La dame à la licorne

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Liam avait veillé toute la nuit. Il était rentré chez lui à vélo, le cœur soulevé par cette espérance romantique qui semble rendre aux amoureux leurs pas plus légers et leur donne le sentiment de s'élever dans un nouveau monde de possibles porteur de promesses. Chaque coup de pédale le projetait vers cet avenir heureux et partagé. Il faisait chaud, certes, mais, rafraîchi par le souffle tendre de l'amour naissant et sa nouvelle combinaison thermique, il n'y prenait pas garde. Il récupérait grâce à cela quelques écopoints, et le sourire ne quitta pas son visage de tout le trajet. Arrivé chez lui, il n'éprouva même pas l'envie de se connecter au métaverse – pourquoi faire ? Elle travaillait et n'y serait pas avant le soir. Il lui sembla que son appartement était alors trop petit pour contenir cette émotion qui débordait, envahissait l'espace au point que, s'il ne sortait pas immédiatement, il étoufferait d'impatience. Il alla donc se promener, dans ces endroits magiques qu'il avait découverts aux côtés de Daniella et qui l'avaient déjà, par le passé, rendu si heureux. Ces endroits, qu'il chérissait si passionnément, feraient désormais bientôt la connaissance de Louie. Elle les verrait et les aimerait à son tour, et à son tour elle les apprivoiserait et les ferait devenir siens. Elle s'y sentirait chez elle, et d'ailleurs, elle y sera chez elle, avec Liam, dans leur royaume secret. Puis il rentra, porté par ce même enthousiasme euphorique, ce même lyrisme sémillant que celui qui l'avait accompagné pendant ce retour en vélo. Il ne prit même pas le temps de se déshabiller en rentrant, non, il le ferait plus tard : il se connecta au métaverse et mit ses lunettes.

Elle n'y était pas. Pas encore. Alors il attendit. Il attendit toute la nuit, mais elle ne vint pas. Il désactiva l'application qui, à travers son partnEar, évaluait son besoin de sommeil et l'invitait à aller se coucher quand celui-ci dépassait certains seuils. Ce ne fut que quand les premiers rayons de l'aube vinrent picorer sa rétine fatiguée qu'il consentit à aller se coucher, déçu, déboussolé. Peut-être n'avait-elle pas pu, peut-être avait-elle eu affaire ailleurs. Cela pouvait ne rien vouloir dire, cela devait ne rien vouloir dire. Il était fort peu probable qu'elle eût changé d'avis en si peu de temps. Non, cette absence n'avait rien à voir avec lui, c'était certain. Oui, c'était certain, mais le venin du doute s'était insinué en lui, et venait lui brûlait les veines et nouer sa gorge. Il lui fallait dormir, il y verrait plus clair ensuite.

« Est-ce que je plais à Louie? demanda Liam néanmoins à son partnEar avant d'entrer dans son lit.

- Le taux d'intérêt manifesté par Louie à votre égard est de 67%, déclara le partnEar. Pour davantage de précisions, consultez l'analyse détaillée sur l'application.

- Oui, pourquoi pas, lis-le moi."

Liam écouta alors d'une oreille distraite le rapport détaillé, chiffres à l'appui, que lui fit son partnEar de la rencontre avec Louie. Tout y passait: la démarche, le ton de sa voix, les expressions de son visage. Le partnEar évaluait ces différentes caractéristiques, à partir des attendus sociaux et amoureux, et des "signes extérieurs d'attraction et de répulsion" de Louie.

67%, ce n'était pas si mal, mais pas énormément non plus. Il était pourtant si sûr d'avoir plu à Louie, lui, depuis qu'elle avait fait ce dernier geste. Pour quelle autre obscure raison lui eût-elle demandé de partager ses données ? Ou bien, peut-être avait-elle agi impulsivement mais regrettait-elle désormais son acte. Peut-être qu'en effet, il ne l'intéressait pas réellement, ou en tout cas pas suffisamment. 67%, ce n'était peut-être pas assez pour lui donner envie de le recontacter. Liam s'endormit, le chiffre tournant, de manière obsessionnelle et confuse, dans son esprit brumeux.

Quand il s'éveilla quatre heures plus tard, il regretta de s'être inquiété. Il fallait décidément arrêter de se poser des questions le soir, et en particulier lorsqu'on était fatigué. Liam savait pourtant bien que les châteaux qu'il se construisait en ces moments-là dans la tête se faisaient systématiquement disperser par le vent léger du matin.

La Révolte des VivantsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant