Le bal de Lady Swinsdale

12 5 1
                                    

Sean Kilkavran permit à son invité forcé de se rendre dans sa bibliothèque. Sur conseil de l'Irlandais, Richard Mabelthorpe accepta de ne pas sortir se promener en ville. Afin de s'occuper, il se plongea dans la lecture de quelques ouvrages de droit. Après avoir dégusté une collation légère, le duc retrouva Kilkavran dans le petit salon. Ce dernier était absorbé par le contenu d'une lettre. Il sursauta lorsque son domestique annonça Richard.

L'Irlandais déposa la feuille de papier sur la table basse face à lui. Puis il invita le duc à prendre place sur un canapé :

— Avez-vous trouvé des livres intéressants ?

— Beaucoup ! Vous possédez des recueils remarquables sur de nombreux sujets. Pourquoi les garder ici plutôt qu'en Irlande ?

— En vérité j'ai prévu de les faire acheminer à Inagh Manor. Lorsque Oswald Bradenham aura été condamné pour ses crimes, je ne compte plus revenir à Londres. Je n'aime pas cette ville. J'ai toujours vécu à la campagne. À Dublin, même si nous étions proches du centre, nous étions cependant à l'écart, loin de toute agitation.

— Je comprends. Moi-même, si j'avais cette possibilité, je m'établirais définitivement dans notre château du Suffolk.

Même si Kilkavran aurait apprécié discuter des propriétés du duc de Lymington, il s'obligea à annoncer au Duc les aspects les moins sympathiques du voyage vers l'Irlande :

— Je regrette de devoir vous demander ceci mais vous devrez attendre d'être à Inagh Manor pour utiliser vos vêtements. Comme je vous le disais, nous prétendrons être deux cousins. Deux gentlemen sans titre mais possédant quelques terres. Cela implique de se vêtir de manière plus modeste. J'ai prévu une malle à votre intention. Nous la récupèrerons lorsque nous changerons de véhicule.

— Très bien.

— Hum...nous...nous dormirons chaque nuit dans une auberge. Ce sont celles où j'ai l'habitude de descendre lorsque j'effectue mes voyages entre l'Irlande et Londres. Par précaution, je n'ai jamais choisi la route la plus rapide. Mais je dois vous annoncer que j'ai aucune garantie que deux chambres soient systématiquement disponibles. Et...hum...dans ce cas...nous n'aurons pas vraiment le choix. Le mobilier y étant...hum...assez réduit, je...nous serons contraints de dormir dans le même lit. Si la pièce possède un canapé, naturellement je l'occuperai. Je ne tiens surtout pas à ce que vous imaginiez que je...que...bien entendu s'il y avait une autre solution...

Le visage écarlate de l'Irlandais et son embarras évident convainquirent Lord Mabelthorpe de ne pas protester. Naturellement la situation était délicate. Inconfortable surtout. Ils fréquentaient tous les deux Harrington Gardens. Même si Richard ne côtoyait qu'un type d'homme en particulier, Kilkavran possédait un charisme certain. Et il était incontestablement très attirant.

Comprenant qu'il devait rassurer son hôte, le duc balaya ses balbutiements d'un signe de la main :

— Un tel voyage comporte naturellement quelques inconvénients. Je saurais néanmoins m'en accommoder. Par ailleurs, je refuse que vous occupiez systématiquement un canapé pour dormir. Si nous en avons la possibilité je tiens à ce que nous alternions ce rôle. Je suis peut-être d'un rang plus élevé que le vôtre mais je n'adopterai pas un comportement égoïste.

Quelques heures plus tard, tandis qu'il franchissait les grilles de l'imposante propriété de Lady Swinsdale, Richard ressentit une certaine appréhension. Cette soirée s'annonçait compliquée. Dangereuse, même.

Le Duc avait toujours détesté ces réceptions. Si le domestique à l'entrée le salua avec respect, dès qu'il fut annoncé dans la salle de réception, il sentit l'atmosphère changer imperceptiblement. Les visages des invités se crispèrent et les conversations s'arrêtèrent un court instant. Ce fut bref. Si bref que Richard aurait pu l'avoir rêvé. Dans la grande salle de réception, les sourires de convenance fleurissaient à nouveau. Richard adopta automatiquement la même attitude. Il fréquentait ce monde depuis si longtemps qu'il était rodé à l'exercice. Il se doutait que dans certaines parties de la salle les remarques désobligeantes fleurissaient à son sujet. Il imagina parfaitement les Westborough ou les Franworth converser gravement au sujet de l'incident du Red's et affirmer leur consternation devant l'insolence dont il faisait preuve ce soir.

{Sous contrat d'édition} Symphonie irlandaise (version roman)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant