Le début, l'entrée, la faculté

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La politique, avant, c'était hors de question pour moi d'en parler, résultat de tous ces repas de famille où le sujet finissait en éclats de voix, en mots gras et durs, parfois aux mains. Alors j'ai grandi en faisant barrage à la politique. Non, ça ne m'intéresse pas, non, je ne mange pas de ce pain-là. Et puis, à l'aube de mes vingt ans, un projet de loi est venu briser mon mur : la Loi Travail. D'une simple colère, je devenais révoltée et puis militante aux côtés de syndiqué.e.s, de non-encarté.e.s, de partisan.e.s. J'ai d'abord écouté, j'ai fait l'éponge, m'abreuvant des idées, des mouvements précédents, des débats réels comme virtuels. J'ai cherché et recherché, j'ai voulu comprendre. Et j'ai milité, plongeant à corps perdu dans cet océan politique. Et plus le temps passait, plus ma voix s'entendait dans le brouhaha des débats. J'ai ouvert ma bouche, peu rassurée, plus ou moins sûre de mes idées. On m'a traité d'idéaliste, d'utopiste et je savais que c'était vrai. Mais voilà, on ne m'empêche pas de rêver. Alliant utopisme, idéalisme et réalisme, j'ai commencé le combat pour une société plus juste, pour que la France devienne enfin la démocratie qu'elle n'a jamais été.

Etudiante en première année de philosophie, j'assistais à mes cours, écoutant plus certains que d'autres mais toujours dans la même optique, apprendre, découvrir, comprendre. J'adorais ce que je faisais, ce que j'étudiais, me lançant dans une réflexion toujours plus approfondie malgré qu'à la fac, c'était surtout de la philosophie historique. Aucun professeur ne liait les auteurs et les différentes pensées à l'actualité, à l'époque dans laquelle on vivait. C'est le plus grand et un des seuls reproches que je puisse faire à ma filière et, de manière générale, à l'Education Nationale. On nous inculque un savoir, on nous impose de nous le marteler dans le crâne pour pouvoir le ressortir comme tel sur nos copies formelles au moment du passage de nos diplômes. A quoi cela sert de savoir si on ne sait pas comment utiliser ce qu'on a appris ? C'est là, je pense, où se niche une partie du désintérêt scolaire et de cette image de l'école qu'on a rapidement au début de l'adolescence. « Je vois pas à quoi ça sert alors j'ai pas envie de l'apprendre. Ça servira à rien dans ma vie. J'aurais jamais besoin de ça quand j'aurais mon métier, sérieux, c'est juste chiant. » Et pourtant, quel que soit le savoir, il est important de l'avoir. Pour grandir, mûrir, réfléchir. La réflexion est le premier rempart contre l'ignorance, le moutonisme sociétal, l'endoctrinement. Réfléchir ne veut pas dire non plus ne pas agir. Réfléchir, c'est pouvoir agir selon ses propres idées et non celles qu'on nous dicte sans y penser.

La mobilisation contre la Loi Travail m'a fait me retrouver tous les matins dans le hall de la fac à tenir une table d'information de 8h à 19h environ. Tous les jours, je voyais des étudiant.e.s à qui je tentais, en vain, d'expliquer cette loi qui détruisait nos droits, une fois nos études terminées ou même déjà pour ceux et celles qui cumulent à vingt ans à peine études et travail. Parler, discuter, essayer de faire comprendre, partir en manifestation, crier et inventer des slogans, créer un journal, faire du café, du thé, faire les comptes, réaliser des tracts, aller les imprimer, les distribuer, faire des affiches, aller les imprimer, les scotcher un peu partout, se taper des réunions du comité de mobilisation toujours plus longues, faire les comptes rendus, trouver les ordres du jour, préparer du matériel, des pancartes, voler des caddies, les customiser, créer une stèle du code du travail, aller à une coordination nationale étudiante. Parler, discuter, essayer de faire comprendre, partir en manifestation, crier et inventer des slogans, créer un journal, faire du café, du thé, faire les comptes, réaliser des tracts, aller les imprimer, les distribuer, faire des affiches, aller les imprimer, les scotcher un peu partout, se taper des réunions du comité de mobilisation toujours plus longues, faire les comptes rendus, trouver les ordres du jour, préparer du matériel, des pancartes, voler des caddies, les customiser, créer une stèle du code du travail, aller à une coordination nationale étudiante. Essayer à tout prix de faire comprendre sans avoir nécessairement de résultat derrière mais continuer encore et encore. Et puis entre tout ça, rattraper les cours que je manquais, réviser, passer mes partiels, avoir peur de tout foirer mais continuer à lutter quand même. Essayer de tout gérer en même temps en limitant la casse. Rencontrer des gens, des syndiqué.e.s, des non-syndiqué.e.s, des partisan.e.s, des non-partisan.e.s. Rencontrer toutes ces personnes et se faire ses propres idées politiques et, petit à petit, découvrir que le monde dans lequel on vit est si minable, si inégalitaire, si destructeur d'humain.e.s que la lutte devient le seul moyen de survivre sans être engloutie par cette idéologie capitaliste inhumaine.

À une assemblée générale à la fac une fois, quelqu'un a posé la question : « Qui se sent en démocratie aujourd'hui ? » Personne n'a levé la main. Personne. Et c'est là que j'ai pris une de mes premières claques dans la gueule. Et c'est vrai. Qui se sent en démocratie aujourd'hui ? Ce n'est pas pour jouer la pessimiste mais la définition de démocratie dans le dictionnaire stipule que la démocratie est « un système politique, une forme de gouvernement dans lequel la souveraineté émane du peuple ». Ce que j'en déduis, c'est qu'en tant que la souveraineté est censée émaner du peuple, alors le gouvernement se doit d'être un outil pour ce peuple. Aujourd'hui, lors des élections qu'elles soient départementales, régionales ou présidentielles, le taux d'abstention subit des records de plus en plus exceptionnels. Dès cet instant, les personnes élues au gouvernement ne sont plus représentatives du peuple vivant. Ils et elles ne sont représentant.e .s que de ceux et celles qui sont allé.e.s voter. Certes, en un sens, cela semble logique que ce soit ceux et celles qui font l'effort de voter qui soient représenté.e.s. Mais il y a différentes raisons d'abstention, notamment celle du mécontentement général et de la désillusion envers le pouvoir politique. C'est là que se trouve le fond du problème. On ne peut pas préserver une démocratie alors que le désintérêt du peuple envers lui-même ne cesse d'augmenter. Une démocratie est pour le peuple par le peuple alors si ce dernier ne fait plus l'effort de s'engager, il est logique que la démocratie s'écroule. Les torts émanent de tou.te.s. On abandonne notre pays, notre société en plongeant dans l'individualisme et l'égoïsme. Ces deux aspects sociaux sont, d'ailleurs, accentués par le capitalisme et les lobbys économiques. La suréconomie efface l'humanité mais, si nous sommes le produit de ce capitalisme, s'il existe encore aujourd'hui, c'est bien parce que nous l'alimentons au quotidien. Le peuple peut reprendre le pouvoir qu'on lui avait promis et qui lui a été volé mais pour cela, il faut le rapport de force. Abandonnons nos propres intérêts et levons-nous pour un intérêt plus grand : l'humanité, le vivre-ensemble. Une élite a beau avoir le pouvoir grâce à l'argent, ce n'est pas dans ses tours dorées qu'elle sait ce que vit le peuple.

Les années militantesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant