Chapitre 7

14 4 1
                                    

J'étais dehors. Il neigeait. Avec précaution, je balayais le sol devant la porte, attendant le retour du pasteur.

-Tituba.

Je me retournais en entendant la voix du pasteur, et sursautais en le voyant en compagnie de six hommes, dont quatre de forte carrure, et tous avec une aura menaçante. Je déglutis en voyant les croix pendantes sur leurs torses, et l'habit désignant l'un d'entre eux comme un prêtre. Aucun doute. J'avais face à moi des missionnaires de l'Inquisition.

Je ne bougeais pas. Je savais pourquoi ils étaient là. Ils avaient découvert ce que faisais les petites et venait les condamner. Mes mains se resserrent sur mon manche à balai. Hors de question que ces hommes touchent à une seule mèche de leurs cheveux !

-Tituba, il faudrait que tu viennes avec nous.

Je fronçais les sourcils.

-Tu es accusée de sorcellerie, ainsi que deux autres femmes du village. Tu seras emprisonnée puis jugée. Si tu es jugée coupable, tu seras exécutée. Maintenant, viens avec nous.

Je lâchais mon balai, encore sous le choc. Sans que je ne puisse rien faire, deux des hommes me saisirent les bras et m'entraînèrent vers la prison de la ville, ou je fus jetée sans aucune douceur. Je n'avais même pas résisté, trop sous le choc pour faire quoi que ce soit.

Je n'étais pas seule dans la cellule. Il me fallut un moment pour m'habituer à la pénombre ambiante, mais je finis par voir deux autres femmes, probablement les deux autres accusées. J'eus un temps d'arrêt en les reconnaissant. Sarah Good et Sarah Osborne. C'est alors que la lumière se fait dans mon esprit.

Ces deux femmes, je les connais par le biais de Betty et d'Abigail, qui ne les apprécient pas. Tout s'explique alors. Le pasteur a remarqué le comportement étrange de sa fille et de sa nièce, et en a conclu à une possession maléfique. Pour se sauver, les fillettes ont donc dénoncé les personnes qui leur sont venues à l'esprit : les deux Sarah, qu'elles détestaient, et moi, qui leur ai appris les rituels, mes origines et mes croyances faisant de moi la parfaite sorcière.

Je soupirais en me laissant glisser à terre avant d'être envahie d'une détermination sans pareille. On m'accuse d'être une sorcière ? Parfait. Je serais la pire sorcière qui ne leur ai jamais été donné de voir.

Je me réveille en sueur, sursautant dans mon lit. Alors Naya avait raison ? Cette histoire est belle et bien liée aux Sorcières de Salem, j'en ai maintenant la preuve. L'Inquisition, les arrestations, les accusations... Je ne connais pas bien cette histoire, mais j'en sais quelques rudiments. Et ce que je sais concorde en tous points avec ce que le rêve vient de me montrer. Une perspective à la fois rassurante et effrayante. Maintenant, je sais d'où vient le rêve, même si je n'ai aucune idée de pourquoi je le fais. Mais cette mise en contexte est également terrifiante. L'histoire n'a pas été clémente envers les Sorcières de Salem, condamnant, si mon souvenir est bon, une quinzaine de femmes à la pendaison.

Cette nouvelle perspective est effrayante, car je connais la portée du rêve sur ma vie quotidienne. La sensation, mes périodes de fièvre en hiver... si je vis la mort de cette femme en direct – car cela m'étonnerait qu'elle ait survécu – quelles en serait les conséquences sur mon corps et mon esprit ? Pourrais-je mourir en même temps qu'elle meurt une seconde fois dans le rêve ?

J'arrête mes conjectures le plus vite possible. Je ne veux pas m'effrayer davantage. Pour l'instant, le rêve laisse des séquelles, certes, mais jamais sans grandes conséquences. Mes fièvres n'ont jamais menacé ma vie, et les maux de tête s'estompent rapidement. Je n'ai aucune raison de m'inquiéter pour l'instant.

C'est alors que je regarde par ma fenêtre et étouffe un cri.

La température semble avoir brusquement baissé, puisque dehors, il neige à gros flocons. Nous ne sommes que mi-novembre, mais ce n'est pas vraiment exceptionnel.

J'adore la neige. Mais le sentiment qui m'étreint n'est pas de la joie, pas plus que de l'émerveillement.

Mon réveil sonne et je suis incapable de bouger. Je ne peux que regarder, impuissante, la neige qui tombe au dehors, couvrant le sol et les toits d'un grand manteau blanc.

A côté de moi, mon réveil continue sa mélodie, et je suis toujours figée, les mains crispées sur mes draps. La peur, insidieuse, prends petit à petit possession de moi alors que l'appréhension me gèle sur place. J'ai l'impression d'être glacée, balayée par les vents, comme si j'étais à l'extérieur, sans manteau, sous la neige qui continue de tomber lentement sur le sol, comme des morceaux de coton qu'on aurait détaché des nuages.

Alors que mon père entre dans ma chambre pour éteindre mon réveil, inquiet de ne pas l'avoir entendu s'arrêter, une larme tombe sur ma joue, suivie d'une autre. Je sens à peine l'étreinte de mon père qui tente de me rassurer et de me réchauffer. Je viens de me rendre compte que je tremble.

Mon cerveau refuse de se remettre en marche. Une seule pensée tourne en boucle dans ma tête.

Aujourd'hui, le rêve a dépassé les limites, s'insinuant encore un peu plus dans ma vie. Aujourd'hui il neige, comme le jour de l'arrestation de Tituba.

Aujourd'hui, la frontière entre le rêve et la réalité à encore reculée d'un pas.

SorcièresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant