Rennes marqua un tournant dans ma vision du mouvement social et du système actuel, un réel tournant que mes épaules n'étaient pas nécessairement prêtes à porter. Depuis cette escapade, une radicalisation s'est opéré en moi, engrangée par la violence policière et donc étatique dont j'ai été témoin et en partie victime, gangrénée par la haine qui suit ce vécu. Depuis Rennes, mes nerfs sont réellement à bout, bien plus que depuis le début de la mobilisation alors que je pensais déjà bien tirer sur la corde. Et puis, la colère naissant de la mobilisation se lie à celle que j'ai toujours eue en moi depuis longtemps, trop longtemps.
Je ne cesse pas la lutte. De retour à Clermont, je continue à la fac, à Nuit Debout, en manifestation, blocages... Petit à petit, je me rapproche de ceux et celles que je vois tout le temps. C'est là que je trouve une réelle humanité, de véritables personnes qui se soutiennent entre eux et qui finissent par me soutenir aussi.
Le 14 juin, le mot d'ordre est donné : tous et toutes à Paris. Alors le matin de cette longue journée à la capitale, je monte dans le train bondé de militant.e.s et de quelques voyageurs lambda. Je ne cesse de faire des allers-retours dans le train parce que la pression monte et m'empêche de rester immobile. Je discute avec beaucoup de monde, plaisante, ris, bois un verre et le trajet de quatre heures se termine enfin. Pour l'occasion, je suis accompagnée d'une personne de ma famille qui décide de venir au dernier moment. Nous allons tous et toutes ensemble vers la place d'Italie. Du monde, beaucoup de monde sur la place et dans les rues adjacentes. Avec quelques camarades, nous commençons la manifestation dans le cortège jeune unitaire et puis, la personne de ma famille et moi remontons tranquillement les différents cortèges, apercevant quelques clermontois.e.s de temps à autre. L'ambiance est relativement allègre, gros défilé musicale à la sauce syndicale.
Puis, plus on remonte dans la manif, plus je me tends. Nous arrivons à un moment entre manif syndicale et cortège de tête, mélange de deux mondes, de deux différents modes d'action, des restes de gaz lacrymogène nous taquinent le visage. On finit par s'engueuler avec la personne de ma famille, qui ne comprend pas pourquoi j'ai envie de monter en « première ligne ». « T'as envie de te faire casser la gueule, de casser du flic ? C'est quoi l'intérêt ? » « Je t'avais dit que je resterai pas dans le cortège syndical, tu me fais chier vraiment ! » Etc. etc. Face à notre dispute, je lâche prise, nous n'atteignons pas le cortège de tête, de toute façon, nous n'avons aucune protection digne de ce nom et puis, je ne peux pas l'emmener à un endroit où elle ne veut pas être, surtout avec le risque d'une arrestation qui n'aidera personne. Je n'ai aucune raison valable de m'énerver à ce point mais ce mélange de peur, de rage, d'envie d'action me submerge. On repart en arrière, essayant de trouver les militant.e.s de mon syndicat dans la marée humaine défilant dans les rues de Paris. Par chance, on les retrouve, juste avant qu'ils partent rejoindre le train les ramenant à Clermont. Nous ne les raccompagnons pas mais nous restons avec deux militant.e.s que je connais.
Nous remontons de nouveau le cortège et nous nous retrouvons entre les deux mondes, les deux modes d'actions, rejoignant des camarades de Paris. Nous chantons. « C'est qui les casseurs ? C'est eux les casseurs ! C'est qui la racaille ? C'est eux la racaille ! Alors dehors, dehors ce gouvernement qui casse nos grèves et le code du travail, qui nous matraque et qui nous gaze ! » « Matraque, 49.3, arrêtez, on vaut mieux que ça ! » Et puis, on commence à croiser des CRS, les gaz lacrymo se font de plus en plus sentir, des débris des affrontements précédents, des abris-bus brisés font surface. Tout autant de marques que le cortège de tête est passé, que les flics étaient là. Et le sont toujours.
Une ligne de CRS pour aucune raison apparente nous coupe la rue tout en laissant un espace de quelques mètres, largeur du trottoir et d'un petit bout de route. On ne sait pas comment réagir, la tension entre manifestant.e.s et CRS montent, des cris, des slogans et c'est parti pour un coup de gazeuse. A ce moment-là, après quelques minutes de tergiversions, nous étions passé.e.s dans l'espace que les CRS n'avaient pas bloqué. Bon ou mauvais choix, je n'en savais trop rien, ce n'est qu'après la manifestation que ça ne m'a pas semblé un des meilleurs puisque c'était tout l'intérêt des forces de police de diviser le cortège pour nous éviter d'arriver tou.te.s ensembles à la place des Invalides.
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Les années militantes
Non-FictionMes années militantes quand j'étais à la faculté à Clermont, Montréal et Rennes.