langue natale alors que je leur avais formellement interdit de le faire hors de la maison.

Horrifiée qu'on puisse condamner une innocente pour une simple question d'ignorance, j'avais fini par perdre totalement mon sang-froid et par lancer un semblant de malédiction sur le tribunal, tout droit tiré des livres satanistes que le pasteur avait confisqués il y avait quelques semaines à un gamin perdu dans son univers et souhaitant devenir sorcier.

Les membres de l'Inquisition s'étaient tous signés avec effroi, alors que je continuais de leur déblatérer des phrases sans queue ni tête, mélangeant l'anglais et ma langue maternelle. Lorsque j'étais retournée dans ma cellule, la pauvre Sarah avait trépassé et les gardes avaient embarqué la deuxième Sarah pour qu'elle se fasse juger à son tour. Son retour dans notre cellule m'avait ôté tout espoir qu'elle puisse s'en sortir. Elle était retournée dans son coin, s'enfermer dans un mutisme inébranlable.

Je soupirais une nouvelle fois en observant la neige tomber par la petite fenêtre partiellement obstruée par des barreaux qui nous servait de source de lumière. Je pensais à Abby et Betty. Les pauvres devaient être terrifiées et rongées par la culpabilité. Après tout, deux femmes étaient emprisonnées et allait mourir, et elles étaient partiellement responsables de cette situation. De plus, j'avais entendu les geôliers discuter : il semblerait que les crises des deux petites ne se soit pas calmées, et même qu'elles se soient intensifiées. Le pasteur soutenait que le Diable se vengeait sur les filles, et qu'il fallait faire disparaître les sorcières (nous) au plus vite.

Mon regard se perdit au loin alors que je priais une nouvelle fois le Grand Esprit. J'avais de nombreuses fois pensé à la mort ; mais je n'aurais jamais imaginé que la mienne ressemble à ça.

Je me réveillais en sursaut et en sueur, une nouvelle fois. Ces réveils éreintants allaient finir par devenir habituels. Je me passais une main sur le visage en travaillant sur ma respiration, me forçant à faire revenir mes battements de cœur à la normale. Je jetais un œil au réveil. Cinq heures du matin. Aucune chance de me rendormir. Moi qui adorais faire la grasse matinée le samedi...

Je m'éjectais du lit en soupirant, me consolant comme je le pouvait. D'abord, la promesse d'une bonne douche et d'un chocolat chaud avec un plaid devant les dessins animés du matin me rassénérèrent grandement. Puis, je me rappelais que je devais faire une sweat lodge avec Kanda aujourd'hui, et ma journée fut tout de suite beaucoup plus ensoleillée. J'avais confiance en Kanda, et en les Esprits. Le rêve n'avait qu'à bien se tenir.

Je pris ma douche en essayant de faire le moins de bruit possible. Ce n'était pas parce que le rêve m'avait gâché ma matinée que je pouvais m'octroyer le droit de gâcher celle de mon père. Lorsque je descendis les escaliers pour aller me faire mon chocolat dans la cuisine, je fus rassurée de voir que le silence régnait encore dans la maison. Mon père n'avait donc pas été réveillé par le bruit ambiant. Avec un soupir de soulagement, j'allais donc me faire mon chocolat chaud, veillant à nouveau à ne faire aucun bruit. Car si je réveillais mon père, je pouvais être sûre que j'allais avoir droit à un sermon dans les règles sur le fait que cinq heures trente du matin n'était absolument pas une heure pour réveiller les gens. Je fis donc mon chocolat dans le plus grand silence possible, tout en me focalisant sur mes gestes, familiers et rassurants, pour tenter vainement de dissiper la tentation. Même si la sensation avait été moins pénible cette fois-ci, et que la douche m'avait grandement aidée à me détendre, elle restait toujours là, poisseuse et envahissante.

Pourtant, ma matinée semblait placée sous le signe de la chance, car lorsque mon père se leva, trois heures plus tard, la sensation avait presque disparu, et j'avais même réussi l'exploit de me rendormir une bonne heure et demie, chose qui ne m'était jamais arrivée. Je fus soulagée de voir que mon père n'avait pas l'air de savoir à quelle heure je m'étais réellement levée. A vrai dire, lorsque je le rejoignis dans la cuisine, je compris bien vite qu'il avait autre chose en tête.

-Tu te sens prête ? Pour Kanda ?

Je hochais doucement la tête. Je savais mon père inquiet pour moi, comme je le savais confiant envers Kanda et le Grand Esprit. J'étais persuadée que tout irait bien, et il tentait de s'en persuader également.

A neuf heures, je vis son anxiété grandir d'un coup, et tous mes mots ne parvinrent pas adoucir le roc de tension qu'était mon père. Lorsque nous quittâmes notre domicile, à dix heures tapantes, on aurait dit que c'était lui qui allait se faire exorciser du rêve. Je ne pus m'empêcher de sourire.

A vrai dire, je me sentais plutôt détendue. Je ne savais pas pourquoi, mais j'avais l'intime et profonde conviction que le prochain rêve serait le dernier.

Aussi, ce fut avec confiance que j'entrais dans la maison de Kanda.

SorcièresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant