Chapitre 3

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Alana 

Je jette mes clefs, enlève mes chaussures difficilement et saute sur mon canapé, droite comme un piquet. JE SUIS CLAQUÉE. Chaussette vient se poser sur mon ventre. Sous son ronronnement, je m'autorise à fermer les yeux un moment. Mais non ! Qu'est-ce que je fais ? Il faut encore me doucher et manger, depuis midi je n'ai rien dans le ventre.

Je décale la boule de poils sur le côté et pars en direction de la salle de bain. Mes cheveux, plaqués en queue de cheval, me démotivent : il faut que je les lave, ce qui signifie que je vais dormir la tête mouillée. Quand j'enlève le chouchou, je me sens délivrée, je masse ma tête pour évacuer mon stress.

Une semaine s'était écoulée. Après l'appel de Loger, j'avais clairement passé mes jours à repenser à ce qu'il m'avait dit. Tous les mois, je devais lui verser 2000 €, en gros je mange presque rien et je m'essuie presque avec les feuilles du jardin. Je n'avais pas assez fait d'extras. D'ailleurs, ce soir, Gary ne m'a pas appelée, et c'est la merde ! Peut-être devrais-je lui en parler... Ou peut-être pas. Je n'ai pas envie de le déranger, ni personne d'ailleurs.

J'ai du mal à m'endormir, je tourne sur moi-même. Certains soirs, ça m'arrive de me remettre en question, de me rendre compte que si demain il m'arrive quoi que ce soit, personne ne viendra me chercher à l'hôpital, ou à un arrêt de bus parce que la roue de mon vélo a crevé, ou encore à m'aider à enjamber les obstacles de la vie avec cette phrase d'adulte "J'ai eu ton âge, je sais ce que c'est", comme mon père l'aurait fait... Il me manque terriblement ; j'ai un énorme trou dans la poitrine et dans le ventre qui m'oblige à retenir ma respiration pendant quelques secondes.

Imaginer son visage et me remémorer son parfum quand je me blottissais dans ses bras fait éclater mes sanglots que j'étouffe subitement dans mon coussin. Je suis pathétique, qui pourrait m'entendre ? Après des minutes de douleur, je me lève, les yeux gonflés, pour aller chercher ma bouteille d'eau dans la cuisine. Je m'assois par terre, près de ma baie vitrée, les yeux dans le vide. C'est l'avalanche de souvenirs, des images de ma petite sœur, qui sont floues à présent à cause du temps, comme si chaque année m'éloignait de la personne que j'étais, de cette sorte d'appartenance à ma famille, comme si mon nom n'avait plus de sens maintenant qu'ils avaient disparu.

Un frisson parcourut mon échine et mes pleurs cessèrent. Je sentais une drôle de présence. Le chat était sur le canapé en train de dormir, et il n'y avait que le bruit du frigo qui se faisait entendre. Je regarde derrière moi, sachant pertinemment qu'il n'y a personne. C'est juste au cas où. Je retourne me coucher avec les yeux gonflés.

Je me promène dans les champs et les forêts voisines. Aujourd'hui, l'air est frais et le ciel est bleu, tellement bleu que quand on le regarde longtemps, on pourrait penser qu'il est blanc. Cela faisait une heure que je marchais, ou peut-être deux. Mon cœur bat la chamade et mon souffle est saccadé. J'essaie de calmer mon rythme cardiaque et de respirer par le nez et non par la bouche. Souvent, ça me fait mal aux dents, comme si l'air frais sensibilisait mes gencives. Ma vue est brouillée et mes oreilles bourdonnent. Je connais cette sensation, c'est la sensation « du grand air ». Ton cerveau réagit comme ça quand il reçoit beaucoup d'oxygène. Mais c'est agréable, toute la pression de ton corps lâche, et tu as l'impression que le rouge te monte aux joues. La nature autour de moi est froide. Chaque branche et feuille craquellent sous mes pas. L'automne touche à sa fin, et ses couleurs vont me manquer.

Je continue de marcher doucement jusqu'à arriver devant une cascade. Mes yeux sont émerveillés par cette beauté. Maintenant que je suis proche, j'entends ce bruit d'eau claquer contre les rochers, symbolisant la fin de la promenade. Je pouvais enfin souffler et contempler ce que la nature avait à m'offrir. J'ai décidé de m'asseoir et de tremper mes pieds, même si l'eau est froide. La cascade me paraît à au moins 20 m de hauteur, et la nature autour est en mouvement, comme si ce cours d'eau était le chef d'orchestre. Les rayons de soleil passent à travers les branches et viennent caresser mon visage. Cela me rappelle les minutes avant l'accident ; les images défilent alors en boucle, et ma boule au ventre remonte, alors que j'avais réussi à la masquer depuis ce matin. Je refuse qu'elle refasse surface. Non, n'y pense plus. Je refusais d'y penser. Je pris en coupe l'eau dans mes mains et l'écrase sur mon visage. Cette fraîcheur me fit reprendre mes esprits. Mais mon cœur fit un bond quand je sentis une force m'agripper et tirer mes jambes dans le bassin. Mon corps se retrouve en un rien de temps sous l'eau, ma respiration fut coupée par l'élan, et mes membres restent immobiles sous le choc thermique. Seulement, mon cœur battait dans tout mon corps. Mon premier réflexe était de regarder mes jambes. Mais rien n'y était accroché. Alors, avec mes bras, j'essayais de remonter, ma bouche s'ouvrait pour laisser l'air passer en bulles. Sauf que je n'y arrivais pas, quelque chose me retenait dans l'eau.

Entre les mondesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant