Sea of Fire | Chansung

Comme un Poison dans l'eau

A travers la vitre, on peut voir le soleil se coucher, le ciel l'accompagnant de teintes orangées. A l'intérieur, le monde s'éteint. Les familles sont parties depuis une bonne heure et les derniers enfants encore présents sont dans les vestiaires. Quelques rires d'adolescents résonnent contre les murs des douches mais ils sont étouffés par la musique commerciale que crachent les enceintes. Les bassins de jeu sont vides mais ils restent encore quelques nageurs expérimentés dans les bassins d'entraînement.

Du haut de sa chaise de maître nageur, Chan observe la vie faire son cours, un fin sourire sur les lèvres. Il balance sa tête et ses pieds au rythme de la musique pour contenir son excitation. Il va dispenser une leçon dans quelques minutes et la hâte grandit au fil des secondes. Il est rare qu'on lui demande de donner des cours et encore moins des cours particuliers. Il a cru comprendre que son élève avait son âge et cela ne peut que le réjouir d'avantage.

- Chan ?

L'appelé garde les yeux rivés vers l'horizon quelques secondes. Il a reconnu la voix de sa collègue, Eunji. Il l'apprécie beaucoup et adore passer du temps avec elle mais depuis quelques jours, il se sent mal à l'aise en sa présence. Le jeune homme trouve son comportement étrange, elle est plus tactile et loquace que d'ordinaire. Chan n'est pas né de la dernière pluie et il a vite compris qu'Eunjin en pince pour lui.

Il finit par baisser le regard vers elle. Son sourire est timide, ses joues rosées et son regard brillant. Cette fille a tout pour plaire. Ses longs cheveux ondulés descendent en cascade sur son dos et sa peau pâle brille à chaque mouvement, ses écailles étant pailletées. Pourtant, Chan ne la voit que comme une collègue et ne ressent aucune attirance pour elle.

- J'ai fini en avance aujourd'hui alors ça te dirait qu'on aille boire un verre ?

- Désolé, j'ai une leçon dans cinq minutes à peine.

Eunji fronce les sourcils. Il est bien trop tard, les cours ne sont plus autorisés à cette heure-ci. De plus Chan est encore étudiant alors leur patron évite de lui confier des leçons ou de lui demander de rester trop tard. Est-ce que son collègue lui ment pour éviter de la voir en dehors du travail ?

Elle n'a pas le temps de se poser plus de questions. De l'agitation se fait entendre, ça vient du pédiluve. Les deux maîtres nageurs s'échangent un regard inquiet avant de se précipiter vers la source du bruit. Des insultes sont proférées et le sang de Chan ne fait qu'un tour. Il ne supporte pas ce genre de comportements, encore moins sur son lieu de travail.

- Dégage de là, tu vas contaminer l'eau !

Ils arrivent à l'endroit où à lieu l'altercation. Le jeune homme ne jette pas un regard à la victime, trop énervé. Il ne voit que la quinquagénaire à l'origine des cris qui continue de s'égosiller. Ses joues sont rouges de colère alors qu'elle balance ses bras dans des mouvements amples pour donner du poids à ses propos. Les rides sur son front sont accentuées par son froncement de sourcils. Chan lui demande d'une voix autoritaire de partir sur le champ. La femme proteste mais une fille l'attrape par le bras et lui demande de laisser tomber. En sentant la présence de l'adolescente qui semble être sa fille, elle s'apaise et jette un regard condescendant à la victime avant de partir, la tête haute.

Chan tourne la tête vers sa collègue et remarque la mine dégoûtée qu'elle peine à dissimuler alors qu'elle s'assure de l'état de la personne qui a reçu toutes ces insultes. Il suit son regard et son cœur rate un battement. Jisung est face à lui.

- Jiji, tu vas bien ?

- Tu le connais ? s'exclame Eunji.

La jeune femme est troublée. Elle ne s'attendait pas à ce que Chan soit ami avec ce genre de personne. Ami proche, se dit-elle en voyant son collègue examiner chaque parcelle de peau de l'autre homme pour s'assurer qu'il n'est pas blessé. Elle n'a rien contre les hybrides mais préfère ne pas rester trop près d'eux. Ce n'est probablement qu'une superstition mais son père lui a toujours répété que toucher un hybride portait malchance. Lorsque le garçon qu'elle ne connait pas pose une main sur le torse de Chan pour le repousser, un frisson de dégout lui parcourt l'échine.

- C'est bon, Chan, j'ai rien, râle-t-il, Si tu continues, je vais être en retard pour ma leçon.

Eunji s'apprête à répondre qu'il n'y a pas de leçons de natation à cette heure-ci mais alors qu'elle ouvre la bouche, les liens se font dans son esprit. Si Chan dispense un cours si tardivement, c'est parce que son élève est un hybride. Ce n'est pas bon pour l'image de la piscine de laisser un étranger (ou tout du moins, c'est comme ça que les gens se plaisent à appeler les hybrides) nager parmi tous les autres clients. Mais il serait dommage de perdre un potentiel client alors qu'ils ne roulent pas sur l'or. Leur patron a dû penser que c'était le meilleur arrangement.

- C'est bon, je t'en veux pas d'être en retard. Mais sois à l'heure pour nos prochains cours.

Le maître-nageur lui fait un clin d'œil amusé alors que l'expression de Jisung se décompose. Depuis la primaire, les deux garçons ne se sont jamais lâchés. Non pas par choix mais parce que le destin en a décidé ainsi. Chaque année, ils se sont retrouvés dans la même classe et lorsque Jisung a annoncé vouloir partir étudier à l'université la plus prestigieuse du pays - à laquelle il a pu s'inscrire grâce à la bourse au mérite - Chan est devenu obsédé par cette même université, travaillant d'arracher pied pour l'intégrer. Pas un seul jour ne s'est passé depuis leur rencontre sans qu'ils ne se croisent.

- Dis moi que c'est un cauchemar...