Embuscade

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Lorsqu'il quitta, à pied, Berkeley Street pour Harrington Gardens, Richard modifia par précaution, et à plusieurs reprises, son trajet afin de s'assurer qu'il n'était pas suivi. Il était vêtu d'une tenue sombre et d'un chapeau qui dissimulait une partie de son visage. Ainsi, il passait pratiquement inaperçu parmi les passants. Il aimait marcher mais arrivé à Westminster, il monta dans un fiacre.

Comme à son habitude, lorsqu'il arriva à destination, il traversa le parc situé à l'arrière du bâtiment et jeta un rapide coup d'œil autour de lui. L'endroit était connu comme étant un club fondé par un homme que ses semblables avaient étiqueté comme excentrique. Pour tous, c'était un lieu où des originaux rêvaient de refaire le monde. Après son décès, sa veuve avait maintenu l'illusion. En effet, son mari avait indiqué dans son testament qu'il faisait d'elle la propriétaire de la demeure et l'autorisait à gérer le club après sa mort. La dame avait saisi l'occasion pour transformer le cercle sans que personne ne puisse se douter de ce qui se tramait derrière les rideaux de l'imposante maison. Et qui fréquentaient en réalité ses salons.

Ceux qui se sentaient l'âme aventureuse, et se moquaient des ragots, passaient par l'avant. Peu leur importait de passer pour des personnes extravagantes. Au contraire. Car ils estimaient que cela éloignait tout soupçon. Leur fiacre les déposait alors directement devant le perron, séparé de la route par un petit jardin. Richard, lui, préférait rester discret. Il n'osait imaginer le désastre si quelqu'un le reconnaissait devant un tel lieu. Et il ne souhaitait pas passer pour un original.

Le jeune homme descendit quelques marches puis frappa à l'entrée de service. Il glissa sa main dans la poche de sa veste et en sortit un masque dont il se couvrit les yeux et le haut du visage. C'était l'une des règles principales de la fondatrice du nouveau club : en raison des activités illicites qu'elle protégeait, nul ne devait connaître l'identité des personnes qui fréquentaient l'endroit ni celle des domestiques. Au départ, Richard doutait de la bonne volonté des membres du club mais il s'était très vite rendu compte que chacun tenait plus que tout à son anonymat. Après tout, ils enfreignaient la loi.

Comme toujours, il était anxieux. Il redoutait de rencontrer un homme appartenant à son cercle. Mais la riche veuve l'avait rassuré lors de leur première rencontre. Elle lui avait expliqué qu'elle tenait à s'entretenir avec chaque nouveau membre en privé pour leur faire signer un contrat de confidentialité et leur fait part des règles en vigueur dans la maison. D'après ce qu'elle lui avait confié ce jour-là, Richard ne croiserait jamais aucune connaissance au sein du club. Le jeune homme avait essayé de savoir comment la maîtresse de maison pouvait en être aussi sûre mais elle avait détourné la conversation. En plus d'avoir le visage dissimulé par un masque, cette dernière s'exprimait avec un accent écossais très prononcé. Trop pour être réel. Mais Richard comprenait ce besoin de dissimuler son identité.

Depuis, il l'avait croisé à une dizaine de reprises, au moins. Le Duc l'aimait bien. Ils discutaient de tout et de rien et il avait remarqué que la veuve était au courant de toutes les rumeurs, de tous les scandales qui secouaient le petit monde de l'aristocratie anglaise. Comment, il l'ignorait. Soit elle participait aux mêmes réceptions que lui, soit une personne de confiance lui en rapportait les moindres faits. À plusieurs reprises Richard s'était demandé s'il l'avait déjà croisée en ville ou à un dîner. Et il s'était senti terriblement gêné. Il était au moins certain qu'elle le connaissait. Sinon, comment un petit papier aurait-il été glissé dans sa veste pour l'inviter à se rendre au club de Harrington Gardens ? Il se rappelait parfaitement du moment où il l'avait découvert. Après une ennuyeuse réception chez le père de Christopher Lowestoft. À l'époque, il se rendait de temps en temps dans un pub fréquenté essentiellement par des membres de la classe moyenne. Des médecins, des banquiers, des avocats. L'arrière-salle était un lieu de rendez-vous pour les invertis. Et la veuve le savait, elle lui avait reproché son manque de discrétion lorsqu'il avait franchi les portes du club pour la première fois.

{Sous contrat d'édition} Symphonie irlandaise (version roman)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant