30 septembre
Un baiser cruel, voire mortel... voilà ce que je m'apprête à recevoir. Cet horrible sentiment qui me compresse le cœur depuis la rentrée et ma rencontre avec lui ne me quitte plus. J'essaie de l'occulter du mieux que je peux. C'est mission impossible. Je le pressens : je vais payer pour les actions passées de ma mère. Préoccupée, je jette un coup d'œil à travers la fenêtre. L'automne serre Cambridge dans son étreinte froide et humide. La pluie tombant sans relâche transforme les pavés séculaires en surfaces réfléchissantes sous la faible lueur des lampadaires. À l'intérieur de la Bibliothèque de l'Université de Cambridge, l'air est chaud, saturé par l'odeur de vieux papier et de cuir. Les murs tapissés de livres semblent absorber le bruit de la pluie, offrant un sanctuaire de calme et de silence. Je suis là, isolée au fond de l'une des salles, plongée dans la préparation d'un devoir sur les influences littéraires du romantisme anglais. Mes notes sont étalées devant moi. Chaque feuille étant un fragment de ma réflexion brouillonne.
La porte de la salle est ouverte dans un grincement discret, mais suffisamment fort pour me faire lever les yeux de mes textes. Le tic-tac de l'horloge semble suspendu un instant. Edward Astor entre, sa silhouette athlétique se découpant contre les portes massives. Comme toujours, il dégage une aura de confiance inébranlable. Celle des privilégiés qui n'ont jamais eu à douter de leur place dans le monde.
— Ne manquait plus que ça, marmonné-je dans ma barbe en essayant de faire abstraction de sa présence qui est un affront à ma tranquillité.
Edward me remarque quand je fais tomber un livre. Un sourire en coin étire ses lèvres. Un sourire qui n'a rien d'amical et qui est empreint d'une familiarité méprisante.
— Encore en train de fuir le monde réel pour tes bouquins, Sterling ? demande-t-il en avançant vers moi avec une assurance qui m'irrite profondément.
Je resserre mon emprise sur le stylo que je tiens. Tout mon corps se tend.
— Je n'ai pas à fuir le monde, contrairement à ce que tu penses. Je suis ici pour apprendre. Tu devrais en faire autant.
Ma voix est froide. Mon regard sévère.
Edward s'arrête à quelques pas de ma table. Son regard émeraude me scrute.
— C'est drôle, Andrea. Je pensais que tu serais la dernière personne à vouloir me côtoyer de près ou de loin surtout après ce qu'a osé faire ta mère. Elle n'a honte de rien. Toi non plus en te pointant ici.
— Ne parle pas de ma mère, déclaré-je amère.
— Pourtant, c'est ce que je suis en train de faire.
— Tu n'as pas le droit de parler d'elle. Pas après ce que ta famille nous a fait, affirmé-je pleine de ressentiment.
Edward pince les lèvres, son expression se durcit.
— Mon père a riposté.
— Riposté ? répété-je ulcérée.
— Ta mère a écrit des mensonges qui auraient pu détruire tout ce que ma famille a construit au fil des siècles. Les gens de ton espèce oublient rapidement leur place dans cette société.
La douleur ancienne, toujours vive, se réveille dans mon cœur.
— L'article écrit par ma mère sur l'empire financier de ta famille était une réalité. Elle est une journaliste de talent, droite dans ses bottes. Et c'est cette droiture qui effraie les gens de ton engeance maudite, Astor. Ton père a des choses à se reprocher. Il flirte avec la légalité. Je le sais. Tu le sais. Nous le savons tous.
— Tu n'es rien ni personne. Fais-toi discrète, reste invisible, ordonne-t-il sans hausser le ton.
— Sinon quoi ? le questionné-je en sentant un frisson terrible me parcourir l'épine dorsale.
Edward ricane dévoilant les fossettes sur ses joues. Des fossettes qu'il fût un temps, je pouvais admirer pendant des heures. Aujourd'hui, elles me révulsent tout comme son excès de confiance en lui.
— Ton calvaire ne fait que commencer, Andrea.
Sa voix est ferme, implacable.
— Pourquoi es-tu ici ? Les Astor se vantent d'aller à Oxford de père en fils, non ?
— Mêle-toi de tes affaires, répond-il cinglant.
— Un déchet de plus à Cambridge... génial, ironisé-je.
— Mesure tes propos, Sterling. Ou tu risques de le regretter.
Du haut de son mètre quatre-vingt-cinq avec sa carrure imposante Edward m'impressionne. Pourtant, je dois faire front. Sans me démonter, bien que je n'aie qu'une envie... me planquer dans un trou de souris, je me lève et contourne la table pour lui faire face.
— Il y a six ans, l'empire de ta famille a bien failli prendre l'eau. Ce qui est arrivé une fois pourrait se reproduire.
— Une menace ? me questionne Edward en avançant d'un pas.
Il est si proche que je peux sentir son souffle mentholé sur ma peau.
— C'est ton interprétation, répliqué-je.
Nous sommes deux individus que tout oppose liés par une histoire commune. Une histoire de trahison, de mensonges et de douleurs. Une histoire qui je le sens n'est pas près de prendre fin... au contraire.
Le tic-tac de l'horloge résonne, marquant le silence lourd entre nous.
— Tu devrais partir, Edward. Tu n'as rien à faire ici.
— J'ai bien plus ma place en ces lieux que toi, m'assène-t-il en affichant un rictus déplaisant.
— Je ne crois pas non. C'est le mérite qui m'a menée à Cambridge. Peux-tu en dire autant ?
Il m'observe un moment, son regard oscillant entre le défi et quelque chose de plus doux, presque imperceptible. Puis, sans un mot, il se retourne et quitte la bibliothèque, laissant derrière lui une empreinte invisible, mais glaciale qui m'enveloppe et me fait frissonner.
La guerre vient-elle à nouveau d'être déclarée ?
***
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BAD BLOOD (Romance)
RomansAndrea Sterling se fiche des jeux d'influence, de la popularité et de l'argent. Depuis qu'elle a reçu une bourse pour étudier dans la prestigieuse université de Cambridge, son seul objectif est de travailler dur pour obtenir son diplôme en Littératu...