Chapitre 10 : Le nouveau garde du corps

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Sur la place publique, près du marché de Choryang, un mochi rose géant sautait dans tous les sens pour amuser la galerie. Sa maladresse ne cessait de faire rire les gens alors qu'il exécutait différentes chorégraphies de groupes de kpop avec une énergie débordante. Ça faisait partie du personnage. Parfois, il taquinait les couples en dansant sensuellement contre les hommes, faisait le mannequin avec les femmes...Tout cela sans jamais se fatiguer et sans jamais dépasser la limite de l'indécence.

On pouvait croire qu'il faisait le succès de la roulotte qui vendait toute sorte de mochis - et c'était en partie vrai - mais en réalité, celle qui attirait la majorité de la clientèle était Kim SaRa, la reine des publicités. Elle s'était faite un nom l'année précédente grâce à un partenariat avec une marque de boisson énergisante et dont elle était toujours l'ambassadrice. Autant dire que le rôle lui allait comme un gant. SaRa était une petite boule de joie, un rayon de soleil.

— Être vendeuse fait aussi partie du contrat ? l'interrogea TaeYoung.

— C'est ce qu'on appelle du fan service, brother. C'est une manière de se rapprocher des fans et de les remercier pour leur inconditionnel soutien. Et c'est aussi pour booster le commerce du proprio.

TaeYoung n'était pas habitué à ce monde, encore moins aux fans un peu trop enthousiastes à son goût, mais bien heureusement, ils savaient tous se tenir, surtout en prenant conscience de sa présence. Il ne faisait pas uniquement office de décoration, il était le garde du corps de Kim SaRa. Son aura animal suffisait à dissuader n'importe quel importun. Et le vendeur Toshirō-san était aussi soulagé qu'une personne comme lui puisse les protéger. C'était un homme âgé d'origine japonaise, au visage fermé. Il était grand et élancé, travailleur et calme - solitaire aussi. Il ne parlait pas beaucoup et son coréen était un peu maladroit, mais ce n'était qu'un détail que ses pâtisseries parvenaient à faire oublier sans problème. TaeYoung l'avait vu à l'œuvre ce matin et sa réputation de maître du mochitsuki n'était plus à faire. D'ailleurs, cette cérémonie traditionnelle du pétrissage des mochis était l'une des attractions les plus connues du quartier.

— Kenta, passe-moi un verre d'eau, je meurs de chaud ! lui ordonna HyunKi en se dirigeant vers l'arrière de la roulotte.

Le second garde du corps ne se fit pas prier et apporta à son patron ce qu'il demandât. Un petit barnum pliant avait été monté pour y stocker du matériel et de la recharge d'ingrédients. À l'abri des regards, HyunKi enleva la tête de son costume de mochi et pris place sur une chaise pliante. Il dégoulinait de sueur, ses cheveux rouges collés sur le front. Il appela TaeYoung et ordonna au jeune Kenta de retourner à sa position.

— Tu m'as fait appeler, se montra l'ancien militaire en adoptant une posture de subordonné.

HyunKi bu entièrement sa bouteille d'eau avant de l'écraser puis de la jeter dans une petite poubelle. Il était essoufflé.

— Des gamins de primaire ne vont pas tarder à débarquer avec leurs parents. J'ai besoin que tu sois vigilant, déclara-t-il en s'épongeant le front avec son bras.

— Y a-t-il quelqu'un en particuliers que je dois intercepter ou filer ? demanda le garde du corps.

— Non, mais il y a quelqu'un qui va sûrement te reconnaître et rapporter à son chef que tu travailles avec moi.

— Pour... toi, rectifia TaeYoung.

HyunKi releva la tête, arqua un sourcil en le dévisageant longuement. Le garde du corps se sentit mal à l'aise un court instant. Jamais de toute leur vie ils n'auraient cru se retrouver dans cette position. Plus jeunes, ils avaient tous deux eu le même rêve : faire régner la paix et la sécurité dans leurs villes respectives, Busan et Daegu. Aujourd'hui, TaeYoung accepta avec un léger pincement au cœur que son meilleur ami avait réussi à réaliser ce rêve sans lui.

— Je t'ai déjà dit d'arrêter avec ça, s'énerva HyunKi en se levant de sa chaise pour pointer sur lui la tête du mochi rose.

— Tu es mon patron désor...

