𝐄𝐍𝐓𝐑𝐄́𝐄 𝟎𝟒

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𝑪𝒉𝒆𝒓 𝒋𝒐𝒖𝒓𝒏𝒂𝒍,


                        Parfois j'ai l'âme bleue et je sais pas vraiment pourquoi. J'ai une boule qui se forme dans ma gorge et cette irritante envie de pleurer qui vient avec. Sauf que les larmes ne coulent jamais. Alors je fixe le plafond, j'écoute les bruits de la maison, ma mère qui cuisine avec la télé super forte. Le chat qui joue dans les fleurs, un chien qui aboie dehors, l'eau qui dévale les canalisations parce que mon frère prends sa douche. Ces moments-là, je les appelle les instants pluvieux.

                         Les instants pluvieux arrivent souvent de manière inattendue. Une fois on était en maths à parler des fonctions. C'était long. C'était fatiguant. C'était chiant. J'aime pas trop les maths je crois. Camille était à côté de moi, la tête dans les bras entrain de finir sa nuit parce qu'il avait passé à jouer à je ne sais quoi. Moi j'écoutais ou du moins simulait d'écouter le cours quand tout d'un coup la boule fit son apparition et une terrible envie de pleurer surgit en moi. Je sens mon cœur se serrer alors que je pensais simplement au repas du midi. C'est comme une crise d'angoisse mais à la place je veux juste pleurer et temporairement disparaître.

                           J'évite d'en parler parce que je suis incapable d'expliquer le phénomène des "instants pluvieux" avec des mots. Parfois ça arrive en regardant quelque chose de joyeux. Une fois j'étais entrain de regarder une vidéo plutôt normale sur Youtube quand j'ai senti les larmes dévalées mes joues. Sans contexte, sans prévenir juste comme ça. L'ondée qui arrivait dans le ciel le plus clair. C'était étrange.

                            Alors j'ai peut-être ma théorie. Le complexe des instants pluvieux sont dû à un trop plein d'émotions que j'ai ravalé. Je préfère les refouler, sinon j'explose ne laissant derrière moi que larmes et sangs. Evidemment, c'est une métaphore mais l'idée est présente. J'ai un excellent exemple quand le bocal à émotions captives déborde. Ce jour-là, je me sentais émotionnellement fatiguée. Je voulais juste rester emmitouflée dans ma couette un peu comme une larve et ne plus jamais en sortir. Maman était entrée à l'improviste dans ma chambre tirant sur les rideaux pour les ouvrir beuglant que je devais aller à l'école. Je lui ai répondu que je voulais disparaître. Elle a roulé des yeux et m'a demandé d'arrêter mes jérémiades. Je me suis énervée contre elle sans raison apparente. Je crois que je lui ai dit qu'elle me « cassait les couilles » alors que j'en ai même pas. Elle m'a regardé puis est partie comme elle est venue, la mine abattue. J'avais le cœur lourd toute la journée. La culpabilité m'avait coupé l'appétit le midi alors que je voyais son visage blessé. En rentrant, elle m'a ignoré continuant ses affaires. J'ai fini par m'excuser avant d'aller dormir. Elle m'a souri puis m'a pris dans ses bras acceptant mes excuses.

Seulement parfois, les instants pluvieux deviennent le tonnerre de la rage. Et là, je me sens comme une bouteille de soda secouée et mes émotions explosent éclaboussant même les plus innocents. Je me déchaîne comme un ouragan sur le premier venu frôlant parfois l'hystérie.

Quand j'ai essayé d'en parler à madame Julie, elle m'a sortie une drôle de comparaison avec des timbres et une boîte. Sur le coup, j'avoue ne pas avoir trop compris, la métaphore était trop étrange et puis j'y ai trouvé un sens après plusieurs questions. Maman n'aime pas trop quand je pose trop de questions, elle dit que certaines choses ne s'expliquent pas, que c'est comme ça et pas autrement.

Alors, madame Julie m'avait expliqué lentement avec des mots simples le truc de la boîte à timbres.



« Imaginons que tes émotions étaient des petits timbres.»


                    Je lui avais demandé si je pouvais imaginer des timbres d'une BD que j'apprécie, Les Légendaires. Elle avait plissé les yeux avant de reprendre.



« Bon imaginons que tes émotions sont des timbres des Légendaires et qu'à chaque fois que tu te retiens de les montrer, tu les mets dans une boîte.

— Est-ce qu'elle peut être bleue ?

— De quoi ?

— Bah... la boîte.

— Au bout d'un moment, cette boîte bleue finit par être pleine à craquer, tout les timbres s'en échappent en même temps. C'est pareille avec tes émotions. Si tu n'exprimes pas ce que tu ressens, tout va finir par exploser un jour ou l'autre.

— Je risque de faire un burn out à trente ans ?»




                        J'ai toujours eu une étrange peur du burn out à trente ans depuis cette émission à la tête qui en parlait. Ça m'a laissé une drôle d'impression et Maman n'a pas du tout aidé à aller mieux. Maman a toujours eu cette manière bien à elle de rajouter du drame dans du drame. C'est autant fascinant qu'effrayant à vrai dire.

                       Madame Julie m'a regardé une nouvelle fois avant d'hocher lentement la tête. Ses boucles blondes glissaient de ses épaules frôlant presque la table dans son geste. Sa bouche ressemblait à une fine ligne droite alors que ses yeux verts me transperçaient de graviter teintés d'une pointe d'amusement.

                      J'étais décidée à ne pas faire de burn out à trente ans. Cependant, en sortant de son bureau, l'esprit emmêlé par des pensées lugubres mais en même temps allégé, je n'avais toujours pas compris pourquoi elle avait choisi une image aussi alambiquée que des timbres et une boîte au lieu de choisir plus simple comme un vase vide qui se remplit d'eau. Une fois remplie à ras-bord, l'eau se déverserait sur la table et finirait sûrement par se vider malgré elle. Après, je suis pas très forte en image cachée. C'est un truc de philosophes, psy ou écrivains. Et je suis sure d'une chose, je suis aucun des trois.







𝐀𝐃𝐄̀𝐋𝐄 𝐆𝐈𝐑𝐀𝐑𝐃𝐎𝐓.











P.-S. : j'ai fini par pleurer dans mon lit cette soirée-là sans aucune raison valable mais après je me ressentais étonnement bien. Comme si j'avais retrouvé mon souffle. En fait, je crois que j'aime bien pleurer.

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⏰ Dernière mise à jour : Apr 22 ⏰

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𝐖𝐈𝐒𝐇 𝐘𝐎𝐔 𝐖𝐄𝐑𝐄...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant