Chapitre 6

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Assise dans mon lit, la couverture remontée sur les genoux et mon oreiller calé dans mon dos, je regardais le livre posé sur ma table de nuit avec une angoisse croissante. Lorsque Gaajii m'avait remis le livre, j'avais été saisi d'un haut-le-cœur si puissant que j'en étais presque tombée de ma chaise. Le simple fait de tenir ce livre me mettais dans tous mes états, et il avait fallu que Naya me l'emballe dans trois couches de papier pour que je puisse le tenir sans avoir envie de dégobiller mes tripes sur le sol de la librairie. Je l'avais glissé dans mon sac, remerciant mes amis, et était rentrée chez moi, la sensation bien présente dans mes entrailles et ma hanche gauche semblant brûler lorsqu'elle entrait en contact avec la toile de mon sac.

En rentrant, j'avais jeté mon sac dans un coin de ma chambre, et étais aller me faire un chocolat chaud pour me remettre de mes émotions. Mais le seul fait de savoir que le livre était là-haut, dans ma chambre, m'empêchait d'être sereine, et je ne pouvais contenir mon impression d'être malade d'angoisse chaque fois que je levais la tête en direction de la pièce maintenant maudite ou j'avais laissé ce terrible bouquin.

J'avais pourtant fini par prendre mon courage à deux mains et j'étais remontée dans ma chambre, les mains serrées autour de mon pendentif, priant l'esprit de la Corneille, l'esprit de tous les mystères, de me protéger des malfaisances de celui-ci. J'avais sorti le paquet de mon sac, et l'avais presque jeté sur ma table de nuit, avant de me réfugier dans mon lit, remontant ma couverture comme un bouclier autour de mes genoux serrés contre ma poitrine.

Et à présent, je jetais des regards horrifiés au livre, comme s'il était venimeux, sans trouver le courage de défaire le papier qui l'entourait afin de pouvoir lire ce qu'il contenait. Mon instinct me criait de ne pas toucher au livre, comme si j'allais y trouver un secret terrifiant, qui me hanterait et me menacerait toute ma vie.

Au début, je pensais que savoir ce qui se passait dans le rêve, en avoir l'histoire, le contexte, pourrait m'aider à le comprendre et à l'exorciser. Maintenant que j'en avais la possible réponse devant les yeux, je me trouvais incapable de lui faire face. Mon être entier m'avertissait qu'il se passerait quelque chose de grave si je découvrais le secret du rêve avant que celui-ci ne me le dévoile lui-même. Alors je ne faisais qu'observer ce bouquin maudit, incapable de me résoudre à en faire autre chose que d'en dévisager les lettres qui en composaient le titre.

Je ne sortis de ma transe que lorsque la porte d'entrée claqua, bruit annonciateur du retour de mon père. Sa voix chaude et puissante résonna comme un charme protecteur dans la maison.

-Shidaan, je suis rentré ! Tout va bien ?

Je m'éjectais de mon lit, opérant un large détour autour de mon lit pour ne surtout pas approcher la petite table et l'ouvrage posé dessus. Je dévalais les escaliers, le soulagement dû à la fin de ma solitude me faisant presser le pas.

-Je suis là, azhé'é. Ta journée s'est bien passée ?

-Oui, ça a été. Et toi ?

-Beaucoup moins.

Je vis les larges épaules de mon père tressaillir, et je soupirais. Vivement le weekend. Je devais absolument aller voir Kanda. Même si cela n'arrangeait que peu l'état actuel des choses, le fait de l'avoir vue rassurerais grandement mon père. Et moi par la même occasion.

-Je vais préparer le repas et nous en discuterons.

Je hochais la tête en souriant avant de me lover dans ses bras. Je savais que nous n'aurions pas de conversation sérieuse avant d'avoir mangé. Pour mon père, avant une discussion sérieuse qui mettrait notre esprit à l'épreuve, il nous fallait laisser à notre corps le temps de récupérer de sa journée.

Notre repas terminé, mon père me guida dans le salon, une tasse de thé dans les mains. Je me lovais dans le canapé avec ma boisson, tandis que mon père prenait possession de son fauteuil avec la solennité d'un roi.

-Explique moi tout, shidaan.

Je lui parlais donc de la nouvelle version du rêve, de mes hallucinations constantes, de mon passage à la librairie, du livre, et un compte-rendu détaillé de toutes mes émotions et tous les sentiments par lesquels j'étais passée depuis que le livre était en ma possession.

Lorsque je finis mon récit, la nuit avait commencé à obscurcie le ciel et la ride d'inquiétude sur le front de mon père s'était creusée un peu plus.

Sans me dire un mot, il monta dans ma chambre et redescendit avec le livre, toujours enveloppé de sa couche de papier. En le voyant, je ne pus m'empêcher d'avoir un sursaut de recul. Même emprisonné dans les mains rassurantes de mon père, le livre continuait de répandre inconsciemment son poison en moi.

En voyant ma réaction, mon père soupira et enferma le livre dans un sac non loin, avant de le poser dans un coin du salon. Je calmais mes légers tremblements.

-Désolée, azhé'é.

-Tu n'y est pour rien ma chérie. Demain, nous sommes vendredi. Après demain, nous irons voir Kanda. Je vais lui demander d'organiser une sweat lodge afin qu'on essaye de faire sortir le rêve.

Je hochais la tête. Avec le retour du rêve et l'approche de l'hiver, je n'avais pas vraiment le choix. Si je ne voulais pas tomber malade cette année, il allait me falloir tenter absolument toutes les solutions qu'on me proposerait.

Sans un mot de plus, mon père me laissa dans le canapé, observant la nuit, et sorti après avoir enfilé son manteau. Je ne dis rien pour le retenir. Je savais ou il allait, et pourquoi. Il ne pouvait plus attendre samedi pour parler de mon cas à Kanda, surtout s'il voulait organiser une sweat lodge. Je remarquais qu'il avait pris le livre avec lui, surement pour le soumettre à l'inspection sans faille de notre chamane.

Je posais ma tasse sur la table dans un nouveau soupir. J'avais à la fois l'impression que le rêve arrivait à sa fin et que c'était parmi les dernières fois que je le faisais, et même tant, qu'il me hanterait jusqu'à la fin de mes jours. Sans savoir quelle sensation était la vérité et laquelle était juste une fausse impression, ce qui me plongeait dans une confusion profonde.

Je me levais doucement, attrapant le châle qui traînait sur le dossier du canapé et le resserrait autour de mes épaules en scrutant la nuit.

Je finis par aller me coucher sans que mon père ne soit rentré, vaincue par l'appel de Morphée.

SorcièresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant