L'ombre de la solitude
Le coup de foudre est à la fois splendide et terrifiant. Mais ma future kitoko en revanche, était d'une beauté insoupçonnable.
Je l'ai vécu une fois. J'ai eu cette chance diraient certains, et je la vis encore. Elle a plusieurs prénoms mais je l'appelle ''ma Kitoko''.
J'ai eu un coup de foudre. En recevant cette réaction fraîche et compréhensible ce jour ci, considérant notre culture trop capricieuse et sérieuse pour qu'un tel phénomène ne soit aussitôt un tabou, une mise au point m'est apparue nécessaire. Ce sentiment dont rêvent tous les adolescents ou les hommes et femmes tendrement naïfs n'est en réalité qu'un mirage je vous le dit.
Le coup de foudre, en réalité, c'est une tempête, une vague. En vérité, il étourdit la raison jusqu'à sa perte. Une seconde de merveille pour des années de tourmente sans doute. La folie de penser que moi Médive je me voyait déjà hypnotiser par ce que je peux contrôler par mon calme intérieur.
Comment l'illustrer en dehors de toute alchimie ? Je n'en aurai certainement pas le talent. Et puis il y existe tellement de situations et ressentis différents qu'il serait inconcevable et injuste d'essayer de faire d'un exemple une définition absolue. J'en ai conclu que, quitte à étirer une pizza fade et imparfaite, autant qu'elle soit « fait maison ». Je me servirai donc de ma propre histoire.
Ce qui est terrible dans le coup de foudre, c'est qu'il meurtrit et le corps, et l'esprit. C'est traumatisant. Il est difficile d'expliquer le désordre qu'il produit en une fraction de seconde.
Pour moi, cela a commencé par un regard. Le premier impact, suivi de prêt et additionné à une simple poignée de main. Second impact. A vrai dire, ce que je décrirais comme le coup de foudre, c'est la fusion de ces deux chocs franchement.
Il est brutal, et sa brutalité ce n'est pas une gifle ou des insultes, ce n'est pas un couteau enfoncé dans un corps dans un accès de rage. Non, sa brutalité, c'est la vague qui vous prend par surprise, vous avale puis vous recrache sans ménagement, vous laissant désorientés, vulnérables et affaiblis.
A cet instant de chocs émotionnels, c'est le moment où le corps vous protège par instinct. Vous retenez votre respiration sans vous en rendre compte pour éviter ou repousser le moment de la noyade, vous le réalisez au bout de quelques instants seulement : il vous a semblé qu'une éternité avait passé. Ce qui vous ramène à la réalité du temps et de l'espace, ce sont vos nerfs. Si seulement vous étiez à la place, vous comprendriez certainement mieux ce que c'est le coup de foudre.
A la fusion des impacts de nos regards, tout mon corps s'est figé d'un simple claquement de doigts, dirai-je en une fraction de seconde. Ma respiration s'est arrêtée. Mon cœur s'est arrêté, c'est ce que j'ai cru. Je n'étais pas le seul à être figée en réalité. Tout autour de moi s'était fixé pendant cette seconde. Le temps avait ralenti sa course comme pour se délecter, de la violence dont j'étais témoin. Je ne voyais que les yeux de cette femme dont le regard m'avait englouti. C'est faux, je ne voyais déjà plus ses yeux. J'admirais son âme, nue, offerte devant moi. Ses qualités, ses imperfections. Et la mienne s'était offerte en retour. Il n'est rien de plus splendide qu'une âme volontairement soumise à vous, vous suppliant de la saisir furieusement.
Puis, disais-je, la vague m'a recrachée. Le temps est sorti comme s'il avait eu peur qu'on eût remarqué sa faute, il accéléra pour rattraper son retard. Tous les battements que mon cœur avait contenus ont explosé dans ma poitrine, m'assénant d'une douleur aussi douce qu'insupportable. Tout l'oxygène dont mes poumons avaient été privés m'a envahi jusqu'à m'étourdir. Mes jambes, privées d'activité et d'informations pendant cette éternité, se dérobaient. Il me fallut puiser dans mes deniers réflexes d'athlète pour ne pas m'écrouler sur le sol qui avait presque disparu sous mes pieds. Les sirènes s'étaient emparées de moi au prix d'un chant enivrant et d'innombrables battements d'ailes.
C'était donc cela qu'on appelait le coup de foudre. Je l'avais compris presque immédiatement. Je me considérais alors comme un élu parmi les privilégiés : je connaissais l'expérience de l'amour inexplicable, inconditionnel, né de la rencontre de deux âmes. Elles s'étaient reconnues instantanément et avaient imposé leur volonté à leurs propriétaires, qui n'avaient eu d'autre choix que de se rendre sans résistance.
La suite, nul besoin de l'exposer. Elle est commune et a beaucoup d'histoires d'amour. Elle est juste plus impatiente, plus pressante et, pour certains, elle serait pesante. S'il est une existence extérieure à l'histoire d'amour, elle peut vite paraître faible face à ce mélange épicé et piquant dont se délectent deux corps et deux âmes.
Ce qui est important, c'est donc la fin. L'apocalypse de la rupture.
C'était allé trop vite, trop fort, trop tôt dans une vie un peu tourmentée. Après tout, nos âmes nous avaient imposé cet amour extrême avec violence, nous n'avions pas eu le choix. Alors, lorsque nous nous sommes réveillés sur les rochers sur lesquels la vague nous avait recrachés, je m'exaltais d'avoir survécu à ce choc et affichais fièrement mes plaies. Elle, avait été terrifié par l'expérience qu'elle avait eu peine à réaliser. Elle avait paniqué à l'idée d'avoir ressenti cette douleur, de m'avoir aimée, d'avoir été privé de sa logique mathématiques. Inquiète, perdue, déboussolée : elle a fui. Le traumatisme était trop grand.
Enfin, pour être exacte, j'ai dû l'aider à fuir ; ce fut sans doute le moment le plus cruel qui me fut imposé. C'était comme si, après m'être relevée du choc et après avoir rejoint le haut d'un arbre, je m'étais jeté moi-même dans le vide pour ne pas être un poids.
Comment survit-on à cette apocalypse sentimentale me demanderez-vous ? Est-il possible de retrouver le rivage après s'être jeté dans le vide ? A vrai dire, à ce jour je n'ai pas la réponse. Aujourd'hui, je me laisse juste porter par le courant et ne fournis un effort que pour repousser les bouées qui croisent mon corps qui dérive. A noter qu'un vide ne possède pas de rivage.
Le plus terrible dans le coup de foudre, c'est d'en avoir fait l'expérience.
Tant qu'il n'est qu'une idée, un concept, il reste inoffensif voire réconfortant. On peut en rêver, l'ignorer, le moquer peut-être. Mais lorsque vous l'avez connu, si par malheur vous restez liés à l'âme qui vous a prise, il devient le pire instrument de torture. Pour ma part, je ne me sentais plus capable d'aimer. Parce qu'aimer avait désormais une toute autre définition, et qu'aimer moins, ce ne serait plus aimer. Ce serait ennuyeux et désagréable sans doute. Aujourd'hui, je sais que j'avais vraiment raison.
Comme on ne saurait souhaiter la mort aux autres, je ne leur souhaite pas le coup de foudre. Car si, par malheur, on ne réussit pas à garder ce précieux cadeau que le Destin nous offre, celui-ci nous en veut au point de nous punir sévèrement. La punition, c'est un supplice. Telle est le sort de ceux qui auront trahi la confiance du Destin : une souffrance continuelle.
Il les prive alors de leur capacité à aimer, aussi forte soit-elle, comme s'ils n'en étaient plus dignes. Il leur inflige alors la solitude permanente et éternelle, qu'ils soient entourés ou non.
Échouer face au coup de foudre, c'est s'assurer torture et folie.
Une chose que je n'avais pas pris en compte, c'est que je ne pouvais pas lire l'avenir, à peine je ne voyais que le bout de mon nez, une nuit noire s'annonçait à grand pas pour moi qui serait plongé dans un tourment éternel.
Voilà une belle histoire avant et aujourd'hui, Se sentir au milieu de la foule, assiégé par les évènements, les autres. Avoir les sens à fleur de peau, être étourdi, agressé par le bruit, aveuglé par la lumière, secoué, basculé à la merci de la moindre pensée de la mort mais sans jamais m'intriguer, résister, ou ne pas m'affoler. Me sentir soumis à ma propre existence, prisonnier de moi-même ; je respire, je subis, mais ne vis pas. Je ne rêve plus. Elle n'en a plus pour très longtemps et cela me fait chaud au cœur. Une femme qui aujourd'hui, à l'impression de vivre à côté d'elle-même comme si elle avait renoncé à celle qu'elle était profondément. Si seulement je pouvais prendre sa place.
Tout est tellement blanc dans la chambre d'hôpital, d'un silence pesant, si quelqu'un me parle, je devais tendre l'oreille comme si j'étais sourd. A peine dix-huit ans, atteint de maladie maligne, qui ronge même l'espoir ; une maladie que même la mort redoute.
Depuis le collège, nos liens se sont soudés. Nous avions, plein de rêve et d'ambition. Ce n'était pas la vraie symphonie entre nous jusqu'à ce que je lui avoue mes sentiments à ma dernière année au lycée. J'étais un mauvais garçon à caractère difficile dû à la séparation de mes parents, et elle, une sainte ni touche au caractère irréprochable. Quand j'ai appris sa maladie, je suis devenu fou de rage car une fille simpliste comme elle, pourquoi la vie veut laisser la mort l'emporter ? Je me suis marié avec elle par la suite, par amour et non par dépit. Je l'aimais vraiment, aujourd'hui bien plus qu'hier et bien moins que demain. Un beau mariage entre deux jeunes de dix-huit et de vingt ans, elle était la plus belle des mariées et la plus heureuse de surcroit. Même si je le cachais, vraiment, je pleurais du fait que je la perdrai dans un futur proche.
Après notre mariage, sa maladie a pris une autre tournure. Trois jours plus tard, elle était en salle de réanimation car elle s'était évanouit lors de notre première sortie de couple.
Je me suis mis à soupirer. Ensuite parler à Dieu. Il fait nuit ; je suis seul sur cette colline et les nuées d'orages s'amoncellent. J'entendais gronder les vents dans les flancs de la montagne. Pourquoi elle, Dieu !!! Ne vous a-t-elle pas suffisamment chanté et loué suffisamment à l'église ? Ne priait-elle pas pour sa guérison ? Hélas !! Je serai seul et délaissé !
Une lumière bienfaisante ne me guidera-t-elle point vers les lieux ou se reposera-t-elle, en un lieu solitaire, des fatigues de l'inquiétude, dans l'autre monde. Elle est si belle, au corps de reine et à la voix de fée. Oui cette voix que j'ai entendu à plusieurs louer le seigneur tout puissant. Pourquoi avoir permis que cette maladie s'installe dans son corps.
Un appel en provenance de l'hôpital m'annonça la disparition de mon épouse. Je fondis en larmes au bon milieu de la forêt. Le bruit des torrents et des vents redouble encore et je ne puis entendre la voix de mon bien aimé. Amis des morts, élevez sa tombe, mais ne la fermez pas. Chaque soir je me retirai dans notre chambre, comment ne pas penser à cette tragédie, elle était ma lumière, mon soleil ; un soleil qui a noircit, suite à la disparition de la lune ; Plus le temps passe, plus j'y pense.
Chaque jour qui s'écoulait, tout changeait autour de moi, je changeais moi-même. Que les circonstances ou je me trouvais étaient différentes de celles où j'étais les jours passés. C'est toute une autre façon de voir et penser, il me semble de jour en jour qu'un voile épais tombe au-dessus de mes yeux.
Chaque jour qui passe, je me demandais comment nous étions-nous rencontrés ? Par hasard comme presque tout le monde ? D'où venions-nous ? Du lieu le plus proche ? Pleins de questions chevauchaient dans ma petite tête remplie de désespoir. Veuf à vingt-deux ans, ce n'était pas ce que j'avais prévu pour nous deux.
Ce qui m'avait beaucoup plus attiré chez elle, c'est sa passivité à comprendre tous ceux qui l'entouraient, sa gentillesse, son sourire à l'éclat de saphir, je l'ai aimé, je l'aime et je l'aimerais toujours, aucune autre femme saura me combler comme elle l'a fait.
Tout a changé dans l'ordre physique, tout à changer dans l'ordre moral et psychologique. La raison de l'homme ressemble encore au globe qu'il habite, la moitié en est plongée dans les ténèbres, quand l'autre est éclairée.
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