Chapitre 3 - Reine solitaire

4.1K 308 73
                                    

Summer, 17 ans

Rien n'est plus exaltant que l'euphorie ambiante d'une rentrée scolaire, moment crucial qui déterminera votre taux de popularité. Il faut porter l' uniforme aux couleurs de Manhattan High bien repassé, être coiffé de manière sophistiquée et exposer avec justesse le meilleur de votre personnalité. Un léger maquillage suffit. Ni femme fatale ni pimbêche, juste ce qu'il faut pour éliminer vos défauts. Si vous avez le malheur de vous réveiller avec un bouton sur le nez, revenez le lendemain, il vaut mieux être malade que moche.

Depuis le haut des marches, je me délecte de la vue panoramique qui me permet d'admirer tout ce beau monde. Des sourires sincères illuminent les visages des deuxièmes et dernières années, présents aujourd'hui pour servir de référents aux petits nouveaux, un atout non négligeable à ajouter à son dossier pour espérer atteindre l'université de son choix.

Je repère facilement les premières années, excités et anxieux d'être jetés dans la cour des grands. Ils se précipitent vers les tableaux d'affichage pour vérifier leur classe et récupérer leur emploi du temps, puis s'inscrivent aux activités parascolaires en fonction de l'organisation de leurs agendas.

Et puis il y a les exclus, les marginaux, les trop différents des autres, ceux qui ne rentrent dans aucun moule. Ceux-là, j'évite de les regarder, de peur que leur insociabilité et leurs visages tristes de rejetés ne me portent malheur.

Comme Taylor, qui cherche désespérément dans mon regard, un semblant d'attention de ma part. Dans son uniforme trop serré, il semble sur le point d'exploser. De la sueur goutte de son front gras et poisseux, collant quelques mèches à sa peau pâle et boutonneuse. Comme si ça ne suffisait pas, le mathématicien et unique membre du club d'échec de Manhattan High porte aussi d'affreuses lunettes rectangulaires posées de travers sur le bout de son nez.

Certains petits malins se sont amusés à les lui jeter par terre, dans le seul but de se foutre de sa tronche d'intello. Résultat : sa monture est toute tordue.

Pauvre Taylor.

Le sentiment immonde qui me serre la poitrine ressemble à s'y méprendre à de la culpabilité, mais je le refoule aussi rapidement qu'il est arrivé, fixant sur mon visage une expression impassible.

Il sait qu'il n'a pas le droit de me parler en public.

Rien ne me terrifie autant que de tomber dans le gouffre de l'ignorance dans lequel vivent les gens comme Taylor.

Je n'ai plus rien à prouver, reine autoproclamée, je porterai la couronne au bal de fin d'année. Je l'arracherai des mains du directeur, s'il le faut. Je récolterai les votes de ceux qui m'adulent, et de ceux qui ne m'aiment pas, mais surtout de ceux qui me craignent trop pour oser me contrarier. 

Ça me rendra heureuse. Et si ce n'est pas le cas, je forcerai un sourire qui aura l'air vrai, transformant mon désespoir en larmes de joie.

— Vous avez encore fait du bon travail, mademoiselle Davies, me félicite la proviseure. Je n'en attendais pas moins de la présidente du comité des élèves. Votre implication est remarquable.

— Je ne connais pas la médiocrité, madame.

Elle sourit à mon arrogance d'un air satisfait.

— D'ailleurs, j'ai besoin de votre admirable professionnalisme et de vos qualités de déléguée qui, je n'en doute pas, vous seront restituées cette année.  La secrétaire vient de m'annoncer que l'élève dont vous êtes la référente est arrivée.

Même les dirigeants de l'établissement sont à mes pieds.

Mais au fond, ce n'est que du cinéma. Je suis seule, bien qu'entourée d'hypocrites qui en fin de compte, ne me connaissent même pas. Il m'arrive parfois de sursauter face à mon propre reflet, terni par la prom-queen que j'ai façonné avec les années. Je crois que le pire réside dans le fait que j'oublie doucement celle qui se cache sous cette façade noircie, et ça me terrifie, d'être coincée dans le corps d'une inconnue. 

As Cold As Summer Où les histoires vivent. Découvrez maintenant