Un jour à Rennes,
Ou plutôt une petite semaine.
Les médias indépendants et de masse ne cessaient de parler de la mobilisation à Rennes, les uns dénonçant la violence policière et étatique, les autres, suivant gentiment le gouvernement et le processus de criminalisation du mouvement social actuel, critiquant abusivement les « casseurs », les débordements des grands méchants manifestants. La mobilisation clermontoise m'épuisant un peu et ayant besoin de prendre l'air, je suis donc partie à Rennes. J'ai voulu voir comment cela se passait, comment la mobilisation était ailleurs, en dehors de Clermont et en dehors des images qui tournent en boucle sur les réseaux sociaux et la télévision. Je pensais savoir à quoi m'attendre, je pensais savoir que la violence des forces de l'ordre était bien loin de l'honneur, de la déontologie, je pensais savoir mais entre voir des images et vivre l'instant, c'est bien différent.
Mercredi 1 juin.
Mon périple rennais commence par des heures de route, environ six, bloquée au milieu de la banquette de derrière, entre quelques camarades clermontois.e.s. Quelques chants militants, quelques blagues, des rêves à demi-éveillée. A peine arrivé.e.s dans cette charmante ville de Bretagne où le soleil et la chaleur nous accueille pour mon plus grand plaisir, nous voilà déjà reparti.e.s pour une action de blocage de nuit.
Point de rendez-vous des bloqueurs, le plan A ne peut se faire, c'est parti pour le plan B : blocage de deux plateformes, une de Carrefour, l'autre de La Poste, celle où nous irons. Ce qui me frappe déjà, c'est l'organisation qui règne. Quelques couacs certes mais, dès le moment où nous arrivons, les barricades se construisent, une cantine s'installe, les militant.e.s discutent et s'organisent. On laisse sortir les salarié.e.s de la plateforme parce qu'être enfermé.e.s dans un bâtiment, ce n'est plaisant pour personne et ce n'est pas le but de l'action. On laisse aussi ceux et celles qui doivent aller travailler rentrer parce qu'il n'est pas question de leur faire perdre leur salaire.
Bonsoir, messieurs et mesdames les policier.e.s. « Vous savez, on commence à être fatigués avec votre mobilisation. » On n'en doute pas, mesdames et messieurs, mais si le gouvernement n'en faisait pas qu'à sa tête en continuant à s'enrichir sur notre gueule, on n'en serait pas là. Avant que les camions transporteurs ne commencent à arriver, la décision est prise de scinder notre groupe de manifestant.e.s en deux, une partie reste devant l'entrée de la plateforme, l'autre installe un barrage filtrant sur le rond-point à quelques mètres. Tout se passe très bien toute la nuit, une petite montée en pression du responsable de l'équipe policière parce que, voyons, vous faites perdre de l'argent aux entreprises et puis, aussi, vous n'êtes pas vraiment visibles sur ce rond-point où rien n'est éclairé, c'est dangereux, les véhicules pourraient vous écraser. On allume donc les quelques palettes entassées sur un côté du rond-point. Là, on nous voit bien assez monsieur le policier, non ? C'est dangereux, le feu quand même. Le policier est bien le seul à s'énerver, les manifestant.e.s, eux, restent calmes et l'ambiance bon-enfant prime. Mes camarades et moi-même partons vers 2h du matin, préférant dormir un minimum pour être le mieux possible le lendemain pour la manifestation contre la loi travail.
Jeudi 2 juin.
Réveil difficile, la nuit a été trop courte, la tension est déjà présente. Je sais que la manifestation ne va pas être celles de Clermont, je sais mais j'y vais quand même parce que je veux voir, je veux me rendre compte. Violences policières obligent une certaine préparation : écharpe, foulard, masque ou lunettes de plongée contre les gaz, sérum physiologique, aucun objet qui pourrait être apparenté à une arme. La consigne à Rennes : personne ne prend sa carte d'identité. J'en suis surprise et je ne comprends pas vraiment mais je la laisse quand même dans la voiture. Nous finissons par prendre le bus et une fois descendu, nous nous divisons, mes six camarades et moi, pour rejoindre le lieu de rassemblement afin d'éviter des contrôles policiers potentiels. La manifestation démarre tranquillement, comme à la clermontoise, slogans, discussions etc. C'est bon enfant, on sourit, on rit. Les policier.e.s se tiennent à distance, tout va bien. Et puis, à un moment, un hélicoptère vole assez bas au-dessus du cortège de manifestant.e.s, tout le monde semble être habitué mais moi, cela me rappelle où je me trouve et la situation de tension que vit la mobilisation rennaise. Mais, peu importe, on poursuit la manifestation jusqu'à arriver devant la préfecture de Beauregard. Là, une jolie ligne de gendarmes, si mes souvenirs sont bons, est devant l'entrée de la préfecture. Nous restons un long moment devant la préfecture, les personnes s'assoient, discutent, un orchestre est même là pour nous jouer un peu de musique, un caddie rempli de sandwichs se balade entre les manifestant.e.s pour le plus grand bonheur de nos estomacs qui grondent. Le second cortège nous rejoint à grand bruit pour se faire entendre devant cet Etat qui fait le sourd.
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Les années militantes
Non-FictionMes années militantes quand j'étais à la faculté à Clermont, Montréal et Rennes.