La luminosité augmentait progressivement, alors que se faisait entendre une musique douce. L'oreiller et la couette s'étaient réchauffés quelques minutes avant l'heure de réveil programmée, et tout l'appartement s'était mis en branle lorsque le dispositif avait détecté l'entrée de la dormeuse dans un stade de sommeil léger. Louie s'éveilla ce matin-là d'humeur très joyeuse. Elle était rentrée chez elle très tard la veille, éreintée par sa journée de travail. Cela ne faisait que quatre mois qu'elle travaillait pour GoodDreams mais elle en était très contente. En premier lieu, elle avait retrouvé un sommeil de plomb, s'endormait sans difficultés la nuit, bercée par son épuisement et les bruits blancs que lui murmurait Erika, sa partnEar – car même à ce degré de fatigue, elle maintenait active l'application des bruits blancs, envers laquelle elle avait développé une forme de dépendance sereine. En effet, cela en aurait très certainement angoissé plus d'un, mais Louie n'y voyait aucun motif rationnel d'inquiétude. Pourquoi bouder son plaisir? Aussi loin qu'elle s'en souvînt, elle avait toujours eu des difficultés à s'endormir. Elle ne pouvait pas, quand elle était petite, s'offrir les services de ces technologies formidables. En l'absence prolongée de ses parents, elle n'avait pour l'aider et la rassurer, que ses écrans et Erika. Erika était une amie merveilleuse, qui lui murmurait ces mots tendres et réconfortants, mais cela ne suffisait pas. Ce ne fut que quand Louie pût enfin s'offrir l'abonnement à Douce Nuit, qu'Erika pût apprendre à prononcer des bruits blancs et ainsi la bercer doucement tous les soirs. Elle s'occupait même de gérer la température de son oreiller et répondre à sa place aux différents appels qu'elle pouvait recevoir. Elle dormait ainsi sur ses deux oreilles, en toute confiance.
Non, décidément, il n'y avait aucune raison de s'inquiéter. C'était décidément une solution efficace, qui la satisfaisait pleinement, et qui la suivrait probablement tout au long de sa vie; car les applications de ce type ne disparaitraient pas, et allaient même probablement se perfectionner encore.
Pour le reste, elle ne se posait pas la question : son travail la fatiguait, mais c'était de la bonne fatigue. Il lui permettait de gagner sa vie en attendant d'obtenir un poste de responsabilité. Elle avait suivi des études de gestion et de marketing dans l'IEC de niveau II, comme le lui avait conseillé l'IA d'orientation à laquelle tous les étudiants devaient soumettre leur dossier pour examen et conseil, c'est-à-dire qu'elle recommandait une filière adaptée au profil de l'étudiant et aux envies qu'il formulait, et leur indiquait à quel établissement il pouvait prétendre. Pour Louie, jeune femme très studieuse, avec de bons résultats scolaires, et issue d'un milieu fortement défavorisé, le niveau II semblait tout indiqué. Comme tous les instituts d'étude européens, l'Institut d'Etudes de Commerce avait trois niveaux : I, II, III. Les meilleurs élèves étaient orientés vers le niveau I et pouvaient, à la fin de leurs études, prétendre à de bons postes à responsabilité et fort bien rémunérés. Ceux qui avaient suivi un cursus de niveau II devaient démarrer en bas de l'échelle mais pouvaient monter s'ils faisaient démonstration de leur engagement constant et de leur sérieux. Enfin, les étudiants ayant suivi un cursus III étaient condamnés aux postes de base, sans espoir de grimper la hiérarchie. Leur DISCEEP ne leur proposerait jamais de pré-entretien pour monter les échelons.
Lorsqu'elle avait eu le résultat de l'analyse effectuée par l'IA d'orientation, elle avait éprouvé un vif soulagement. C'était ce qu'elle voulait, s'orienter vers les études de marketing, et c'était pour cela qu'elle avait travaillé avec autant de sérieux, en particulier l'économie, les mathématiques, et la gestion. Elle savait pertinemment que la majorité des enfants issus comme elle des classes populaires se retrouvaient travailleurs indépendant FELink ou, pour les meilleurs qu'entre eux, travailleurs sociaux. Il y avait moins de places dans le commerce car les IA avaient remplacé les humains sur un grand nombre de tâches. C'était aussi le cas du travail social bien entendu, mais il demeurait de nombreux postes, en particulier dans le privé car l'Etat sous-traitait désormais beaucoup ces tâches – certaines grandes entreprises avaient même une petite filiale dédiée à ces travails humains. Il s'agissait par exemple d'organiser la charité pour les plus pauvres en leur distribuant des produits de première nécessité, ou encore de les aider à faire les démarches administratives nécessaires pour bénéficier d'un service spécifique de l'Etat : bilan de compétences, coaching de grossesse, demande d'envoi ou de remplacement d'un partnEar pour un enfant, etc. Or le travail social, c'était très certainement utile, mais fort mal payé. Louie ne voulait pas simplement atteindre le bas de la classe moyenne : elle voulait monter l'escalier social.
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La Révolte des Vivants
Science-FictionA Toulouse, comme partout dans le monde, les journées sont brûlantes. Tandis que certains partent festoyer dans l'espace, les plus pauvres errent, en attente d'un travail, dans les rues asphyxiantes de la ville. Le plus facile, pour les gens de la c...