Du 17 au 20 août, se déroulait le festival de théâtre de rue d'Aurillac, comme à l'accoutumée ces trente dernières années. Festival réunissant des personnes d'un peu partout, artistes, touristes, festivaliers habitués. La France étant sous état d'urgence, le centre-ville a été entouré de barrières et différentes entrées avec point de contrôle et fouille des sacs ont été installés, accompagné de la police notamment nationale et quelques fourgons de la gendarmerie mobile. Suite à ces installations et plus largement au dix mois sous état d'urgence, une manifestation s'est prévu grâce au bouche à oreille le vendredi 19 août au point de contrôle de la rue des Carmes, ce dernier étant un des plus imposants du festival.
J'arrive au lieu de rendez-vous à 18h05, à l'intérieur du périmètre, environ deux cents personnes sont présentes de ce côté. De l'autre côté du point de contrôle, autant de personnes sont bloqué par les gendarmes en mode robocop (casques etc.). Les personnes ? Des artistes, des militants, des personnes qui n'avaient pas prévu cela mais suivent le mouvement, des festivaliers habituels. La tension monte, des slogans s'entendent. « Etat d'urgence, état policier, on ne se laissera pas encager. Etat d'urgence, état policier, on nous empêchera pas de manifester. Tout le monde déteste la police. Cassez-vous, cassez-vous. » Je retrouve des amis et reste avec eux le reste de la manifestation. Pour l'instant, il n'y a pas de lacrymogène, les matraques et les flashballs sont sortis sans être trop utilisés. Ce fut de courte durée. A peine cinq, dix minutes après mon arrivée, la lacrymo apparaît. Je remonte mon keffieh contre ma bouche et mon nez, comme beaucoup, pour stopper les gaz. Les barrières symbolisant le point de contrôle commencent à tomber, les policiers et gendarmes bloquent toujours manifestants et festivaliers à l'extérieur tandis qu'une nouvelle ligne se forme devant nous. Et puis, le groupe extérieur, grâce à leur nombre, font reculer policiers et gendarmes. Ces derniers se regroupent en ligne devant la rue perpendiculaire à celle où nous sommes, laissant tout le monde entrer dans le périmètre du festival. Les dernières barrières tombent, tout le monde est rassemblé, les gendarmes en opposition. Les premières grenades lacrymogènes sont lancées, répondent quelques projectiles (canettes, bouteilles de bière). J'aperçois des « barricades d'urgence » se monter avec les barrières tombées et les poubelles aux alentours pour éviter une charge des gendarmes. Quelques poubelles sont allumées, le feu prend peu de place et se consume rapidement.Des enfants, des adultes de tout âge sortent les yeux rougis, les joues dégoulinantes de larmes. Une distribution de sérum physiologique se met en place sans même qu'on y réfléchisse vraiment, je donne le peu que j'ai à ceux qui en ont le plus besoin, comme d'autres le font autour de moi.
A partir de ce moment-là, je me retrouve en arrière du cortège. Les grenades ne cessent de pleuvoir sur nous, nous forçant à reculer jusqu'à se retrouver devant le jardin des carmes où des buvettes avec terrasse sont installées avec des personnes en dehors de la manifestation, qui reçoivent nécessairement les nuages de lacrymo et même une ou deux grenades qui atterrissent dans les arbres du jardin. A aucun moment, nous ne reculerons plus loin, ce qui donne environ une centaine de mètres de la rue des carmes où sont lancés des grenades. Pour lutter contre les gaz lacrymo, on prend les cartons d'affiches un peu partout sur les murs et une « ventilation » se met en place, comme on peut le voir dans la vidéo accompagnant le texte. Un artiste se met à jouer des percussions et nous galvanise. Les slogans reviennent, certains humoristiques en vue de ce système peu commun de se protéger de la lacrymo. A chaque grenade, nous reculons, puis nous avançons de nouveau. A plusieurs moments, nous nous demandons s'ils vont essayer de nous nasser, si une partie de l'effectif policier va débarquer derrière nous mais ça n'arrive pas. Environ 1h30 ou 2h plus tard, tout l'effectif policier disparaît. Je reste encore un peu, des nuages de gaz sont encore présents mais la tension redescend.
De retour dans le festival, à moins de dix mètres de la manifestation et des gaz, personne ne semble au courant de ce qu'il se passe, les artistes continuent de jouer, les spectateurs continuent de regarder et de s'amuser.
Plus tard, je retourne dans la rue des Carmes. Je regarde autour de moi et ne vois qu'un panneau publicitaire dont la vitre est cassée, aucune vitrine de commerce de brisée, pas de trous dans le sol pour montrer que des pavés ont été retirés comme se plaisent à faire croire les journalistes de La Montagne, le maire d'Aurillac etc.
Je ne vous demande pas et je ne vous demanderai jamais de me croire sur parole, après tout, je ne suis pas en position d'impartialité même si j'essaie de l'être un minimum. Seulement, avant de croire les médias de masse comme des « prophètes », ayez un regard un tout petit peu critique. Regardez les vidéos que La Montagne Aurillac diffuse et oubliez les titres qu'ils écrivent pendant cinq minutes. Les « violents affrontements » et « la centaine de casseurs » n'existent pas. Certes, la manifestation n'a pas été calme de a à z, il y a bien eu plusieurs jets de canettes et de bières (pas plus d'une vingtaine de ce que j'en ai vu) mais ce n'était certainement pas ce que les médias décrivent.
Pour finir, quelques mots sur l'état d'urgence. Etat d'urgence qui s'allonge depuis dix mois maintenant. Prolongé jusqu'en janvier 2017, en novembre, l'état d'urgence « fêtera » donc ses un an. Un an pour une mesure dite exceptionnelle, n'y-a-t-il pas un problème ? Le problème n'est-il pas plus grand encore lorsqu'on nous parle de lutte contre le djihadisme alors que la France est le deuxième plus grand marchand d'armes du monde, que les pays occidentaux financent ce terrorisme dont on nous rebat les oreilles ? Le problème n'est-il pas plus grand encore lorsque le gouvernement laisse monter le racisme, la xénophobie et l'islamophobie et s'allie avec des pays qui ont les mêmes méthodes que Daesh mais cette fois considérées comme légal (Arabie Saoudite notamment)? Le problème n'est-il pas plus grand lorsque la coalition bombarde plus de civils que de camps djihadistes? Le problème n'est-il pas plus grand quand l'état d'urgence sert de prétexte pour ficher, arrêter, perquisitionner n'importe qui sans aucun recours juridique ?
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Les années militantes
Non-FictionMes années militantes quand j'étais à la faculté à Clermont, Montréal et Rennes.