— Patron mon cul ! Y a jamais eu de lien hiérarchique entre nous et il n'y en aura pas. Faut que je t'le dise comment ? Ça me fout plus la honte que tu m'appelles "patron". Putain de marines ! Tu m'as toujours appelé HyunKi alors cantonne-toi à ce prénom, c'est tout.

Sur ce, il remit sa tête de mochi rose, puis ressortit en tapant des pieds. TaeYoung eut un petit sourire, ravi de le voir le traitait comme un égal et donc, comme un ami. Il suivit ses pas, alla se poster à sa place et commença à observer attentivement les gens.

~ ♠️ ~

HyunKi était remonté.
Il avait du mal à croire que son meilleur ami doutait encore de lui. Certes, TaeYoung avait signé dans son agence en tant que "garde du corps personnel", mais pas question pour le mafieux aux cheveux de feu, de le traiter comme un subordonné. C'était comme s'il cultivait une rancune prête à exploser...ce qui n'était pas le cas. Il tenait à TaeYoung et encore plus à sa sœur SaRa. Il ne lui viendrait même pas à l'esprit de leur faire du mal.

Quand il sortit du barnum, des enfants courraient déjà en direction de la roulotte. Ils arrivaient toujours au moment où le public se dissipait un peu. Le mochi rose géant fut le premier qu'ils saluèrent chaleureusement. Très vite HyunKi fut entouré d'une horde de gamins énergiques et infatigables. Parmi eux, se trouvait le petit SuhOk, son fils. Il était si heureux et ne cessait d'enfoncer son index dans le costume aussi doux et moelleux qu'un vrai mochi.

C'était l'unique proximité que HyunKi s'autorisait, ainsi l'enfant ne serait pas effrayé par son apparence de gangster et HeeYeon ne le reconnaîtrait pas en venant récupérer SuhOk sur cette place. Savoir qu'il procurait autant de joie à son fils le suffisait.

Ensuite, le maître du mochitsuki les appela pour une démonstration dont les enfants ne se lassaient jamais. HyunKi les regarda s'approcher de maître Toshirō, heureux de pouvoir offrir ce genre de souvenir. C'était important pour lui.

— Excusez-moi, l'aborda une femme.

Il se retourna pour voir qui venait de parler et sursauta tout à coup en voyant le visage de sa tortionnaire. Il fit un bond en arrière et se mit en position de combat. Évidemment, la femme ne le prit pas au sérieux avec ce costume de mochi rose, et elle eut un rire léger avant de se courber vers l'avant pour le saluer poliment.

— Bonjour, je suis vraiment désolée de vous avoir effrayé, commença-t-elle en ramenant une mèche de cheveux derrière son oreille.

Elle tenait un appareil photo dans l'autre main et avait un sac de transport pour chat à l'avant. Un chat tigré, jaune et noir, le regardait avec des yeux presque assassins comme s'il s'imaginait en train de le déchiqueter.

— Je m'appelle Lim Hortensia et je voulais savoir si je pouvais prendre quelques clichés de vous, s'il vous plaît.

Le mochi rose se figea. Il n'arrivait pas à croire ses yeux. Pourquoi était-elle si gentille avec lui ? Était-ce une ruse pour pouvoir le frapper encore ? Toujours dans sa position de combat, HyunKi ne put répondre, tant les questions assaillaient sa petite tête brûlée. Il en vint même à oublier que personne ne pouvait voir son visage, mais que lui, voyait tout le monde.

— Si vous ne voulez pas, ce n'est pas grave. Désolée de vous avoir dérangé, se désista-t-elle rapidement, embarrassée au plus haut point.

Elle se courba poliment vers l'avant puis tourna les talons en serrant son appareil photo des deux mains. Ce fut le miaulement du chat qui finit par ramener HyunKi sur la terre ferme. Sans même réfléchir, il attrapa l'une des lanières du sac de transport pour chat afin de retenir Hortensia. La rousse s'arrêta alors dans sa lancée, retenue par la poigne forte mais tendre du mochi rose géant puis pivota la tête dans sa direction, surprise et ravie à la fois.

Ils demeurèrent dans cette position de longues secondes et à cet instant précis, HyunKi vit réellement ses yeux verts. Des yeux émeraudes, comme jamais il n'en avait vu dans sa vie. Il s'égara dans sa contemplation. Le monde qu'il voyait habituellement en noir et blanc accueillit doucement toutes les couleurs de la vie. Plus rien n'avait de sens, même son acte était dépourvu de raison, mais il était sûr d'une chose...

Elle était splendide.

Sur Des Bandes DoréesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant